De l'apatridie à la reconnaissance au Panama
De l'apatridie à la reconnaissance au Panama
Elle aurait pu passer le reste de sa vie à éprouver ce sentiment si une rencontre fortuite n'avait pas déclenché le processus qui a conduit le Panama, le pays qu'elle considère comme le sien depuis 52 ans, à la reconnaître en tant qu'apatride.
Le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, estime qu'au moins 4,4 millions de personnes à travers le monde sont apatrides, c'est-à-dire qu'aucun pays ne les reconnaît comme des ressortissants. Le nombre réel serait toutefois beaucoup plus élevé en raison du manque de données précises et de la difficulté inhérente au fait de recenser les personnes qui n'ont pas d'identité légale. Il existe en outre de nombreuses autres personnes qui risquent de devenir apatrides parce qu'elles éprouvent des difficultés à prouver leur lien avec un État.
Papiers égarés
Originaire de Colombie, Hermelinda n'a que peu de souvenirs de Belen de Docampado, la petite ville où elle est née. Elle sait qu'elle était loin des villes, avec une rivière d'un côté et des montagnes à l'horizon. Ses parents étaient des agriculteurs qui n'ont jamais appris à lire ni à écrire, même si sa mère savait signer son nom. À Belén de Docampado, les naissances étaient enregistrées occasionnellement, dans des cahiers abîmés qui étaient souvent égarés.
« Quand on allait réclamer ces papiers, ils n'existaient plus. Et c'est ce qui nous est arrivé, à moi et à mes frères et sœurs », raconte-t-elle. Parmi ses quatre frères et sœurs, seule sa plus jeune sœur, Enis, a réussi à retrouver son acte de naissance.
À l'âge de 20 ans, Hermelinda est tombée amoureuse et s'est mariée. Plusieurs décennies avant que les mouvements de réfugiés et de migrants à travers la jungle du Darien, qui sépare la Colombie et le Panama, ne fassent la une des journaux internationaux, Hermelinda, son mari et leur petite fille ont pris le bateau de Belen à La Palma, dans le Darién, à la recherche de meilleures opportunités pour leur famille. Ils ont fini par s'installer à Santa Fe.
C'est au Panama qu'Hermelinda a réalisé pour la première fois qu'elle n'avait pas les documents nécessaires pour recommencer sa vie dans un nouveau pays. Elle a pris le bateau pour Belen et, à son grand désarroi, n'a trouvé aucune preuve de son existence : ni acte de naissance, ni document de baptême, ni carte d'identité nationale.
De retour à Santa Fe, les jours sont devenus des mois, les mois des années et les années des décennies. Pendant tout ce temps, la vie a suivi son cours. Elle a eu un fils - Edín - qui est né avec des problèmes cardiaques et un handicap mental. Elle a ensuite eu deux autres enfants, qui n'ont pas survécu.
Des années plus tard, après la mort de son mari et le départ de sa fille pour la Colombie, Hermelinda s'est mise à cultiver les champs derrière sa maison pour gagner sa vie : maïs, riz, plantain et manioc. D'autres moyens de gagner sa vie lui semblaient hors de portée sans carte d'identité, tout comme l'accès à des soins médicaux ou à des services sociaux.
Parce qu'il est né au Panama, Edín a obtenu la nationalité panaméenne, ce qui signifie qu'il peut accéder aux soins médicaux et à certaines prestations en tant que personne en situation de handicap. Cependant, il dépend toujours entièrement d'Hermelinda, qui doit l'accompagner lors de ses fréquents déplacements en ville pour ses rendez-vous médicaux. À chacun de ces déplacements, Hermelinda craignait d'être arrêtée à un poste de contrôle de la police parce qu'elle n'avait pas de papiers.
Une rencontre qui change la vie
Bien que le Panama soit devenu signataire de la Convention des Nations Unies de 1954 relative au statut des apatrides en 2011, la procédure de reconnaissance d'une personne apatride n'a été inscrite dans la loi qu'en 2019. Depuis lors, le pays a réalisé des progrès significatifs dans l'identification des personnes menacées d'apatridie et dans la protection des droits fondamentaux des apatrides, notamment leur accès à l'éducation, à la santé et à l'emploi.
- Voir aussi : Cinq choses à savoir sur l'apatridie
Selon le dernier recensement, plus de 28 700 personnes au Panama sont à risque d'apatridie. La plupart d'entre elles sont nées au Panama et appartiennent à des communautés indigènes sans actes de naissance. Les autres, près d'un millier de personnes, sont - comme Hermelinda - nées en dehors du Panama et n'ont pas d'acte de naissance ou d'attestation de citoyenneté.
En 2021, au cours d'une journée qu'Hermelinda pensait ordinaire, sa vie a basculé. Une mission conjointe du HCR et du gouvernement visant à s'assurer que les réfugiés de la province du Darien ont accès à des documents en bonne et due forme a emprunté les chemins de terre de la localité de Santa Fe. Après des décennies passées sans oser faire part de sa situation aux autorités locales, Hermelinda a trouvé le courage de demander de l'aide. Le HCR l'a reconnue comme une personne menacée d'apatridie et a transmis son dossier au ministère des affaires étrangères.
Le simple fait de savoir que des autorités compétentes avaient pris en charge son dossier a redonné de l'espoir à Hermelinda. « On se sent différent, comme quelqu'un de nouveau. J'aimerais que toute personne dans cette situation [sans papiers] puisse demander de l'aide. Et si je rencontre une personne dans la même situation que moi, je la guiderai », affirme-t-elle.
En janvier 2024, le Panama l'a officiellement reconnue comme apatride. Elle a reçu une carte d'identité et maintenant, pour la première fois en 72 ans, elle détient une preuve indéniable de son existence. « Lorsque j'ai eu cette carte d'identité entre les mains, j'ai ressenti une grande joie dans mon cœur. Ce jour-là, j'ai eu l'impression de revenir à la vie », confie-t-elle. « Si je dois me rendre quelque part, j'y vais sans crainte parce que j'ai une carte d'identité ».
La vie continue comme avant à Santa Fe. Hermelinda travaille la terre. Elle sème et récolte, transforme le maïs en galettes et gagne sa vie. Edín a maintenant 47 ans et le toujours le même sourire que sa mère. Mais cette paix intérieure qu'Hermelinda ressent est nouvelle et réjouissante.
« Si j'étais jeune, j'aurais beaucoup de projets. Ce qui est bien, c'est que j'y suis parvenue », dit-elle en souriant et en montrant sa carte d'identité.
Avec la contribution de Viola Eleonora Bruttomesso.