Les communautés hôtes montrent leur solidarité aux personnes déplacées de force à travers toute l’Afrique de l’Ouest et du Centre
Les communautés hôtes montrent leur solidarité aux personnes déplacées de force à travers toute l’Afrique de l’Ouest et du Centre
Des centaines de femmes et d’enfants sont réunis dans la cour de l’école Seco, du quartier Hamdallaye à Ouangolodougou, dans l’extrême nord de la Côte d'Ivoire. Il fait très chaud ce matin, il y a peu d’ombre pour se protéger du soleil et il y a beaucoup de bruit. Dans le désordre apparent, trois hommes essayent de regrouper les personnes présentes, pour qu’elles soient recensées par les autorités locales.
L’activité qui anime les lieux, d’habitude si paisibles, concerne principalement des demandeurs d’asile Burkinabè. Malgré ses ressources limitées, la ville de Ouangolo en a reçu près de 6000 depuis l’année dernière, surtout des femmes et des enfants, qui fuient l’insécurité au Burkina Faso et au Mali.
Domba Coulibaly est bien connu à Ouangolo car il est le principal fournisseur de viande de bœuf de son quartier, mais c’est son sens de l’hospitalité qui fait de plus en plus parler de lui. Assis sur une chaise en bois sous l’apatam en face de l’enclos où sont gardées ses vaches, à l’entrée de sa concession, le boucher de 45 ans est entouré d’une vingtaine d’hommes désœuvrés.
« C’est la présence des groupes armés au Burkina qui les a obligés à partir de chez eux, puisque toute personne qui n’adhère pas à leur cause doit s’en aller. Autrement, ils ne veulent pas partir, mais si on te dit que si tu ne quittes pas on te tue, tu n’as pas d’autre choix que de partir. C’est ce qui les a fait fuir », explique le père de famille qui depuis février 2023, a assisté des dizaines de familles cherchant refuge après avoir échappé à la violence et aux intimidations dans leurs villages.
« Les gens traversent la frontière à pied, en tricycles ou encore en moto-taxi, et paient le trajet avec le peu d’argent qui leur reste après avoir abandonné tout derrière eux. Beaucoup n’ont d’autres vêtements que ceux qu’ils portent, ils arrivent aussi très fatigués. », ajoute-t-il
Les nouveaux arrivants s’appuient ensuite sur la communauté d'accueil qui, malgré ses propres difficultés, partage le peu qu’elle et les aide à faire les démarches nécessaires pour demander l’asile et être enregistrés à Ouangolodougou.
« J’héberge chez moi tous ceux qui arrivent et je partage ma nourriture avec eux, le temps que je leur trouve une maison à louer. Ils arrivent ici les mains vides », insiste Coulibaly Domba. C’est également lui qui présente les nouveaux arrivants aux autorités telles que le chef de village, qui ensuite informe l’administration locale de leur présence.
La Côte d’Ivoire accueille au total près de 58 000 personnes venues du Burkina Faso et du Mali, actuellement enregistrées comme demandeurs d'asile. Parmi eux, Issouf, un jeune mécanicien très entreprenant. Il essaye de couvrir les besoins de sa famille jour après jour. Il a fui le Burkina Faso, il y a près d’un an et demi, avec sa femme, ses enfants et ses apprentis, en raison de la violence et des menaces constantes des groupes armés.
Malgré la peur, Issouf décide de partir pour la Côte d'Ivoire. Arrivé à Laléraba, il est resté au sein d’une famille d’accueil puis a cherché à ouvrir un garage de réparation de motos. Pour cela, il a demandé un emplacement et l'a obtenu, mais n'ayant pas de moyens, il a sollicité l'aide du chef du village, qui lui a fourni des tôles et du bois. Grâce à cela, il a pu faire appel à un menuisier pour construire un hangar où il reçoit sa clientèle.
“Aujourd’hui, on arrive à gagner un peu d’argent. Il faut juste faire du bon travail, comme ça, même si leurs motos tombent en panne à l’autre bout de la ville, les gens viennent te trouver pour les réparations. Pour une simple vidange, cela revient à 1300 Fr. CFA soit 2 USD par litre. Et si un seul client vient par jour, cela ne suffit pas à payer un repas, à moins que Dieu ne nous aide. Cependant, en cas de pannes majeures on peut gagner 5000 (8 USD) ou 10 000 Francs CFA (16 USD), alors c'est là c'est une bonne affaire.”, dit le mécanicien, le sourire aux lèvres.
