"Les montagnes qui entourent Kaboul me rappellent la Suisse"
"Les montagnes qui entourent Kaboul me rappellent la Suisse"
Nom: Christof Portmann
Lieu d'affectation: Kaboul, Afghanistan
Fonction: Senior Policy Officer
Travaille au HCR depuis: 2008
Comment en arrive-t-on à travailler pour le HCR à Kaboul?
Je n'avais pas prévu de travailler en Afghanistan. Mais, au HCR, votre carrière vous conduit souvent dans des endroits intéressants et inattendus. Je pense que ma carrière et mes centres d'intérêt m'ont, d'une certaine manière, guidés naturellement vers l'Afghanistan.
J'ai commencé à travailler avec le HCR en 2008 au Bureau pour la Suisse et le Liechtenstein. Depuis, j'ai travaillé dans différents contextes, comme en Tunisie pendant le conflit en Libye, en Jordanie et au Liban au plus fort de la crise syrienne ou au Yémen jusqu'à ce que la guerre y éclate. J'ai également occupé des fonctions au siège du HCR à Genève, notamment au sein du bureau de la Haute Commissaire assistante en charge de la protection.
Comme de nombreux-euses collègues du HCR, j'ai travaillé là où c'était nécessaire, ce qui m'a amené à effectuer des missions dans de nombreux pays d'Europe, du Moyen-Orient, d'Afrique et d'Asie.
Ces diverses expériences m'aident aujourd'hui à naviguer dans l'un des paysages humanitaires les plus sensibles et les plus difficiles du monde sur le plan politique.
À quoi ressemble une journée de travail typique?
Ma vie quotidienne à Kaboul se déroule dans une enceinte sécurisée. Mon bureau est situé à quelques mètres de mon quartier d'habitation et me rappelle constamment les préoccupations en matière de sécurité et l'environnement distinct qu'elles nécessitent. Des gardes armés patrouillent le périmètre de l'enceinte, mon bureau est équipé d'un casque et d'un gilet pare-balles. Les fenêtres sont renforcées par des films anti-explosion qui filtrent également la lumière du soleil.
Il est parfois oppressant d'être entouré de hauts murs et de barbelés, c'est pourquoi je monte souvent sur le toit, d'où l'on peut voir les magnifiques sommets qui entourent Kaboul. Les montagnes me rappellent mon pays, et je me dis souvent qu'il serait formidable de pouvoir sortir et de marcher dans ces montagnes. Étant donné cette vie très confinée, toutes les quatre semaines, nous quittons le pays pendant une semaine pour nous "reposer et récupérer".
Depuis la prise de pouvoir des talibans en 2021, la situation en matière de sécurité s'est améliorée, ce qui nous permet d'accéder à toutes les régions de l'Afghanistan, moyennant des mesures de sécurité appropriées. Une semaine de travail typique peut inclure des visites dans nos bureaux dans des villes comme Kandahar ou Mazar-i-Sharif pour discuter des questions d'actualité avec nos collègues, des visites dans les zones frontalières près de Jalalabad et Herat pour soutenir les personnes réfugiées qui reviennent, et des rencontres avec des Afghan-e-s déplacé-e-s ou des rapatrié-e-s pour comprendre leurs besoins.
Je constate que chaque jour présente de nouveaux défis. L'Afghanistan subit fréquemment des catastrophes naturelles telles que des sécheresses, des inondations, des tremblements de terre et d'autres situations d'urgence auxquelles le HCR répond.
Quels sont les plus grands défis à relever dans le cadre de votre travail?
Depuis août 2021, les autorités afghanes de facto n'ont cessé de restreindre les droits des femmes et des jeunes filles. Leurs décrets interdisent aux filles d'aller à l'école secondaire et limitent l'accès des femmes aux universités et aux opportunités sociales et économiques. Les ONG et les agences des Nations unies se heurtent à des obstacles pour employer des femmes afghanes. Ces interdictions ont un impact considérable sur les femmes et les filles en Afghanistan, ainsi que sur notre façon de travailler.
