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Une ancienne réfugiée syrienne apporte soins et réconfort aux survivants de traumatismes

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Une ancienne réfugiée syrienne apporte soins et réconfort aux survivants de traumatismes

17 Octobre 2024
Türkiye. UNHCR Nansen Refugee Award, 2024 Regional Winner for Europe, Jin Davod, provides free mental health support for refugees

 

La première pensée de Jin Davod, tirée de son sommeil avant l'aube du 6 février 2023, était qu'une bombe, comme celle qui les avait manqué de peu, elle et sa famille, en Syrie, neuf ans plus tôt, était sur le point de tomber sur leur immeuble à Şanlıurfa, dans le sud de la Türkiye. Au bout de quelques secondes, elle a compris qu'il ne s'agissait pas d'une bombe mais d'un tremblement de terre et qu'elle, ses parents et ses trois jeunes frères et sœurs devaient sortir de l'immeuble le plus rapidement possible.

« Mon père essayait d'ouvrir la porte, mais elle tremblait tellement qu'il n'arrivait pas à tourner la clé », se souvient Jin. « Cela n'a duré que quelques secondes, mais j'ai eu l'impression que cela durait des heures. Finalement, lorsqu'il a réussi à ouvrir la porte, nous avons couru aussi vite que nous le pouvions. »

Pieds nus et grelottant dans leurs pyjamas, les membres de la famille ont réussi à rejoindre leur voiture, où ils ont passé une bonne partie des jours suivants à attendre que les répliques s'estompent.

Ce jour-là, Jin est allée sur les réseaux sociaux et a partagé le lien vers Peace Therapist, la plateforme en ligne qu'elle avait imaginée, développée et lancée un an plus tôt pour donner accès aux réfugiés et aux citoyens turcs à des services de santé mentale dans de nombreuses langues.

« J'ai écrit que c'était gratuit pour toute personne affectée par ce séisme », explique-t-elle.

En quelques heures, elle a reçu 200 demandes de soutien et en quelques jours, plusieurs milliers. Les demandes provenaient à la fois de réfugiés et de Turcs traumatisés par le puissant tremblement de terre de magnitude 7,8 et les milliers de répliques qui ont suivi.

« J'ai été bouleversée par le nombre de demandes et j'ai ressenti qu'il était de mon devoir de faire quelque chose pour ces personnes. J'ai donc contacté nos psychologues qui travaillent à distance, et ils ont commencé à dispenser des centaines d'heures de soins psychologiques d'urgence », se souvient-elle.

Les terreurs de la guerre

C'est le type de soutien dont Jin aurait elle-même eu désespérément besoin lorsqu'elle est arrivée à Şanlıurfa avec sa famille, à l'âge de 16 ans, complètement traumatisée, en 2014.

Elle a vécu une enfance heureuse dans la ville de Raqqa, dans le nord du pays, où son père, Hasan, était un dentiste réputé. Jin était une élève studieuse, concentrée sur son objectif de devenir médecin. « Ma vie était toute tracée : je savais dans quelle université j'irais, ce que j'étudierais, où je vivrais ».

Le conflit a bouleversé tout cela, mais sa famille n'a pas immédiatement pris conscience du danger. « Les bombardements et les combats ont commencé, mais nous ne comprenions pas encore vraiment qu'il s'agissait d'une guerre et que nous devions partir. Puis les islamistes d'ISIS sont arrivés et la situation a commencé à vraiment dégénérer. »

Jin Davod avec ses parents et ses frères et sœurs dans leur maison à Şanlıurfa.

Jin Davod avec ses parents et ses frères et sœurs dans leur maison à Şanlıurfa. 

Le domicile de Jin était entouré de bâtiments gouvernementaux occupés par les militants, ce qui faisait du quartier une cible privilégiée pour les frappes aériennes. La famille s'est retranchée dans l'appartement dans un état de terreur perpétuelle. « Le bruit des bombardements était constant. Je ne pouvais rien manger et je ne dormais pas car dès que je m'endormais, j'avais l'impression que je ne reverrais plus jamais ma famille », se souvient Jin.

Le jour où une bombe est tombée dans le jardin à l'extérieur de leur immeuble, soufflant un mur de la chambre de Jin, la famille a enfin compris qu'il était temps de partir. Mais ils ont dû attendre plusieurs mois avant de trouver le bon moment.

Lorsque ce moment est arrivé, tôt un matin, ils ont fui la ville en voiture. Quelques instants après avoir atteint la Türkiye, ils ont reçu un appel téléphonique d'un voisin leur annonçant que leur immeuble avait été détruit par une bombe. Jin ne retournera donc jamais dans l'appartement où elle a grandi. De même, elle ne saura jamais ce que sont devenus nombre de ses amis et voisins.

Du traumatisme à l'entrepreneuriat

À Şanlıurfa, la famille s'est installée dans un appartement loué. Jin ne l'a pas quitté pendant un an. « J'étais dans un état lamentable », confie-t-elle. « Je souffrais de stress post-traumatique et de cauchemars. Je ne voulais rien faire, je me contentais de regarder le mur ».

Elle n'avait pas encore appris le turc et n'avait connaissance d'aucun service d'aide psychologique disponible dans sa langue maternelle.

