Un groupe de jeunes déplacés en Colombie met en musique son quotidien
Un groupe de jeunes déplacés en Colombie met en musique son quotidien
BUENAVENTURA, Colombie, 19 mai (HCR) - Ils se sont regroupés dans la rue en grand nombre, la tête dressée, les épaules carrées et paraissent des durs à cuire derrière leurs lunettes de soleil et leurs casquettes de baseball. Il y a de la tension dans l'air, les habitants du bidonville regardent depuis le deuxième étage, ne sachant pas bien à quoi s'en tenir.
Puis la musique rugit et les caméras commencent à tourner. C'est This is My Territory, un groupe musical de 27 jeunes Afro-Colombiens, qui tourne son premier clip avec le soutien du HCR. Tous les éléments de cette production sont faits maison, depuis le son original enregistré sur un vieil ordinateur portable appartenant à l'un d'entre eux au studio d'enregistrement de fortune fait de boites à oeufs et au lieu de tournage situé dans le barrio local (quartier).
Ce groupe s'est formé et a trouvé son nom après un festival de musique urbaine qui a duré deux jours en décembre dernier. Cet événement a fourni une plateforme pour plus de 300 jeunes qui s'organisent eux-mêmes contre la violence à Buenaventura, le port le plus important de la région de la côte Pacifique en Colombie, où vivent un grand nombre de personnes déplacées par les affrontements entre groupes armés illégaux sévissant dans les régions environnantes.
Ubaldino, âgé de 28 ans et membre du groupe, a été déplacé en 2006 après des meurtres près de la rivière Cajambre. « Les gens recevaient des menaces. S'ils ne se soumettaient pas à la volonté des groupes armés irréguliers, leur mort était écrite. La meilleure solution était de fuir et de perdre nos plantations, pour tout recommencer à zéro », a-t-il dit. « Ma mère est morte d'une attaque cérébrale peu après car sa vie avait complètement changé et elle a beaucoup souffert. »
Le Père Adriel, qui travaille avec la jeunesse du barrio de Lleras à Buenaventura depuis cinq ans, a expliqué : « Le conflit armé a détruit la structure familiale et très peu d'entre eux ont des parents. Leur vie se résume à une lutte, même pour un repas quotidien. »
Un grand nombre des jeunes déplacés occupent des emplois précaires comme chauffeur de bus, cordonniers, barbiers, pêcheurs ou maçons. Ils n'ont pas tous eu la chance de finir l'école car l'argent leur a manqué ou ils devaient aider à subvenir aux besoins de leur famille étendue. Ils vivent dans les bidonvilles de Llera, sur des terrains récupérés sur la mer et comblés par des décharges, des coquillages, la mangrove, de la boue, des graviers et du ciment.
Ces réalités se reflètent dans leurs morceaux de musique. « La musique, c'est tout pour moi », a expliqué Angel, le leader du groupe. « Je joue depuis que j'ai huit ans. La première fois que j'ai été déplacé, j'ai dormi dans un arbre et j'ai vécu en mangeant du pain, de l'eau et du sucre brun. Parfois il n'y a pas d'opportunités pour les jeunes dans ma région. C'est que j'ai été obligé de faire, je l'ai fait car je n'avais pas d'autre choix. »
Les questions foncière et d'identité sont des points clés de leur message. « Le territoire, c'est la vie et la vie est impossible sans territoire », chante le groupe dans l'un de ses morceaux. Un membre du groupe, Jason, 22 ans, explique, « This is My Territory est un groupe de jeunes gens qui ont vécu la faim, la violence, plein d'autres choses et malgré cela, nous sommes aujourd'hui réunis grâce à la musique. La musique nous aide à faire passer des messages aux gens et notre message, c'est que les jeunes gens luttent pour leurs terres. »
Le conflit armé a encore augmenté les difficultés dans certaines régions pour les jeunes d'utiliser les parcs et les terrains de sport. Les jeunes de Buenaventura sont plutôt désireux de participer à la construction d'espaces de vie et de projets publics pour défendre le territoire et les droits des communautés.
« Nous appartenons à un groupe ethnique [afro-colombien] qui a des caractéristiques spécifiques. Nous avons nos propres cultures et traditions, nous partageons une histoire commune et nous conservons notre identité », a indiqué un membre du groupe, parlant au nom de ses camarades. « La consultation est importante. Nous devons garantir le droit de participation libre et de prise de décision pour nous développer, nous et notre communauté, et grâce à ça, pour améliorer nos conditions de vie. »
Quelque 75 500 Colombiens sont actuellement déplacés à Buenaventura depuis les rives de la région de la côte Pacifique et de différents quartiers de Buenaventura.
Par Francesca Fontanini, à Buenaventura, Colombie