Les demandeurs d'asile expulsés « lancent un appel désespéré à l'aide » au nord du Mexique
Les demandeurs d'asile expulsés « lancent un appel désespéré à l'aide » au nord du Mexique
Lorena*, de nationalité hondurienne et mère de trois enfants, se rappelle comment elle est montée à bord d’un radeau de fortune sur les rives du Rio Grande au Mexique avec ses deux enfants aînés, une fillette de sept ans et un petit garçon de quatre ans, pour traverser vers les Etats-Unis et déposer une demande d'asile.
Son mari la suivait à bord d’un deuxième radeau, serrant dans ses bras leur fils d'un an. Il a été recueilli par la patrouille frontalière américaine et relâché ; il se trouve aujourd’hui dans le Tennessee avec le bébé. Avec ses deux enfants plus âgés, Lorena a également été appréhendée mais, après trois jours de détention dans la vallée du Rio Grande au Texas, ils ont été envoyés par avion à San Diego, en Californie, puis expulsés vers le Mexique en vertu des restrictions d'asile liées à l’arrêté de santé publique « Title 42 ».
Depuis mi-avril, la jeune femme de 29 ans vit dans un abri bondé dans une salle paroissiale de Tijuana, où au moins de 600 demandeurs d'asile et leurs enfants dorment dans des lits superposés ou sur des matelas étendus sur le sol, beaucoup d'entre eux s'étant vu refuser le droit de demander l'asile aux États-Unis et ayant été expulsés vers le Mexique.
« Nous sommes bloqués ici. Nous ne pouvons pas retourner chez nous, et nous ne pouvons pas continuer notre voyage en quête de sécurité. Notre vie est en suspens », a déclaré Lorena, assise sur une chaise, rassemblant ses deux enfants aînés auprès d'elle. « C'est traumatisant. C'est désespérant... Je ne connais pas cet endroit. C'est un pays étrange... Je n'ai aucun proche ici. »
Lorena avait fui le Honduras après qu'un gang de rue voulait recruter de force son jeune frère. Lorsqu'ils ont signalé le crime à la police, le gang a menacé de « nous couper la langue ... et de tous nous tuer », dit-elle.
« Nous sommes bloqués ici. Nous ne pouvons pas retourner chez nous, et nous ne pouvons pas continuer notre voyage en quête de sécurité. »
Maigre et les yeux gonflés à force de pleurer, elle explique qu’elle se nourrit peu et qu’elle dort à peine dans le refuge où la distanciation sociale est impossible. Ses enfants ont été atteints de fièvres sur le site où sévit une épidémie de poux.
« Regardez, nous sommes dans un état effroyable. Nous avons désespérément besoin d’aide », dit-elle. « Nous avons le droit de chercher refuge, accordez-nous cette opportunité. »
Des milliers de demandeurs d'asile comme elle vivent dans des abris ou des camps de fortune à travers le nord du Mexique, dans des villes allant de Tijuana à Ciudad Juarez et Reynosa. Ils sont dans l’incapacité de continuer leur périple en quête de sécurité et terrifiés à l'idée de retourner dans leur pays d’origine.
Le chef du HCR Filippo Grandi a appelé le gouvernement américain à lever les restrictions liées à l’arrêté de santé publique « Title 42 » qui demeurent en vigueur aux frontières depuis mars 2020, et à rétablir l'accès aux procédures d'asile pour des personnes - comme Lorena - dont la vie en dépend, conformément aux obligations énoncées par la législation internationale et les droits humains.
Ces dernières années, le programme de relocalisation mené par le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, a déjà permis à plus de 10 000 réfugiés de recommencer leur vie dans des régions plus sûres au Mexique. Ils occupent des emplois formels avec tous les avantages, y compris les soins de santé. Mais pour beaucoup, comme Lorena, cela signifierait être séparé de façon permanente de son mari et de son plus jeune enfant.
D'autres sont terrifiés après avoir été kidnappés et agressés par des groupes criminels alors qu'ils traversaient le Mexique en quête de sécurité - parmi eux, Ana, une mère hondurienne.
Après avoir échappé aux menaces des gangs chez elle, la jeune femme de 27 ans et sa fille de trois ans se rendaient aux États-Unis, où elle a de la famille, en ayant eu recours à un « coyote », ou passeur de clandestins. Dans la ville de Monterrey, au nord du pays, elles ont été kidnappées sous la menace d'une arme.
« Ils avaient des armes - des pistolets et des fusils. Ils sont entrés dans l'entrepôt où ils nous détenaient et nous ont attachés », dit-elle, en joignant les mains derrière le dos. Un proche aux États-Unis a versé la rançon de 5000 dollars et, une semaine plus tard, leurs ravisseurs les ont libérées « pieds nus, sans vêtements, sans argent ».
Après avoir traversé la frontière vers le Texas, elle a été arrêtée par la patrouille frontalière, transportée par avion à San Diego et expulsée vers Tijuana sans avoir pu déposer une demande d'asile comme elle l'avait espéré. Elle vit désormais dans le refuge informel qui est dépourvu d’un portail de sécurité et de gardien.
« Nous avons besoin d'une solution. Je suis très loin de mon pays et de ma famille », dit-elle, tandis que sa fille gigote sur ses genoux. La fillette, dit-elle, est devenue agitée et se ronge les ongles. « Nous sommes à la merci de Dieu, sans aucune protection. »
Les risques auxquels sont confrontées les personnes qui traversent clandestinement le nord du Mexique ont été mis en évidence au début de l'année 2021, lorsque des enquêteurs ont identifié les corps sans vie de 14 migrants guatémaltèques qui avaient été abattus, brûlés et jetés dans une fosse clandestine au nord-est de l'État de Tamaulipas.
« J'aimerais voir mes enfants dans le parc, en train de manger une glace. »
Dans sa déclaration, Filippo Grandi a prévenu que les milliers de personnes expulsées des États-Unis risquaient de subir de « graves conséquences humanitaires » au nord du Mexique. Il a encouragé l'administration américaine à renforcer son système d'asile et à « diversifier les voies d'accès sûres afin que les demandeurs d'asile ne soient pas forcés de recourir à de périlleuses traversées orchestrées par des passeurs. »
Pour Mirna, Guatémaltèque et mère de deux enfants, l'aide est nécessaire d’urgence. Battue et violée à plusieurs reprises par son compagnon au Guatemala, cette jeune femme de 24 ans a tenté de rejoindre sa mère à Los Angeles en mai, mais elle a été arrêtée et expulsée. Kidnappée par un chauffeur de taxi en arrivant à Tijuana, elle vit désormais dans la peur au refuge. « Nous ne sommes pas en sécurité, avec ce qui nous est arrivé ici », dit-elle.
A Tijuana, dans un autre refuge géré par les autorités mexicaines, Dario, un Hondurien père de deux jeunes garçons, et sa femme ont eux aussi vécu des épreuves successives avec des menaces de mort proférées par des gangs dans leur pays d’origine, l'enlèvement au nord du Mexique, l'expulsion des États-Unis et la tourmente d'une vie en suspens. Sa vision d’avenir est simple et poignante.
« J'aimerais voir mes enfants dans le parc, en train de manger une glace, sans me demander si quelqu'un va venir les tuer », a-t-il déclaré. « C'est tout ce que nous demandons. »
*Les noms des demandeurs d'asile ont été modifiés pour des raisons de protection.