Grâce au soutien de ses parents, elle a finalement décidé de renouer avec son rêve d'étudier la médecine. Elle a passé les deux années suivantes à apprendre le turc et à passer les examens d'entrée au lycée et à l'université avant d'être acceptée à l'université de Haran, non pas pour étudier la médecine, mais pour son deuxième choix, l'ingénierie informatique.

Jin au travail avec son assistante Rasha Guzel (à gauche) et la psychologue turque Hatice Koroglu (à droite).

Jin au travail avec son assistante Rasha Guzel (à gauche) et la psychologue turque Hatice Koroglu (à droite)

C'est en participant à deux ateliers de formation en deuxième année, l'un sur le développement d'applications Android et l'autre sur l'entreprenariat, qu'elle a eu l'idée de créer Peace Therapist. « À ce moment-là, j'ai commencé à travailler sur ce projet. C'était comme une source d'espoir pour moi », confie-t-elle. « Toutes les difficultés et les expériences que j'ai vécues, j'étais sûre que quelqu'un d'autre, dans un autre endroit, les vivait également ».

Elle a élaboré un business plan détaillé et a commencé à travailler avec des développeurs de logiciels et des psychologues pour créer la plateforme. Celle-ci a été lancée deux ans plus tard et compte aujourd'hui une centaine de psychologues qui proposent des séances de thérapie en ligne en turc, en arabe, en kurde et en anglais. Les personnes qui en ont les moyens paient pour des séances individuelles ou en groupe, mais les populations les plus vulnérables, comme les réfugiés, peuvent y accéder gratuitement.

Combattre la stigmatisation

Selon Suhail Ahmed, un psychologue syrien qui travaille pour Peace Therapist depuis un an, la thérapie en ligne permet de lever certains obstacles qui empêchent les gens de demander de l'aide.

« Cette plateforme garantit la confidentialité, ce qui réduit la stigmatisation », explique-t-il. « En consultant en ligne, ils se sentent libres de parler parce qu'il n'y a pas de jugement, ils peuvent même aborder des sujets tabous. »

Ses patients syriens souffrent souvent de traumatismes liés à la crise et au séisme, mais aussi d'anxiété et de dépression liées à leur situation en Türkiye.

Lorsqu'un ami a parlé de Peace Therapist à Mahmout El Shekh, un ancien tailleur de 63 ans originaire de Raqqa, il était sceptique. Il a néanmoins rempli le formulaire en ligne et a rapidement été mis en contact avec Suhail. « Lorsque Suhail m'a interrogé sur mes problèmes, je lui ai dit que j'avais l'impression d'être seul depuis 100 ans », se souvient Mahmout.

Mahmout El Shekh, réfugié syrien et patient de Peace Therapist, s'entretient avec son psychologue Suhail Ahmed.

Mahmout El Shekh, réfugié syrien et patient de Peace Therapist, s'entretient avec son psychologue Suhail Ahmed. 

Lorsqu'il vivait à Raqqa, il était très sociable et avait beaucoup d'amis. À Şanlıurfa, incapable de travailler en raison d'une blessure au cou et faisant le deuil des membres de sa famille qu'il avait perdus pendant la guerre, il a sombré dans la dépression.

Ses séances avec Suhail sont devenues des moments qu'il attendait avec impatience. « Il m'écoutait et m'envoyait des liens vers des livres dont nous discutions. Il m'a également encouragé à faire de l'exercice et à recommencer à jouer de la musique avec mes amis ».

Mahmout se sent désormais mieux à même de gérer sa santé mentale et comprend ce que les membres de sa famille peuvent traverser. « En tant qu'Arabes, nous ne pensons pas aux troubles psychologiques comme à une maladie pour laquelle on peut demander de l'aide, mais c'est faux ».

« Sans Peace Therapist, j'aurais peut-être encore ce vide dans ma vie », dit-il, ajoutant qu'il se sent maintenant plus optimiste quant à l'avenir.

Né de la guerre

Pour son dévouement à fournir un soutien en matière de santé mentale aux réfugiés et autres survivants de traumatismes, Jin a été désignée lauréate régionale 2024 pour l'Europe de la distinction Nansen du HCR pour les réfugiés.

« Les réactions de nos bénéficiaires sont la plus grande récompense pour moi, mais remporter cette distinction est extrêmement important », affirme-t-elle. « Cela me donne la motivation et le courage de poursuivre ce travail. »

Jin en conversation avec une femme participant à une formation de Peace Therapist pour les mères d'enfants souffrant de problèmes psychiques à la Chambre de commerce et d'industrie de Şanlıurfa.

Jin en conversation avec une femme participant à une formation de Peace Therapist pour les mères d'enfants souffrant de problèmes psychiques à la Chambre de commerce et d'industrie de Şanlıurfa.

 

Tandis que les efforts de redressement à la suite du séisme se poursuivent en Türkiye dans un contexte de crise économique, la demande pour les services proposés par Peace Therapist ne fait que croître. Jin prévoit d'étendre les activités de la plateforme en recrutant davantage de psychologues et en collaborant plus étroitement avec les organisations humanitaires.

« Peace Therapy est né de la guerre, c'est pourquoi notre mission est toujours de construire la paix - la paix intérieure et la paix dans le monde », explique-t-elle. « Tout commence à l'intérieur de nous. »