Au Mali voisin, la communauté d'accueil fait preuve de la même solidarité. Hamidou Maiga est un chef de famille sans emploi basé à Mopti, dans le centre du pays. Il vit au jour le jour et malgré le manque de ressources et les conditions de vie difficiles, l’homme âgé de 70 ans a le visage ridé et marqué par l’inquiétude. Il a généreusement accueilli de nombreux Burkinabè qui ont fui à la suite d’attaques violentes et répétées contre leurs villages, lors desquelles des centaines de personnes ont été tuées. Hamidou partage avec eux le peu de nourriture qu'il possède, soulignant qu'ils n'ont reçu aucun soutien à l'exception de quelques couvertures du HCR, qui avec ses partenaires, déploie son plan de réponse.
« La situation est assez complexe parce qu’ici le gouvernement privilégie l’approche famille d’accueil, et l’une des premières réponses est l’enregistrement de ces personnes-là, dont les premières vagues sont arrivées depuis le mois de juin de l’année dernière (2023), et nous continuons à en recevoir. Pour mieux les assister, il nous faudrait un site et bien évidemment les moyens nécessaires pour faire des aménagements et ériger des abris. C’est l’une des priorités. On a également pu mobiliser certains partenaires dont le Programme Alimentaire Mondial (PAM) qui a assisté ces personnes-là en termes de vivres. », indique Edmond Onana, chef de bureau du HCR à Mopti.
Le Mali héberge actuellement environ 70 000 réfugiés tout en répondant aux besoins de plus de 354 000 déplacés internes. Parmi les réfugiés, principalement venus du Burkina Faso et du Niger, 40 000 ont fui le Burkina Faso au cours des trois derniers mois en raison des troubles et de l'instabilité dans leur pays.
Plus loin, le Tchad fait face aux mêmes difficultés et accueille pour sa part plus de 1,1 million de réfugiés, devenant ainsi le pays ayant le plus grand nombre de réfugiés par habitant en Afrique. Hormis les Soudanais arrivés avant la guerre récente, ce total inclut aussi des réfugiés venus du Cameroun.
En 2024, le HCR en a recensé 13 552, dont plus de 2 700 se trouvent dans le camp de Guilmey, situé à la périphérie de la capitale tchadienne, Ndjamena. Ce camp a été créé en 2021 à la suite des conflits meurtriers qui a embrasé la ville de Kousséri, dans l'extrême nord du Cameroun. Il s’agit également de la région natale d’Abo Abdoulaye Akramadé, lui et sa famille ont fui des violences intercommunautaires, il y a 3 ans, pour trouver refuge au Tchad, après avoir marché de longues heures et traversé le fleuve Logone Chari en pirogue.
"Franchement, les Tchadiens sont généreux. Dès notre arrivée à la forêt de Milezi, ils nous ont accueillis et nous ont donné à manger, de l'eau, des couvertures, des nattes. Après, on nous a donné 45 000 CFA par personne. Avec cet argent, j'ai acheté des chèvres, des canards et des pigeons que j'ai commencé à élever. », dit le père de famille en montrant fièrement ses animaux.
« Le Comité International pour l'Aide d'Urgence et le Développement (CIAUD) et la Commission Nationale d'accueil de Réinsertion des Réfugies (CNARR) nous ont octroyé des terres et on a aussi eu des semences et maintenant, nous sommes en voie de récolte. », poursuit-il en pointant son champ du doigt.
La débrouillardise d’Abdoulaye le rend par ailleurs utile au sein du camp de Guilmey « Avec ça, j'ai été recruté comme relais communautaire pour mener des activités de sensibilisation, d'information, d'éducation et de communication, grâce à ce travail je gagne 25 000 CFA par mois. Dieu merci, avec tout ça, je nourris mes enfants. Je me sens vraiment en sécurité ici et je peux dire Dieu merci.”, ajoute-t-il d’un ton reconnaissant.
Que ce soit en Côte d'Ivoire, au Mali ou au Tchad, l'aide des populations d’accueil précède souvent l'assistance des organisations humanitaires. Leur intervention témoigne de l'importance de la collaboration entre les communautés, les gouvernements et les agences humanitaires, afin de répondre aux besoins et de trouver des solutions pour les personnes qui ne peuvent pas rentrer dans leur pays. Des personnes qui restent tout de même optimistes et déterminées à se reconstruire et à offrir une vie meilleure à leur famille, malgré les épreuves liées au déplacement forcé.