Au Niger, cohabitation fructueuse entre réfugiés et communautés locales au sein des « villages d’opportunité »
Au Niger, cohabitation fructueuse entre réfugiés et communautés locales au sein des « villages d’opportunité »
De la fumée s'échappe d'une petite bâtisse bleue au milieu de Garin Kaka, village situé dans le centre-sud du Niger. A l'intérieur, une douzaine de femmes s’affairent à faire griller des cacahuètes dans des fours artisanaux.
Parmi elles, Jamilla Oumaru, réfugiée nigériane âgée de 25 ans. Elle est la présidente d'une coopérative qui rassemble 20 réfugiées et habitantes de la région qui produisent ensemble de l'huile d'arachide. « L'avantage de travailler en groupe, c'est qu'on apprend vite à se connaître », explique Jamilla.
À ses côtés, son amie nigérienne et bras droit de la coopérative, Hamsou Mohamat, 35 ans, est née à Garin Kaka. « En entrant ici, on ne peut pas dire qui est réfugié et qui ne l'est pas, tout le monde rit des mêmes blagues », assure-t-elle. « Comme l'ambiance est bonne et que nous travaillons ensemble, nous accomplissons les tâches plus rapidement. »
Une alternative aux camps
Situé à 22 kilomètres de Maradi, la deuxième plus grande ville du Niger, Garin Kaka est l'un des trois « villages d'opportunité » qui font partie d'une initiative du HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, en collaboration avec le gouvernement nigérien et les autorités locales, pour offrir aux réfugiés une alternative plus durable à la vie dans les camps.
Plus de 4000 réfugiés nigérians – dont la famille de Jamilla – ont été installés à Garin Kaka en 2020. Au total, près de 18 000 réfugiés ont été transférés des zones frontalières vers les trois sites, tous situés à proximité de villages existants.
« L'objectif était d'installer les réfugiés dans une localité paisible et sécurisée où leur est garanti un accès à la terre et aux marchés pour promouvoir des activités génératrices de revenus », explique Charlotte Kirobo Kadja, officier de protection du HCR à Maradi. « Pour promouvoir la cohésion sociale, de nouvelles infrastructures pour les services de base tels que les soins de santé, l'éducation, l'eau et l'assainissement ont été mises en place dans le village, au bénéfice des réfugiés et des communautés locales. »
Nous sommes devenues comme des sœurs en travaillant ensemble.
Jamilla et Hamsou sont rapidement devenues amies après s'être toutes deux engagées dans la coopérative. Il s'agit de l'un des nombreux projets générateurs de revenus dans le village que le partenaire du HCR, Action pour le Bien Être, a aidé à mettre en place. « Nous sommes devenues comme des soeurs en travaillant ensemble. C'était facile dès le début parce que nous parlons la même langue. Nous partageons nos joies et nos peines. Nous sommes en communion », affirme Hamsou.
La présence de réfugiés est synonyme d'opportunités
Maradi n'est qu'à 47 kilomètres du Nigéria et les villes et villages haoussa, qui s'étendent de part et d'autre de la frontière, ont toujours fait du commerce. Mais depuis mai 2019, la région fait face à un afflux de réfugiés en provenance du nord-ouest du Nigéria, fuyant les pillages, les attaques et les enlèvements perpétrés par des bandes armées.
Jamilla se souvient du jour de juillet 2019 où son village de la région de Sokoto a été attaqué. « Il était midi lorsque les bandits sont entrés dans notre village. J'étais dans ma boutique en train de servir un client. Nous avons fui sans avoir le temps de mettre nos chaussures. Un voisin m'a aidée à transporter les enfants », se souvient-elle. « Ils ont tué sept personnes et sont partis avec des jeunes filles du village. »
Après avoir passé la nuit dans la brousse et marché pendant une journée, Jamilla a retrouvé son mari et ils ont franchi ensemble la frontière.
Aujourd'hui, le Niger accueille 300 000 réfugiés, la majorité en provenance du Nigéria, mais aussi du Mali et du Burkina Faso. C'est un défi majeur pour un pays qui est l'un des plus pauvres au monde en termes de revenu par habitant. Mais certaines autorités locales considèrent ces arrivées comme une opportunité.
« L'arrivée des réfugiés a changé nos conditions de vie », explique Mohamad Yakouba, le chef de Garin Kaka, qui a donné son accord pour les transferts. « Le village a doublé de taille. Avant, il y avait 7 000 personnes, nous n'avions pas de centre de santé et une toute petite école, avec seulement deux classes. Avec l'arrivée des réfugiés, nous avons un centre de santé et de nouvelles salles de classe. Nous avons également un approvisionnement en eau, ce qui n'était pas le cas auparavant. »
Les chefs de certains villages environnants avaient mis en garde Mohamad contre les problèmes que pourraient poser les réfugiés, mais à part quelques conflits mineurs entre voisins, comme le bétail qui paît dans les champs d'autrui, « tout le monde est heureux », affirme-t-il.
« Tous ceux qui veulent rester à Garin Kaka peuvent le faire. S'ils prévoient de construire une maison ici, ils feront partie du village. Même mon fils a épousé une réfugiée », ajoute-t-il en riant.
De trop rares sources de revenus
De retour dans le local où l'on grille les arachides, Jamilla, Hamsou et leur équipe travaillent tout l'après-midi pour extraire 22 litres d'huile raffinée des 80 kilogrammes d'arachides récupérés auprès d'un producteur du village voisin. « C'est une huile qui se vend facilement parce qu'elle est de bonne qualité et saine », explique Jamilla.
L'argent issu de la vente de l'huile est versé dans un fonds collectif qui ensuite réparti équitablement entre les membres de la coopérative, dont 16 femmes réfugiées et quatre membres de la communauté d'accueil.
Mais la vie est loin d'être facile dans cette région du Sahel où les températures augmentent 1,5 fois plus vite que la moyenne mondiale, selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. La région est balayée par des vents de sable et les températures atteignent souvent 40° Celsius à cette époque de l'année, ce qui rend toute activité agricole quasiment impossible. Les habitants et les réfugiés sont confrontés aux mêmes défis lorsqu'il s'agit de trouver du travail et de la nourriture en quantité suffisante. « Je me sens en sécurité maintenant, mais la vie est difficile », confie Jamila. « Mon mari n'a pas de travail et il y a peu d'activité économique. L'aide que nous recevons est très limitée. »
Chaque réfugié dans les villages d'opportunité reçoit une aide mensuelle en espèces de 3500 CFA (5,90 dollars) du Programme alimentaire mondial des Nations Unies. Ce montant, qui était de 5000 CFA (8,42 dollars) l'année dernière mais a été revu à la baisse en raison d'un manque de financement, est à peine suffisant pour acheter de la nourriture, sans parler des autres produits de première nécessité, explique Jamila.
A 17 heures, le soleil est encore très fort et Jamilla rejoint Hamsou à l'ombre de la cour où jouent ses dix enfants. « Nous nous retrouvons parfois à la fin de la journée pour discuter », commente Hamsou.
Bien que son pays lui manque, Jamilla est réaliste quant à la possibilité de rentrer chez elle dans un avenir proche : « Bien sûr, j'aimerais retourner dans mon village, mais la sécurité n'est pas encore assurée. S'il le faut, je resterai à Garin Kaka en toute tranquillité. Je me suis fait des amis ici. »