Une campagne sur les médias sociaux pour lutter contre la désinformation à propos de la jungle du Darién
Une campagne sur les médias sociaux pour lutter contre la désinformation à propos de la jungle du Darién
« Au début, je ne pensais pas que c'était risqué... mais nous avons commencé à voir un tas de choses bizarres. Beaucoup de montagnes, beaucoup de collines... J'ai commencé à voir des morts, toutes sortes de choses », décrit-elle. « Beaucoup de gens perdent la vie là-bas ».
Pendant qu'elle se repose, son mari essaie de débarrasser ses baskets de la boue qui les recouvre à l'aide d'une brosse à dents. Le couple a fui l'instabilité politique et économique du Venezuela. Le reste de leur famille est resté sur place, attendant des nouvelles de leur voyage avant de décider de les suivre ou non.
Chaque semaine, des milliers de réfugiés et de migrants bravent la traversée du Darién en quête de sécurité et d'une vie meilleure. En 2023, plus de 520 000 personnes, principalement originaires du Venezuela, de l'Équateur, d'Haïti et de pays d'Afrique et d'Asie du Sud, ont entrepris ce voyage. Jusqu'à présent, en 2024, ce nombre a déjà atteint 279 000.
Après s'être vu promettre un passage court et facile à travers la jungle par des passeurs et des informations diffusées sur les médias sociaux, les réfugiés et les migrants passent généralement entre quatre et dix jours à franchir des montagnes escarpées, des forêts épaisses et des rivières à fort courant. Ils doivent transporter tous leurs effets personnels, et souvent de jeunes enfants, dans une chaleur et une humidité intenses avant d’atteindre des zones occupées par des communautés autochtones panaméennes et les centres d'accueil temporaire gérés par le gouvernement panaméen.
Partager des récits authentiques
Ayant déjà fui ou quitté leur pays en raison de situations difficiles, les réfugiés et les migrants sont exposés à la violence et aux abus dans la jungle. Trente-huit pour cent des personnes ayant effectué la traversée déclarent avoir subi des violences dans la jungle, et sept sur dix ont été victimes de vols, dont Ayaluz et son mari.
« Nous avons été volés », dit-elle. « Ils nous ont tout pris ».
Des enquêtes menées par le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, révèlent qu'environ 70 % des personnes arrivant dans le Darién se fiaient aux informations glanées sur les médias sociaux, qui minimisent souvent les risques du voyage ou les présentent de manière erronée.
« Sur Facebook, il y a des gens qui créent des pages sur lesquelles ils se présentent comme des guides. Ce qu'ils font en réalité, c'est nous tromper ; ils nous poussent à le faire », déclare Ayaluz, expliquant que, sur la base d’informations glanées sur les médias sociaux, elle et son mari ont vendu tous leurs biens pour financer le voyage, sans en cerner les dangers.
Conscient de la nécessité de lutter contre la désinformation au sujet du Darién, le HCR a développé une campagne sur les médias sociaux, « Trust the Toucan », en 2023. Elle partage des informations cruciales et des témoignages vidéo sur Facebook et TikTok en espagnol, en anglais et en créole haïtien dans le but d'atteindre les réfugiés et les migrants dans la région, principalement en Colombie, en Équateur, au Pérou et au Venezuela, avant qu'ils ne prennent la décision de traverser la jungle.
« Une bonne information peut sauver des vies, et avec 'Trust the Toucan', le HCR fournit non seulement des précisions à propos des dangers de la jungle, mais occupe activement de l'espace sur les mêmes plateformes en ligne par lesquelles la désinformation se répand, afin de permettre aux réfugiés et aux migrants de prendre des décisions en connaissance de cause », souligne Jose Egas, représentant du HCR au Panama, qui précise que la campagne a été vue plus de 26 millions de fois.
Une communication à deux sens
« Le Toucan » diffuse des interviews de réfugiés et de migrants, comme Orlando, qui a récemment effectué la traversée avec 27 kilos de nourriture, d'eau et de vêtements sur le dos, et sa fille de 9 ans à ses côtés. Bien qu’ayant entendu des histoires et ayant conscience du fait que le voyage serait difficile, il n'était pas préparé à la réalité.
« Les guides nous ont affirmé que nous sortirions de la jungle en un jour et demi, ce qui est totalement faux... À un moment donné, j'ai eu un malaise parce que je pensais que je n'en sortirais jamais. Nous avons marché, marché, et la jungle semblait sans fin », confie-t-il. « Les gens se fracturent les pieds, les chevilles. Quand on se blesse dans la jungle, c'est fatal ».
Au cours du voyage, son groupe a sauvé une femme abandonnée avec ses deux enfants alors qu'ils s'efforçaient de répondre aux exigences physiques d'un chemin où un seul faux pas pouvait entraîner des blessures ou la mort.
S'il avait connu les dangers réels, Orlando affirme qu'il n'aurait pas risqué la vie de sa famille dans sa quête d'une vie meilleure.
En plus de partager des témoignages comme ceux-ci, « Le Toucan » permet également aux réfugiés et aux migrants d'envoyer des messages au HCR via TikTok, Facebook et WhatsApp. Ils peuvent vérifier les histoires et les informations partagées par des amis et des parents, demander des conseils sur la demande d'asile au Panama, ou même tirer la sonnette d'alarme au sujet de proches qui ont disparu dans la jungle.
Dans une vidéo reçue par WhatsApp au début de l'année, le HCR a découvert qu'une femme de 36 ans avec une jambe cassée avait déjà passé quatre jours dans une tente avec ses deux jeunes enfants. Un groupe de passage a envoyé le message avec des informations sur un site naturel proche pour aider à localiser l'endroit où elle était bloquée. Le HCR a transmis l'enregistrement aux autorités panaméennes et la femme a été secourue quelques jours plus tard.
« On se sacrifie en pensant que l'on pourra peut-être avancer, que ce sera mieux qu'en Équateur, mais cela ne vaut pas la peine. C'est beaucoup de souffrance », indique Carmen*, 61 ans, les larmes aux yeux. En Équateur, elle travaillait comme couturière jusqu'à ce que des gangs la menacent, exigeant une part de ses gains. En traversant la jungle avec sa fille, ses nièces et ses neveux, elle et sa famille ont passé des jours sans nourriture. Ils ont bu l'eau des rivières, ce qui les a affaiblis en leur donnant de la fièvre et des problèmes d'estomac.
Comme Ayaluz et Rodrigo, elle espère qu'en partageant son histoire avec « Trust the Toucan », elle pourra aider d'autres personnes à comprendre les risques de la traversée.
« C'est une douleur que l'on porte toute sa vie, et je regrette d'être passée par là ».