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Villes fantôme au bord des rivières colombiennes

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Villes fantôme au bord des rivières colombiennes

Il y a des dizaines de villages abandonnés le long des nombreuses rivières dans le département de Chocó, à l'ouest de la Colombie, leurs habitants ayant dû fuir le conflit armé interne. D'abord témoins vibrants de leur sort, ces communautés afro-colombiennes et indigènes souffrent maintenant en silence.
15 Août 2005 Egalement disponible ici :
Un journaliste interviewe un déplacé dans l'église de La Candelaria à Piedra Candela, ville abandonnée de la province de Chocó, en Colombie.

PIEDRA CANDELA, Colombie, 15 août (UNHCR) - Le silence est assourdissant dans Piedra Candela, cité autrefois animée, baignée par la rivière colombienne Bojaya. La rue principale, bordée de maisons en bois de un à deux étages, reste désespérément vide. Partout, on trouve des signes du départ précipité de ses habitants. Une chaussure d'enfant a été perdue dans la rue. Dans l'une des maisons, des papiers jonchent le sol à côté d'une petite bicyclette. Si la plupart des demeures sont dépourvues de meubles et d'effets personnels, ce n'est pas du fait de leurs propriétaires mais bien celui des groupes armés, qui n'ont pas perdu une minute pour se constituer un butin parmi les biens abandonnés des habitants en fuite.

La majorité des 470 habitants de Piedra Candela est partie en mai 2004 après des troubles dans la région entre les militaires colombiens et les groupes armés de guérilla, à l'origine de la mort de deux d'entre eux et de la disparition de huit autres. Leur histoire est malheureusement commune en Colombie, où plus de trois millions de personnes ont fui à l'intérieur ou à l'extérieur des frontières du pays depuis une dizaine d'années. L'étendue du problème oblige l'UNHCR, responsable de la protection des personnes déplacées en Colombie, à faire face à des défis inédits.

Selon les statistiques du gouvernement, plutôt sous-estimées, un habitant de Chocó sur huit est déplacé, soit un total de plus de 80 000 personnes forcées de quitter leur maison au cours des dix dernières années. Les villes abandonnées sont dispersées le long des rivières dans cette vaste région, l'une des plus humides et biologiquement diversifiées au monde. L'armée colombienne contrôle les principales rivières, seuls modes de déplacement disponibles, mais à l'intérieur des terres les groupes armés irréguliers et paramilitaires contrôlent des morceaux de territoire, fréquemment peu distants les uns des autres.

Nombre des déplacés aboutissent dans des endroits tels que Villa España, un bidonville aux confins de Quibdó, la capitale provinciale. Certains s'y sont installés depuis 1999 dans des « maisons temporaires » construites par la Croix-Rouge espagnole et le Réseau social de solidarité, organe gouvernemental chargé de la gestion des déplacés. Aujourd'hui, beaucoup de ces structures en bois ont besoin de réparations. Non loin, on voit des fondations de constructions permanentes pour les déplacés, aujourd'hui laissées à l'abandon.

L'année dernière, une décision faisant date a été prise par le Tribunal suprême colombien, ordonnant au gouvernement d'améliorer l'aide aux déplacés dans le pays. Mais aider les déplacés est une tâche complexe, surtout à cause du manque de statistiques disponibles. Pour aider le gouvernement à assumer ses responsabilités, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés sponsorise un recensement qui va déterminer le nombre exact de déplacés, en plus de fournir des données sur leur état de santé, leurs conditions d'emploi et de logement. L'idée est d'établir une base solide et factuelle pour soutenir les demandes d'amélioration des services comme l'éducation et les soins.

« Beaucoup de déplacés ne sont pas enregistrés car ils ignorent la loi, ils craignent pour leur vie ou simplement ils espèrent que les choses vont s'améliorer et qu'ils pourront rentrer chez eux », rapporte Sandra Pacheco, qui travaille pour l'UNHCR dans le cadre du recensement. « Ce sont ces gens que nous cherchons à atteindre. »

Alors que plus de 1,5 million de déplacés sont actuellement comptabilisés en Colombie, le gouvernement estime que beaucoup d'autres cas ne sont pas connus par les autorités et les organisations non gouvernementales, qui évaluent, elles, à plus de 3,4 millions le nombre de déplacés dans le pays. L'espoir réside dans le recensement de Quibdó comme un modèle à reproduire dans d'autres villes. Près de 40 pour cent des déplacés en Colombie habitent aux alentours des dix plus grandes zones urbaines du pays, où ils sont souvent victimes de discriminations et constituent une cible de choix pour les groupes armés irréguliers. A Quibdó, où environ 20 000 déplacés se sont installés, l'intégration s'avère difficile.

« L'intégration est primordiale car dès leur arrivée, ils sont stigmatisés en tant que déplacés », rajoute Sandra Pacheco. « Pour eux, s'adapter à Quibdó est en fait très difficile car ils proviennent de régions rurales. »

Daisy (nom fictif) fait partie de ces déplacés arrivés depuis la ville de La Vuelta près de la rivière Buey : elle a trouvé un abri temporaire dans le siège d'une fédération afro-colombienne de Quibdó. Même si le bâtiment dispose d'une grande cuisine, elle prépare les repas dans le patio car il n'y a ni gaz ni eau courante. Quelque 60 personnes habitent dans ce bâtiment depuis plus de deux mois car ils n'ont pas eu accès à un autre logement, contrairement à la promesse qui leur en avait été faite.

« Quand il pleut, nous ne pouvons pas faire démarrer le feu alors nous ne cuisinons pas », dit Daisy. « Quelques-uns de mes amis veulent rentrer car ils sont malheureux ici, mais la situation là-bas est toujours mauvaise. Trop d'hommes armés. »

A l'origine, les groupes armés se sont établis à Chocó pour son accès stratégique vers Panama, qui facilitait la contrebande d'armes grâce à la proximité du réseau de rivières. Le premier déplacement forcé majeur s'est déroulé dans le département de Chocó en 1997, quand les groupes armés ont commencé à arriver en force dans la région. Quelque 800 civils ont été tués entre 1996 et 2002, selon un rapport de la Conférence épiscopale colombienne de l'Eglise catholique.

« Certaines personnes rêvent encore de rentrer chez elles », dit Wilson Mosquera Sierra, chef de communauté à Villa España. « Mais la plupart ne veulent pas rentrer car ils ne voient pas d'amélioration des conditions de sécurité. »

Aujourd'hui, plus d'un an après la fuite éperdue de ses habitants, Piedra Candela reste une ville fantôme. Seuls des journalistes à la recherche d'images fortes osent s'aventurer parfois dans ses rues désertes. A l'intérieur de l'église ovale, une statue de la Vierge Marie est toujours là, sur son piédestal, mais les bancs sont éparpillés et couverts de sable.

« L'église de La Candelaria était un lieu de célébrations joyeuses », dit Pacho, de retour dans son village abandonné pour une visite avec un groupe de journalistes. « En fait, nous vivions ici sans aucune crainte. »

Mais, dans ce climat de conflit et d'appréhensions, tout retour serait maintenant périlleux, laissant les déplacés comme Pacho attachés à leurs souvenirs d'un heureux passé lointain.

Par Eduardo Cue à Piedra Candela, Colombie