En outre, dans un contexte de pauvreté et de malnutrition croissantes, l'Afghanistan est confronté à des pressions supplémentaires dues à des retours massifs, tels que le projet du Pakistan de rapatrier 1,3 million d'étrangers, principalement des Afghan-e-s. Nous constatons que ces retours pèsent encore plus sur les ressources déjà limitées des communautés d'accueil en Afghanistan. L'insuffisance des financements exacerbe la situation, en creusant potentiellement le fossé entre les besoins et l'aide fournie par les donateurs. Par conséquent, le maintien de l'aide aux populations déplacées dans cet environnement complexe reste un défi majeur.
D'un point de vue personnel, le fait d'être constamment entouré et exposé à la souffrance et aux difficultés n'est pas facile. Bien que chaque collègue trouve sa propre façon de faire face à ces difficultés, j'apprécie la façon dont nous nous soutenons les uns les autres pour maintenir une perspective positive au jour le jour. Ces expériences partagées et ce soutien mutuel forgent souvent des liens qui durent toute la vie.
L'Afghanistan est caractérisé par l'insécurité depuis de nombreuses années. Comment le HCR promeut-il des solutions durables pour les personnes déplacées à l'intérieur du pays et les personnes de retour?
Avec la fin des hostilités majeures en Afghanistan après près de 40 ans, les conflits actifs n'entraînent plus de déplacements comme auparavant. Néanmoins, 3,2 millions d'Afghan-e-s restent déplacé-e-s à l'intérieur du pays en raison du conflit. Plus de 5,5 millions sont aussi enregistré-e-s comme réfugié-e-s ou se trouvent dans des situations similaires à celles de réfugié-e-s dans la région. Les besoins humanitaires persistent en raison de la pauvreté, de l'insécurité alimentaire et des lacunes dans les services essentiels.
Il est donc essentiel d'aligner les réponses d'urgence immédiates sur les stratégies à long terme. L'aide humanitaire ne peut à elle seule répondre durablement aux crises profondément enracinées en matière de protection, de droits de l'homme fondamentaux et de besoins humanitaires résultant de décennies de conflit, du changement de régime de 2021, de catastrophes naturelles récurrentes et du retour massif des réfugié-e-s afghan-e-s.
Dans le cadre de ses efforts visant à garantir des solutions durables pour les populations déplacées, le HCR a mis en place une approche "communautaire globale" pour soutenir des populations entières, y compris les communautés d'accueil, en renforçant la capacité locale à intégrer les personnes déplacées et les rapatrié-e-s.
"Le fait d'être constamment entouré et exposé à la souffrance et aux difficultés n'est pas facile"
Si vous suivez les nouvelles de l'Afghanistan depuis la Suisse, vous pouvez vous sentir impuissant face à la situation des femmes et des jeunes filles. Que fait le HCR?
La situation des femmes et des jeunes filles est désastreuse. Cependant, je tire de l'espoir du fait que le HCR continue à donner la priorité aux activités relevant de son mandat pour faire face à cette situation et je pense que notre travail permet d'atténuer de manière significative ces difficultés.
En réponse au déni systématique des droits, du bien-être et de l'identité des femmes par les autorités de facto, le HCR veille à ce que les femmes et les jeunes filles de tous âges soient prioritaires pour l'assistance et les services, en se concentrant particulièrement sur le soutien aux ménages dirigés par des femmes et aux femmes confrontées à des risques accrus. Nous veillons à ce que les initiatives du HCR - de l'inclusion financière à la formation professionnelle - soient conçues pour répondre aux besoins spécifiques des femmes.
En outre, le HCR contribue au plaidoyer crucial des Nations unies en faveur des droits des femmes et des jeunes filles, en recherchant le soutien de partenaires extérieurs pour amplifier ces efforts.
