Les cicatrices invisibles de la fuite
Les cicatrices invisibles de la fuite
Les violences subies par les femmes en fuite sont multiples: elles vont des violences sexuelles et des abus à la violence émotionnelle exercée par des menaces contre leurs enfants.
Selon Fana Asefaw, les femmes en fuite sont particulièrement vulnérables. A l'occasion des «16 Jours d'activisme contre la violence basée sur le genre», la psychiatre et bâtisseuse de ponts parle de la violence envers les femmes en fuite, de ses conséquences et de la prise en charge adéquate dans notre société.
Selon une étude du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), plus de 70 pour cent des femmes en fuite subissent des violences, soit plus du double de la moyenne mondiale. Sur les routes de l'exil, elles rencontrent souvent des hommes qui exercent un pouvoir et un contrôle sur elles - notamment des trafiquants d'êtres humains, des interprètes ou d'autres réfugiés masculins. Seules, sans leur famille et avec des enfants, elles courent un risque particulier d'être victimes de violence.
La violence à l'égard des femmes ne s'exprime pas seulement par des agressions physiques, mais aussi sur le plan émotionnel et sexuel. Les effets de cette violence sont profonds et durables, notamment sur la santé mentale des femmes concernées. Fana Asefaw souligne que nombre de ces femmes refoulent d'abord leurs expériences traumatisantes pour survivre. Or, cela peut entraîner des dommages psychologiques à long terme.
Traumatisme et intégration: les obstacles en Suisse
L'intégration dans leur nouvel environnement représente un défi majeur pour les femmes traumatisées qui ont fui leur pays. Fana Asefaw décrit les défis auxquels les femmes réfugiées sont confrontées en Suisse: processus d'asile de longue haleine, manque de soutien de la part de la famille, barrières structurelles et absence de réseaux sociaux. Un manque de réceptivité et un soutien inadapté au contexte culturel peuvent en outre aggraver les traumatismes existants au lieu de contribuer à leur guérison. Dans de nombreux cas, ces femmes sont isolées et doivent lutter seules contre leur stress psychique et physique dans un pays étranger.
Lorsqu'une mère est traumatisée et isolée dans une société, cela ne l'affecte pas seulement, mais aussi ses enfants. Les enfants apprennent de leurs mères et si celles-ci souffrent émotionnellement de manière persistante, cela a des conséquences importantes pour la génération suivante.
Une approche sensible et adaptée à la culture comme clé
Asefaw souligne que les femmes réfugiées ont besoin d'un soutien sensible et adapté à la culture (c'est-à-dire d'une aide qui tient compte des différences et des besoins culturels) pour surmonter leurs traumatismes. Cela ne comprend pas seulement une aide psychologique, mais aussi un soutien pratique au quotidien, comme la prise en charge de leurs enfants, des cours de langue ou des mesures d'intégration professionnelle. Elle propose que les professionnel-le-s qui travaillent avec des femmes réfugiées aient une compréhension approfondie des traumatismes et des différences culturelles. Le but est d'aider les femmes concernées à s'ouvrir et à assimiler leurs expériences.
Les «bâtisseuses de ponts », ou médiatrices, - des femmes disposant de connaissances spécifiques et de compétences interculturelles qui servent de lien entre les femmes réfugiées et les professionnel-le-s - sont particulièrement importantes à cet égard. Ces dernières créent la confiance et facilitent l'accès à l'aide nécessaire avant que les femmes n'entrent dans le processus thérapeutique souvent difficile.
Les médiatrices ne sont pas des thérapeutes, mais des personnes qui établissent la confiance entre les femmes et les professionnel-le-s, afin que ces femmes puissent s'ouvrir et accepter de l'aide.
Fana Asefaw demande des améliorations spécifiques dans les centres d'hébergement pour les femmes réfugiées. Les femmes ne devraient pas être hébergées avec des hommes, car cela nuit gravement à leur sentiment de sécurité. En outre, les dortoirs devraient pouvoir être fermés à clé pour garantir une protection contre les agressions. Une autre mesure importante après avoir obtenu l'asile est un processus d'intégration plus rapide, qui aide les femmes réfugiées à s'intégrer rapidement dans la société d'accueil et à surmonter leurs traumatismes.
La campagne des 16 jours peut jouer un rôle important à cet égard, en attirant l'attention sur ces questions urgentes et en suscitant des changements politiques et sociaux. Asefaw souligne l'importance de ne pas considérer les femmes réfugiées uniquement comme des «victimes», mais de les reconnaître comme des femmes fortes et sensibles, des mères et des membres à part entière de la société.
La responsabilité de la société
La société civile peut soutenir les femmes réfugiées dans leur guérison et leur intégration. Pour ce faire, il ne suffit pas de prendre des mesures politiques, mais il faut aussi changer de mentalité et aller vers plus d'empathie, de respect et de soutien actif. Seul un engagement collectif permettra de briser le cercle vicieux des traumatismes au quotidien et d'offrir aux femmes concernées une véritable chance de guérir et de mener une vie autonome.
Fana Asefaw s'engage depuis de nombreuses années pour de meilleures conditions de vie des réfugié-e-s et agit en tant que médiatrice entre différentes cultures. Elle travaille également comme médecin spécialisée auprès d'enfants et d'adolescent-e-s souffrant de troubles psychiques. Fana Asefaw a elle-même grandi dans plusieurs pays et est d'origine érythréenne. Elle a ensuite étudié la médecine en Allemagne et a obtenu un doctorat sur l'excision à Berlin. Actuellement, Fana Asefaw est également chargée de cours et collaboratrice scientifique à la faculté de médecine de l'Université de Zurich. Elle est également la directrice médicale du projet Bâtisseurs-euses de pont et traumatisme (Brückenbauer:innen und Trauma en allemand) auprès de NCBI.