Fermer sites icon close
Search form

Recherchez un site de pays.

Profil du pays

Site web du pays

Une poétesse syrienne trouve dans une ville polonaise la paix et l'espace pour s'exprimer

Articles et reportages

Une poétesse syrienne trouve dans une ville polonaise la paix et l'espace pour s'exprimer

La poétesse Kholoud Charaf profite d'une autorisation de séjour de deux ans à Cracovie pour mettre en lumière les souffrances de ceux qui ont été contraints de fuir le conflit dans son pays natal.
30 Octobre 2018 Egalement disponible ici :
Grâce à une bourse de deux ans, la poétesse Kholoud Charaf, trouve la paix et le calme nécessaires pour écrire à Cracovie, une ville dotée d'une riche tradition littéraire.

Grâce à une autorisation de séjour de deux ans dans la ville polonaise de Cracovie, la poétesse syrienne Kholoud Charaf met à profit sa situation nouvelle pour faire connaître les souffrances causées par la guerre civile en Syrie ainsi que celles des réfugiés qui ont fui le conflit.


Dans sa poésie et ses textes et, plus directement, lors de ses interventions en public, elle transmet par ses mots les épreuves de ses concitoyens, appelant les peuples à ouvrir leur cœur aux réfugiés.

Elle fait comprendre à ceux qui l'écoutent que « la souffrance d'une quelconque nation est aussi celle du grand corps de l'humanité ».

« Les réfugiés sont des êtres humains tout comme vous. Nous n'avons pas quitté nos foyers, nos souvenirs, nos enfances, notre langue et notre culture parce que nous voulions vous priver de vos propres existences. Nous sommes partis parce que la guerre nous y a contraints ».

Kholoud elle-même n'est pas une réfugiée : elle est arrivée à Cracovie en début d'année après avoir reçu une bourse pour un stage en résidence qui lui permettra de passer deux ans à écrire dans un espace paisible. Son séjour est financé par la Ville de Cracovie qui a mis à sa disposition une chambre de la Villa Decius, un palais restauré de la Renaissance qui abrite aujourd'hui un centre culturel dans un quartier boisé de la ville.

« Cracovie me donne le sentiment de rentrer chez moi », dit Kholoud, 38 ans, qui depuis son arrivée de Syrie en février consacre ses journées à peindre et à écrire des poèmes et et de la prose.

Kholoud a été sélectionnée en tant qu'écrivaine digne d'être soutenue par le Réseau international de villes refuges (ICORN), une organisation norvégienne qui regroupe près de 70 villes offrant un refuge temporaire aux auteurs confrontés à la persécution.

« Quand on a la tête prise dans l’étau de la peur, il est impossible d'écrire librement. »

En 2011, Cracovie — une ville au riche passé littéraire qui a vu naître des écrivains tels que Joseph Conrad, Stanislaw Lem et Czeslaw Milosz — est devenue la première ville d'Europe centrale et orientale à devenir membre de l'ICORN.

Le stage en résidence de Kholoud a été mis en place avec le soutien de la municipalité de Cracovie, de l'Association de la Villa Decius et du Bureau du Festival de Cracovie.

« Nous essayons de donner une voix à la solidarité dans un contexte de phobie des réfugiés en Europe de l'Est », explique Robert Piaskowski, le directeur de la programmation du Bureau du Festival de Cracovie.

« Quand on a la tête prise dans l’étau de la peur, il est impossible d'écrire librement », dit Grzegorz Jankowicz, un journaliste et qui aide à promouvoir Kholoud et à lui faire rencontrer d'autres écrivains.

« C'est intéressant pour moi de travailler avec elle », dit Paweł Łyżwiński, l’aide de Kholoud à la Villa Decius. « Sa poésie et son attitude face à la vie sont empreintes de spiritualité ; à contre-courant de notre conception rationnelle du monde ».

Kholoud est originaire du village d'Al Mjemr, à proximité de Sweida, une ville à prédominance druze située dans le sud-ouest de la Syrie.

Enfant, elle a reçu un douloureux enseignement sur la fragilité de la vie et notre incapacité à prévenir la souffrance.

« Nous autres les humains, nous avons cette bassesse en nous. Nous tentons de la dissimuler, mais sans y parvenir. »

« J'étais dans ma chambre. J'ai ouvert la fenêtre pour me sentir proche de la nature. Juste dehors, il y avait un gros papillon qui battait des ailes. C'était l'automne et le papillon recherchait la chaleur. Il y avait aussi un gros scorpion noir, aussi gros que ma main. Le scorpion s'est emparé du papillon qui a essayé de s'échapper. C'était un véritable combat. Et je ne pouvais rien faire à cause de la moustiquaire sur la fenêtre. »

Ce souvenir lui a inspiré le titre de son tout premier recueil de poèmes, « Les restes d’un papillon », qui a été publié en 2016 et salué par les critiques de langue arabe.

En visite à l'ancien appartement de Czeslaw Milosz, prix Nobel de littérature aujourd'hui décédé, Kholoud a trouvé une traduction de ses poèmes en arabe.

Après avoir quitté l'Université de Damas avec son diplôme de technicienne médicale, Kholoud a eu d'autres occasions d'apprendre l'empathie et l'impuissance. Elle travaillait dans l'unité médicale d’une prison pour femmes et n’a pu empêcher la mort d'une détenue.

Puis, elle a vécu encore plus intensément la détresse de l'observateur impuissant en juillet 2018, quand sa ville natale a été attaquée par l'État islamique (EI), une expérience qu'elle a relatée depuis Cracovie dans un article écrit pour Pen International.

« Nous autres les humains, nous avons cette bassesse en nous. Nous tentons de la dissimuler, mais sans y parvenir. Je suis toujours passionnée, toujours avec le désir d'aider. Mais parfois, il n'y a rien que je puisse faire. »

Dans la vieille ville de Cracovie, Kholoud trouve des échos de Damas, « la foule, les magasins de friandises, les arches, les pigeons, les dômes »…

« Je câline cette petite en moi et je lui dis que tout va bien, qu'elle n'est pas seule. »

En regardant les livres dans l'ancien appartement de Czeslaw Milosz qui accueillera sous peu des ateliers d'écriture, Kholoud dit qu'elle peut sentir la présence de l'ancien prix Nobel.

« Je sens qu'il (Milosz) est là. Je pourrais écrire très facilement dans ce lieu », ajoute-t-elle dans un murmure en observant par la fenêtre la cour tranquille en contrebas.

Dans la tranquillité de Cracovie, Kholoud a pu achever un second livre, une autobiographie intitulée Voyage de retour.

« Le livre parle de l'enfant que j'étais et de la femme que je suis aujourd'hui » dit-elle. « Je câline cette petite en moi et je lui dis que tout va bien, qu'elle n'est pas seule ».

Nous parlons des épreuves que traversent les Syriens en Syrie comme en exil et les yeux de Kholoud s’embuent de larmes. Tout ce qu'elle peut faire, c'est observer et écrire à l'écart.

Dans un émouvant poème sur la guerre, elle conclut :

Ils ont emporté les restes de ce qu'ils furent

Pris un peu de café

Un stylo

Une poignée de souvenirs enveloppés dans le mouchoir d'une mère

Et s'en sont allés vers les montagnes

Où vivent les aigles des contes de leur grand-mère