Des réfugiés aux services des réfugiés : valorisation des compétences en situation de déplacement forcé au Tchad
Des réfugiés aux services des réfugiés : valorisation des compétences en situation de déplacement forcé au Tchad
Depuis la mi-avril 2023 plus de 620 000 nouveaux réfugiés ont été contraints au déplacement forcé vers le Tchad voisin à la suite de la crise soudanaise. Parmi cette population, on trouve des profils variés entre autres : agriculteurs, enseignants chercheurs, spécialistes en finance, étudiants, avocats, juges, psychologues, sociologues, ingénieurs, infirmiers, sage-femmes, aide-soignant, médecins etc. Ils sont accueillis dans les sites spontanés, aménagés et agglomérations urbaines à l’Est du Tchad. Une initiative conjointe HCR-APLFT ouvre la voie à l’intégration sociale et professionnelle des réfugiés diplômés.
L’initiative consiste à valoriser les compétences des réfugiés identifiés lors de l’enregistrement individuel qui a commencé en juin 2023 et qui a permis de documenter les différents profils professionnels, explique Adoum Ire Innocent, Coordonateur de l’APLFT (Association pour la Promotion des Libertés Fondamentales au Tchad) pour la zone Est. Au total, 39 réfugiés ont été recrutés dans quatre provinces à l’Est. Après avoir passé les entretiens basés sur les compétences, un accompagnement en formation a permis de préparer les nouveaux recrutés à accomplir pleinement et efficacement les tâches qui leurs sont confiées. « L’idée c’est d’amener les réfugiés à travailler pour les réfugiés parce qu’il y a une similitude linguistique et culturelle qui créent le lien », précise le coordinateur de l’APLFT.
Esraa Osman Idriss, 26 ans, réfugiée soudanaise sensibilise sur les thématiques liées aux violences basées sur le genre (VBG) et apporte le soutien psychologique aux réfugiés soudanais et centrafricains au guichet unique d’Abéché. Après son baccalauréat série D en 2015 à El-Geneina, elle fait un brillant parcours académique à l’université d’Omdourman où elle à obtenu le diplôme de Master en psychologie en 2021 spécialité, conseil et santé mentale. Arrivée au Tchad en septembre 2023, Esraa est recrutée par APLFT sur la base de ses compétences en accompagnement psychosocial et soutien mental. Dans un contexte de crise « on ne peut pas fuir avec ses biens, mais on peut aller partout avec ses compétences », explique-t-elle.
Dévouée pour la cause humaine, Esraa Osman a joué un très grand rôle dans son pays d’origine le Soudan pendant la période de Corona Virus en 2020 en créant l’association « Fadfed li » (Parle-moi de toi). Un cadre qui fédère 15 psychologues soudanais afin de sensibiliser et prodiguer les conseils relatifs aux mesures barrières via les réseaux sociaux. Suivi par 6000 personnes sur Facebook et 100.000 sur TikTok, « Fadfed li » a permis d’apporter de soutien psychologique à plus de 25.000 personnes pendant la crise de coronavirus », explique-t-elle. Désormais, elle fait un bel alliage entre son travail et l’animation de ses pages sur les réseaux sociaux en prodiguant des conseils au quotidien sur la santé mentale. « Je suis contente de redonner le sourire aux personnes stressées à la suite des évènements douloureux », témoigne-t-elle. En perspective, Esraa envisage ouvrir un cabinet de conseil et santé mental pour élargir son service à la population tchadienne, car « tout le monde a besoin de conseil et soutien psychologique » dit-elle.
Un autre exemple parlant est celui de Mohamad Djibrine Adam. Agé de 38 ans, avocat au barreau d’El-Geneina, il était contraint au déplacement forcé vers le Tchad en mai 2023. Il sensibilise les réfugiés sur leurs droits et devoirs et leur explique les procédures judiciaires en vigueur au Tchad. Diplômé de Droit Public à l’université de Nyala en 2011, il obtint le concours de barreau d’El-Geneina en 2015 après avoir travaillé 4 années pour une organisation islamique caritative. C’est en 2018, qu’il réalise son plus grand rêve en ouvrant son cabinet d’avocat. « J’ai toujours eu cette conviction de vouloir défendre les personnes sans voix, le métier d’avocat était le meilleur moyen », explique-t-il.
Installé dans la ville d’Abéché, il travaille désormais pour les réfugiés grace à l’initiative du HCR et APLFT qui valorise les compétences des réfugiés. « Je suis très content de travailler à nouveau au Tchad et surtout pour les réfugiés, c’est une fierté de renouer avec mon métier de défenseur des droits humains », raconte Mohamed très enthousiaste. Parmi ses tâches, « il informe et oriente les réfugiés sur les procédures judiciaires, fait le suivi des dossiers judiciaires, sensibilise sur les textes juridiques du pays d’accueil », explique Adoum Innocent, Coordonateur de l’APLFT.
Comme Esraa et Mohamed, d’autres réfugiés de différents profils travaillent avec le partenaire APLFT dans les provinces du Ouaddaï, Sila, Wadi-Fira et Ennedi-Est. L’initiative de valorisation des compétences des réfugiés renforce l’engagement communautaire, contribue à l’augmentation des capacités en gestion des cas de protection, facilite l’intégration sociale et la résilience des personnes en situation de déplacement forcé.