Alors que le dernier convoi somalien rentre au pays, les Ethiopiens implorent " ne nous oubliez pas "
Alors que le dernier convoi somalien rentre au pays, les Ethiopiens implorent " ne nous oubliez pas "
DEGAGO, Ethiopie, 26 mai (UNHCR) - Musse Abdi Jilal, un vieillard édenté du village, qui prétend être âgé de 97 ans, ne se souvient que trop bien de la vie dans cette région désolée avant que l'agence des Nations Unies pour les réfugiés ne mette en place des opérations pour protéger et soigner les réfugiés somaliens.
« Si nous étions malades, le dispensaire le plus proche était à Aïsha, à 35 km d'ici. Le seul moyen d'y aller, c'était à dos d'âne ; et cela prenait un ou deux jours pour arriver chez le médecin. » Parfois, des malades mouraient en route.
En 1989, l'UNHCR a ouvert dans l'est de l'Ethiopie, à l'endroit que les gens de la région nomment Degago, un camp qu'il a appelé Aïsha. Depuis, sa clinique soigne les nomades qui vivent là depuis des siècles ainsi que des milliers de réfugiés somaliens accueillis à la fin des années 80. Musse y a également été soigné.
Il se souvient, en caressant sa barbe, à la couleur orange vif car teintée au henné : « Il y a quelques années, j'ai eu une oreille infectée. Un médecin m'a examiné et m'a donné des médicaments. J'étais heureux, car j'allais mieux. Pas seulement moi, mais tous les gens des montagnes », ajoute-t-il avec un grand geste de la main. « Ils y ont été soignés aussi. »
Il est prévu que le dernier convoi de Somaliens quitte le camp d'Aïsha ce samedi (le 28 mai) pour retourner au Somaliland (dans le nord-ouest de la Somalie.) Le camp sera fermé fin juin. Les quelques dizaines de Somaliens qui, pour des raisons de sécurité, ne peuvent encore rentrer chez eux, dans le centre et le sud de la Somalie, seront transférés au camp voisin de Kebribeyah, où ils rejoindront 10 324 personnes. Kebribeyah est le dernier des neuf camps mis en place, il y a 16 ans, pour héberger les Somaliens qui fuyaient la guerre civile et le renversement du régime de Siad Barré.
« La fermeture du camp d'Aïsha est un événement véritablement historique », déclare Fernando Protti, vice-représentant de l'UNHCR en charge des opérations en Ethiopie. « C'est un grand succès : nous avons aidé plus de 600 000 Somaliens à rentrer chez eux, ce qui est toujours la solution préférée des réfugiés. A présent, l'établissement d'un gouvernement de transition en Somalie laisse espérer que les quelques milliers de réfugiés toujours en exil regagneront leur pays dans les prochaines années. »
Mais pour la communauté locale, la fermeture du camp n'est pas une source de réjouissance. « Maintenant, les réfugiés partent », se plaint Musse. « Ils nous aidaient. Je me demande ce que nous allons devenir. »
Vivre à Degago a toujours été difficile. Ce nom est d'ailleurs une référence aux vents violents qui soulèvent le sol du désert en d'énormes tourbillons : Degago signifie « qui coupe l'oreille », dans le dialecte local. Les ethnies somaliennes qui y vivaient étaient traditionnellement nomades, mais elles ont été durement touchées par les sécheresses répétées des années 80.
« Ce camp a représenté une amélioration réelle », déclare Farah Darar, un autre ancien de la communauté, âgé environ de 70 ans. Il ajoute que même ses « arrière-grands-pères » vivaient dans cette région. « Notre troupeau est mort à cause de la sécheresse », dit-il. « Si les réfugiés et l'UNHCR n'avaient pas été là, nous serions morts aussi. Nous sommes devenus une famille. Nous avons mangé la même nourriture, nous avons vécu ensemble. Le camp nous a permis de travailler pour gagner de l'argent. »
Certains endroits du monde sont parfois hostiles aux réfugiés. Ce ne fut pas du tout le cas avec les ethnies d'origine somalienne aux confins de l'est de l'Ethiopie : les gens ont été accueillants, en partie grâce à leur appartenance aux mêmes clans, mais également aux bienfaits de l'action de l'UNHCR et de ses partenaires dans une région longtemps négligée par le gouvernement national. Comme l'explique un vieil homme : « le gouvernement éthiopien ? Nous avions presque oublié que nous sommes ses citoyens ! »
« Pour moi, Aïsha est une communauté très particulière », commente F. Protti. « Ce sont les réfugiés qui lui ont donné vie. Avant qu'ils n'arrivent, presque personne ne connaissait l'existence de cette communauté. La population locale est parfaitement consciente du fait que l'argent qui a afflué dans cette région était dû aux réfugiés. »
Il est donc tout naturel qu'ils demandent à l'UNHCR de les aider alors que les services dont ils dépendent - des puits, des dispensaires et des écoles - commencent à fermer.
Les habitants sont inquiets du nombre d'arbres coupés par les réfugiés pour construire des maisons et pour servir de bois de chauffage. L'UNHCR a donc alloué une somme de 50 000 dollars à l'amélioration de l'environnement aux alentours du camp, et notamment à la reforestation.
Lorsque l'UNHCR quitte une région où se trouvaient des réfugiés, l'agence essaie toujours d'encourager des agences spécialisées dans le développement à venir s'y installer, même si F. Protti reconnaît qu'il s'agit là d'un projet à long terme.
Dans un de ses projets les plus inhabituels au monde, l'UNHCR construit des barrages spéciaux, des réservoirs et une conduite de 21 km pour fournir en eau le camp de Kebribeyah et les habitants des alentours. L'agence pour les réfugiés a connu des problèmes pour passer le relais de cette installation de la vallée du Jarar, qui vaut des millions de dollars, au gouvernement régional de cette partie de l'Ethiopie somalienne.
« Nous sommes préoccupés par l'incapacité du gouvernement à prendre en charge cette infrastructure », déclare Protti. « Des ressources importantes risquent d'être abandonnées, car le gouvernement n'est pas capable de prendre la relève. Beaucoup d'habitants de la région vont en souffrir et ce ne sera pas de notre faute. »
Musse, l'habitant de Degago, ne connaît pas les détails de projets tels que celui de la vallée du Jarar, mais il ne comprend que trop bien le départ de l'UNHCR. En voyant les réfugiés faire leurs bagages pour se joindre à un des derniers convois en partance pour le Somaliland, il se tourne vers un employé de l'UNHCR et lui dit d'une voix grave : « Voici mon message : ne nous oubliez pas ! »
Par Kitty McKinsey, au camp d'Aïsha