Comment le gouvernement suisse contribue-t-il au travail du HCR en Afghanistan?
Par l'intermédiaire de sa Direction du développement et de la coopération (DDC), la Suisse a directement soutenu le HCR en Afghanistan à hauteur de plus de 7 millions de dollars au cours des trois dernières années.
Au-delà de cette contribution financière, le soutien de la Suisse aux femmes et aux filles afghanes est plus que jamais essentiel. Il s'agit notamment de défendre activement les droits des femmes, de soutenir les efforts humanitaires et les droits de l'homme en Afghanistan, mais aussi de veiller à ce que les personnes qui parviennent en Suisse y trouvent la sécurité et la possibilité de reconstruire leur vie.
En outre, en tant que citoyen suisse, j'ai souvent constaté que la réputation internationale de la Suisse pour sa forte tradition humanitaire a permis d'établir un rapport utile avec les homologues et d'ouvrir des portes. Je pense qu'il est essentiel de maintenir cette réputation par des actions et des politiques positives et cohérentes, en particulier à l'heure où le monde est de plus en plus touché par l'adversité. L'engagement constant de la Suisse en faveur des valeurs humanitaires sera essentiel pour favoriser la coopération et le soutien en ces temps difficiles.
Quelle est la meilleure expérience que vous ayez eue en travaillant pour le HCR?
L'une des expériences les plus enrichissantes pour moi a été le travail que j'ai effectué dans le domaine de la réinstallation.
La réinstallation vise à trouver des solutions durables pour les réfugié-e-s qui sont confronté-e-s à des risques ou à des défis importants dans leur premier pays d'asile, tels que des menaces pour la sécurité ou des possibilités limitées d'intégration et de moyens de subsistance.
Ce travail m'a donné l'occasion de renouer avec des réfugié-e-s qui m'avaient raconté leurs souffrances et leurs abus sous une tente, sous le soleil brûlant du désert, près de la frontière libyenne en Tunisie. Quelques mois plus tard, j'ai rencontré la même personne à Berne, alors qu'elle avait trouvé un nouveau foyer en Suisse. Être témoin de la profonde transformation positive de leur vie alors qu'ils et elles trouvaient la sécurité et la stabilité a été immensément gratifiant.
Leur résilience et les progrès qu'ils ont accomplis après de telles épreuves m'ont profondément ému, soulignant l'impact de nos efforts et l'importance d'offrir un refuge à ceux qui en ont besoin.
"La résilience et les progrès accomplis par certaines personnes réfugiés après de grandes épreuves m'ont profondément ému"
Recommanderiez-vous à d'autres Suisses de s'engager auprès du HCR? Selon vous, quelles sont les qualités les plus importantes à posséder pour travailler pour le HCR?
Travailler pour le HCR est incroyablement gratifiant et significatif, même si cela peut aussi être difficile. Le fait de faire partie des Nations unies m'a permis de me sentir connecté au monde qui m'entoure, car la plupart des nouvelles mondiales ont un impact sur ce travail d'une manière ou d'une autre.
La flexibilité est essentielle au HCR, car les situations peuvent changer rapidement, ce qui nécessite une adaptation rapide aux nouvelles circonstances et priorités. Cette capacité d'adaptation s'étend non seulement à nos rôles professionnels, mais aussi à nos vies personnelles. L'engagement est également essentiel, étant donné les longues heures de travail, les environnements difficiles et les questions complexes qui exigent un dévouement soutenu pour obtenir des résultats positifs pour les populations déplacées. La diversité des points de vue est essentielle au sein des équipes multiculturelles du HCR et lors des contacts avec des personnes d'origines diverses. En outre, la compassion nous permet de comprendre les besoins de ceux que nous servons et de trouver des solutions efficaces.
Pour moi, l'impact profond du travail du HCR et la possibilité de faire une réelle différence dans la vie des gens rendent ce travail profondément gratifiant.