Un duo syrien apprend le rap aux élèves français
Un duo syrien apprend le rap aux élèves français
Comment intéresser des adolescents à ce qui se passe dans le monde ? Deux musiciens syriens réfugiés ont trouvé la réponse : demandez-leur d'aborder ces sujets grâce au hip-hop et au rap.
Yasser et Mohamed Jamous, deux frères et rappeurs, faisaient partie d’un groupe de réfugiés qui se sont rendus, au début de ce mois, dans les écoles de la région française de Normandie.
Pendant une semaine, des écoles ont accueilli des réfugiés originaires d'Iraq, du Soudan, d'Iran, de Syrie et d'autres pays, pour raconter leurs histoires et parler de leurs cultures, de leurs compétences et de leurs talents. Il s’agissait de chefs, de musiciens, de journalistes, d’agriculteurs et d’architectes.
Yasser et Mohamed ont fondé le groupe ‘Refugees of Rap’ en 2007, à Yarmouk, dans la banlieue de Damas, où vivent des réfugiés palestiniens. Les paroles de leurs morceaux de rap évoquent la vie et le conflit en Syrie. Ils ont dû fuir leur pays d'origine en 2013 et ont obtenu le statut de réfugié en France un peu plus tard, la même année.
Le duo a organisé un atelier de rap et de hip-hop, dans le collège de la ville de Trévières, pour apprendre aux élèves à composer des morceaux sur les thèmes de l’exil et de la liberté d’expression.
L’objectif de cette semaine d’activités était de sensibiliser les élèves à la question des réfugiés et aux déplacements forcés de populations dans le cadre d’un partenariat entre le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, et le Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre.
« Je pense qu'avec la musique, pas seulement le rap, on trouve cette énergie de la jeunesse. »
Ce prix, décerné chaque année et remis par la ville de Bayeux et le Département du Calvados, rend hommage aux journalistes de guerre. Il a été créé en 1994 pour commémorer le 50ème anniversaire du débarquement en Normandie lors de la Seconde Guerre mondiale.
« Pour les ados de 13 à 18 ans, ça ne les intéresse pas de chercher sur les réseaux sociaux ce qui se passe ailleurs dans le monde, pourquoi il y a une crise de réfugiés et pourquoi il y a des guerres », dit Yasser. « Je pense qu'avec la musique, pas seulement le rap, on trouve cette énergie de la jeunesse. »
« Si tu parles avec un adolescent de la guerre et de la Syrie, je ne sais pas s'il sera intéressé mais si tu lui parles en musique et tu lui dis : ‘aujourd'hui, tu vas rapper’, je pense que ça va l'intéresser. »
« C'est important pour nous de s'adresser aux collégiens, aux étudiants en général, pour clarifier ce qui se passe en Syrie, pourquoi il y a beaucoup de réfugiés qui sont partis et c'est la crise des réfugiés, et en même temps pour leur montrer qu'avec l'art et la musique, on peut résister, on peut s'exprimer et passer un message pacifiquement, » ajoute Mohamed.
Après le déjeuner à la cantine de l’école, qui avait été préparé par Maryam Hani, une réfugiée iraquienne qui vit dans le nord de la France, les élèves ont eu l’occasion de participer à un atelier de rap dans l’après-midi.
Un peu timides au départ, ils ont été intrigués puis, très vite, ce fut la compétition pour présenter chacun l’arrangement réalisé.
« C'est incroyable comment ils arrivent à garder le sourire face à ce qu'ils ont vécu. »
« C'était génial parce que c'est une chance de rencontrer des personnes comme ça, qui ont fui un pays et qui nous expliquent tranquillement ce qu'ils ont fait, » explique Maïwenn, âgée de 14 ans. « C'est incroyable comment ils arrivent à garder le sourire face à ce qu'ils ont vécu. »
Durant l’atelier, un autre élève, Alexandre, âgé de 14 ans, a voulu rapper à propos d’un réfugié soudanais, Hassan Mahamat, qui avait raconté son histoire le matin dans la classe d’Alexandre.
Après avoir quitté le Soudan, Hassan s’est retrouvé dans un centre de détention en Libye, avant de traverser la mer Méditerranée pour rejoindre l’Europe à bord d’un canot pneumatique. Il a eu de la chance : il a survécu à la traversée, mais il a vu d’autres passagers périr lorsque le bateau a coulé.
« Mon texte parlait de la liberté. Il y avait une phrase : ‘même si la mer ne nous a pas gâté, on était bien arrivé.’ On parlait du trajet qui n'était pas toujours facile, » a dit Alexandre.
Les enseignants étaient ravis de l’atelier de rap.
« C'est vrai que nos élèves voient beaucoup de choses à la télévision, entendent beaucoup de choses sur les migrants, sur les réfugiés, » explique Isabelle Boisset-Vinault, Professeur d'histoire-géographie.
« Il y a aussi beaucoup d'amalgames qui sont faits. C'était pour nous important de faire venir les réfugiés chez nous pour qu'ils puissent avoir des contacts avec les élèves et que les élèves se rendent compte de la situation. »
« Nous avons travaillé l'année dernière sur la thématique des réfugiés et cette année, en histoire-géographie, nous avons vu les réfugiés de la Première guerre mondiale pour aborder la création du vrai statut de réfugié, ce qui a permis aux élevés de voir que c'est un statut assez récent. » explique-t-elle.
« Il s'agissait ici, en accueillant des réfugiés, de comprendre cette différence [entre réfugiés et migrants] et c'est aussi pour plus de tolérance car à la campagne, même s'ils côtoient peu de réfugiés, peu de migrants, ils ont une image erronée de qui ils sont. » dit-elle.
« Nous espérons que cette journée élargira les perspectives – celle de nos élèves mais aussi celles de leurs familles. »
« Nous espérons que cette journée élargira les perspectives – celle de nos élèves mais aussi celles de leurs familles. »
Le troisième album de Yasser et Mohamed sortira le 25 novembre. Ils seront ensuite en concert à Paris et à Stuttgart pour la sortie de cet album. Le duo totalise des centaines de milliers de vues sur YouTube, ce qui a beaucoup impressionné les élèves, qui n’ont pas hésité à faire la queue pour leur demander de signer des autographes après l’atelier. Cependant, la vie de Yasser et de Mohamed est loin d’avoir été simple.
« Recommencer à avoir un public en France et Europe n'a pas été facile parce qu'on rap en arabe et pour les gens, c'est important de comprendre la parole » a dit Mohamed.
« C'est cette tranche d’âge qui va être le futur et qui va peut-être changer quelque chose, j'espère. »
« Il s'agit aussi de les sensibiliser pour toujours se battre pour la liberté d'expression parce qu'en Occident, en France notamment, il y a cette liberté d'expression qui est précieuse et, des fois, les gens ne se rendent pas compte de ça. »