Un nombre croissant de réfugiés et de migrants traversent une jungle hostile en quête de sécurité
Un nombre croissant de réfugiés et de migrants traversent une jungle hostile en quête de sécurité
Les plaies sur les jambes de Mariana*, causées par les bottes en caoutchouc qu'elle a portées lors de ce périple épuisant dans la jungle du Darien, vont bientôt guérir. Mais la guérison des blessures moins visibles liées à l'expérience éprouvante qu'elle a vécue dans cette zone montagneuse recouverte de forêt tropicale - qui sépare l'Amérique du Sud de l'Amérique centrale - prendra probablement beaucoup plus de temps.
Pendant cinq jours épuisants, Mariana a franchi des collines boueuses aux pentes incroyablement raides et traversé des rivières aux eaux tumultueuses. Elle a également croisé le chemin des bandits armés. Elle fait partie d'un nombre croissant de réfugiés et de migrants venus de différents pays d'Amérique latine et d'ailleurs, prêts à braver la nature inhospitalière à la recherche de sécurité, de protection et d'un endroit où se sentir chez soi.
Mariana a d'abord fui son pays, le Venezuela, pour se rendre en Colombie, où elle a tenté de s'établir dans un premier temps dans la ville frontalière de Cúcuta, puis dans la capitale, Bogota. Mais elle a eu du mal, avec les petits boulots qu'elle trouvait, à subvenir à ses propres besoins et à ceux de ses parents et de ses six frères et sœurs restés au Venezuela.
« Pour nous, il n'est pas facile de trouver un emploi stable, et ce qui est disponible n'est pas suffisamment bien payé », explique-t-elle, ajoutant que nombre de ses compatriotes ne semblent pas s'en sortir beaucoup mieux ailleurs dans la région.
Plus de six millions de Vénézuéliens vivent à l'étranger après avoir fui un contexte de pénurie de nourriture et de médicaments, ainsi que l’insécurité croissante dans leur pays. Bien que quelque 2,6 millions de Vénézuéliens aient bénéficié de permis de résidence ou d'autres types de visas dans différents pays d'Amérique latine, un nombre pratiquement équivalent de personnes vivent à l'étranger sans ces documents.
Même pour ceux qui ont des papiers, les possibilités de recommencer leur vie en toute dignité sont rares. Cette situation, à laquelle s'ajoute l’impact économique de la pandémie de Covid-19, a contraint de nombreuses personnes à entreprendre des voyages périlleux. Elles se sont ainsi jointes au grand nombre de réfugiés et de migrants venus d'Haïti, de Cuba et d'ailleurs, qui ont également eu du mal à se stabiliser dans les pays d'Amérique du Sud et ont choisi de partir vers le nord.
Malgré le terrain accidenté et les conditions dangereuses, rien qu'en 2021, un nombre record de 133 000 personnes ont selon les autorités panaméennes franchi le passage du Darien entre la Colombie et le Panama, une traversée éprouvante à laquelle peu de personnes sont préparées.
*Traversées de la Colombie vers le Panama via le passage du Darien (en nombre de traversées)
Source : Service d'immigration du Panama
« J'avais entendu dire que c'était risqué, mais je ne pensais pas que ce serait aussi dangereux », raconte Mariana, désormais en sécurité dans le centre d'accueil gouvernemental de Lajas Blancas, dans le sud du Panama.
Au troisième jour de son voyage, le groupe d'Haïtiens, de Sénégalais et de Vénézuéliens avec lequel elle voyageait a croisé trois hommes armés qui ont volé les quelques affaires et le peu d'argent qu'ils avaient.
L'un d'eux a dit au groupe de continuer mais a pris Mariana à part. Il l'a ensuite violée derrière des arbres.
Il m'a dit : « Si tu te comportes bien et que tu ne me caches pas d'argent, tu pourras rattraper ton groupe. Sinon, tu finiras comme les autres. » Mariana avait vu les cadavres de quatre femmes qui avaient été abattues sur le sentier, et savait donc très bien à quoi il faisait référence. Plus de 50 corps ont été retrouvés sur les sentiers de la jungle en 2021, selon les médias, mais on estime que cela ne représente qu'une fraction de tous les décès sur le parcours.
