Les ouvriers afghans des briqueteries pakistanaises tentent d'échapper à la spirale de l'endettement
Les ouvriers afghans des briqueteries pakistanaises tentent d'échapper à la spirale de l'endettement
TARNOL, Pakistan, 20 décembre (UNHCR) - Au Pakistan, on les appelle les piliers de la construction ; ils fabriquent des briques du matin au soir pour soutenir la croissance du pays. Mais les briquetiers afghans qui travaillent dans des endroits comme Tarnol sont en réalité des prisonniers de la pauvreté et de leurs dettes, retenus dans une terre étrangère.
La vie est dure pour les quelque 200 Afghans qui travaillent ici, dans la banlieue de la capitale pakistanaise, Islamabad. Ils vivent dans des cabanes peu solides sur des terrains vagues jonchés de souches de cheminées fumantes. Leur journée de travail commence après la prière du matin et se termine avec celle du soir. Les enfants travaillent dès l'âge de cinq ou six ans.
« Quand mes enfants seront assez grands, ils travailleront ici aussi. Nous voudrions tous que nos enfants aillent à l'école, mais que pouvons-nous faire ? », explique Dad Khan, un homme de 28 ans et père de 4 enfants, originaire de la province de Nangarhar, dans l'est de l'Afghanistan. Il y a cinq ans, sa famille s'est installée à Tarnol, suite au décès du père de Dad Khan dans le camp de Shamshatoo, dans la Province frontière du Nord-Ouest, au Pakistan.
« Nous avons une dette de 60 000 roupies [1 000 dollars] », dit-il. « Mes cinq frères et moi travaillons dans cette fabrique de brique, mais nous avons tant de dépenses, qu'il est difficile de rembourser quoi que ce soit. Ma femme est malade, alors je dépense la majeure partie de notre argent pour ses soins. » En gagnant juste 150 à 200 roupies par jour, il lui faudra des années pour effacer sa dette.
« Nombre d'Afghans sont confrontés à ce problème », indique Qaiser Siddiqi, qui travaille avec SHARP (Society for Human Rights and Prisoners' Aid), un centre de conseil juridique financé par l'UNHCR. « Ils empruntent de l'argent auprès des propriétaires de briqueterie pour construire une maison ou payer des soins médicaux, ce qui les amène ensuite à travailler gratuitement. Souvent ils n'ont aucun document d'identité officiel et ont peur de partir, alors ils sont pris dans un cercle vicieux de pauvreté et de dépendance vis-à-vis de leur employeur. »
Le processus de fabrication des briques est long et fastidieux. D'abord, la terre est transportée par brouette, puis elle est mélangée avec du sable et pétrie au pied. La pâte est pressée dans des moules et sèche au soleil avant que les briques ne soient cuites dans des fours pendant 24 heures. Les pluies infiltrent souvent les briques avant qu'elles ne soient sèches, alors les travailleurs doivent recommencer le travail.
La communauté de Tarnol fabrique 700 000 briques par mois. Elle est payée 140 000 roupies par le propriétaire de la briqueterie pour le travail effectué collectivement. Ces mêmes briques sont vendues à un prix dix fois plus élevé sur le marché de la construction.
« Le travail est irrégulier, trois mois d'activité, deux mois de fermeture », indique Dad Khan. « Nous ne pouvons pas travailler quand il pleut, ou s'il fait trop chaud ou trop froid. Pendant ces périodes, nous ne faisons rien. Nous restons chez nous à ne rien faire et nous nous endettons encore davantage. »
Son voisin pakistanais, Mohammed Ikram, explique que « dès qu'elle atteint les 2 000 roupies, la dette s'accroisse encore et encore, elle ne fait qu'augmenter. J'ai maintenant 20 000 roupies de dette et je ne m'en sors pas. L'un de mes proches a dû vendre un rein. »
Une étude publiée par l'UNHCR en avril 2005 a montré qu'il y avait plus de 3 700 travailleurs afghans dans les briqueteries de la seule province du Punjab au Pakistan. Quelque 80 pour cent d'entre eux ont déclaré que les propriétaires de fours leur avaient octroyé des prêts, la majorité ayant emprunté 50 000 roupies ou moins. Environ la moitié des familles gagnent entre 3 500 et 5 000 roupies par mois. Nombre d'entre elles vivent au Pakistan depuis plus de 20 ans, mais la plupart travaillent dans les briqueteries depuis cinq ans ou moins.
Plus de la moitié de ces travailleurs sont originaires des provinces afghanes de Nangarhar, Kaboul et Kunduz, qui sont les trois zones de retour les plus importantes cette année. Presque tous ceux qui ont été interviewés ont indiqué qu'ils retourneraient en Afghanistan s'ils avaient la possibilité de travailler dans leur région d'origine, notamment dans les briqueteries.
Pour protéger leurs droits au Pakistan, SHARP a mené des sessions de formation et de sensibilisation auprès des fabricants de briques. « Leurs plaintes concernent souvent le harcèlement de la police », a indiqué Qaiser Siddiqi. « Curieusement, la question du travail non rémunéré n'a pas été évoquée. Ici les Afghans sont pris dans une situation contradictoire et inextricable : ils sont désespérés, mais aussi reconnaissants aux propriétaires des briqueteries de les aider. »
Plusieurs familles ici ont réussi à rembourser leurs dettes et à rentrer en Afghanistan, mais ceux qui restent ont le sentiment de se retrouver face à un mur. Une injection d'argent en espèces pourrait rapidement résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés du fait de leur exil.
L'UNHCR a mobilisé des ressources pour essayer de les aider. Quand la saison du rapatriement assisté reprendra au printemps, les Afghans de retour chez eux recevront une allocation d'aide majorée. Selon un recensement des Afghans au Pakistan effectué en mars 2005, quelque 55 pour cent des Afghans sont des travailleurs journaliers. L'UNHCR espère que l'allocation au retour aidera les Afghans endettés comme Dad Khan à rembourser leurs dettes et à construire de nouvelles bases pour leur retour en Afghanistan.
Plus de 2,87 millions d'Afghans ont été rapatriés du Pakistan avec l'aide de l'UNHCR depuis 2002. Environ 2,4 millions d'Afghans vivent encore au Pakistan aujourd'hui.
Par Vivian Tan et Asif Shahzad à Tarnol, Pakistan