Au centre d'accueil, Mariana a reçu un traitement pour éviter une grossesse non désirée et contre les maladies sexuellement transmissibles. Elle a également déposé une plainte auprès des autorités panaméennes, qui ont déployé des agents dans la région pour poursuivre en justice les auteurs de tels actes.
Le HCR, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés, soutient les réfugiés et les migrants en fournissant des abris temporaires, des couvertures, des lits de camp et des kits d'hygiène dans les deux centres d'accueil du gouvernement. Il apporte également son soutien aux communautés autochtones isolées pour tenter d'atténuer l'impact du passage de centaines de personnes par leurs villages.
L'année dernière, la majorité des personnes qui ont traversé le Darien étaient d'origine haïtienne. La plupart avaient passé des années au Chili ou au Brésil, après avoir fui leur foyer à la suite du tremblement de terre meurtrier de 2010 qui a rasé une grande partie de la nation insulaire. Mais un mélange d'obstacles administratifs pour renouveler les permis de résidence, de difficultés économiques et de discrimination dans leurs pays d'accueil initiaux a poussé beaucoup d'entre eux vers le nord, souvent avec des enfants en bas âge nés dans les pays où ils s'étaient installés.
Dieufaite Sylvain, un ressortissant haïtien, a traversé le passage du Darien avec sa femme Cherlie et ses trois jeunes enfants, âgés de 6, 5 et 2 ans, tous nés à Santa Catarina, au Brésil. Dieufaite y travaillait dans la construction depuis son départ d'Haïti en 2013, mais l'impact de la pandémie de Covid-19 a rendu les opportunités de travail de plus en plus rares. Dans le même temps, les besoins de leur famille restée en Haïti, qui comptait sur son soutien financier, se sont accrus dans le contexte d'instabilité qui a suivi l'assassinat du président Juvénal Moise et un autre tremblement de terre en 2021.
Il a fallu 11 jours à la famille pour traverser la jungle. En chemin, ils ont été accostés par des bandits qui leur ont volé tout leur argent et leurs téléphones portables. Après avoir épuisé leurs réserves de nourriture au milieu du voyage, ils ont souffert de la faim pendant cinq jours. Par deux fois, leur plus jeune enfant, Esteline, a failli être emportée par les rivières déchaînées qu'ils ont dû traverser au cours de leur périple.
« Je la portais, je suis tombé, et elle est tombée avec moi. Dieu m'a aidé », raconte Dieufaite.
La famille est maintenant bloquée au centre d'accueil de Lajas Blancas jusqu'à ce qu'elle puisse convaincre un chauffeur de bus de leur accorder une réduction sur le prix du trajet jusqu'à la frontière avec le Costa Rica. Ils envisagent de s'installer là-bas ou de se rendre plus au nord, au Mexique. En 2021, plus de 51 000 ressortissants haïtiens ont déposé une demande d'asile au Mexique, soit le nombre le plus élevé de nouvelles demandes d'asile dans le pays, toutes nationalités confondues.
Au cours des deux premiers mois de 2022, ce sont les Vénézuéliens qui sont devenus la première nationalité à franchir le Darien, avec plus de 2400 personnes, soit presque autant que pour toute l'année 2021. En janvier et février, près de 2000 Vénézuéliens ont déposé une demande d'asile au Mexique, ce qui représente près d'un tiers de toutes les demandes déposées par des Vénézuéliens en 2021.
Antonio*, un Vénézuélien qui a traversé le Darien avec Mariana, a déclaré que bien qu'il ait passé six ans en Colombie après avoir fui le Venezuela, la détérioration de la situation sécuritaire dans ce pays l'a poussé à se déplacer vers le nord. Il a expliqué qu'il avait des amis au Mexique et qu'il tenterait de s'y installer. Après tant de temps passé en déplacement, « je veux juste vivre en paix », a-t-il conclu.
*Les noms ont été modifiés à des fins de protection