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Le port de Bossasso en Somalie, improbable eldorado des déracinés

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Le port de Bossasso en Somalie, improbable eldorado des déracinés

Sans même une route goudronnée, dépourvu du moindre feu de signalisation ou enseigne lumineuse, le port de Bossasso au nord-est de la Somalie est un eldorado bien improbable. Cette ville attire pourtant des dizaines de milliers d'anciens réfugiés et autres personnes venues de toute la Somalie pour y chercher un peu de paix, de calme et une chance de trouver un travail. L'UNHCR tente d'obtenir quelque 120 millions de dollars pour améliorer le quotidien des gens de Bossasso et des autres Somaliens qui y vivent.
1 Mars 2006
Une installation de fortune où vivent plusieurs familles au camp de déplacés de Shabelle à Bossasso. Bien qu'elles manquent de tout ou presque, elles préfèrent vivre ici car les conditions de paix et de sécurité sont relativement meilleures que dans leur région d'origine.

SUD DE BOSSASSO, Somalie, 1er mars (UNHCR) - Alors que le soleil se lève sur le désert, marquant le début d'une nouvelle journée pénible et caniculaire, un camion surchargé ralentit. Un groupe de cinq hommes et deux femmes en descend et se dirige vers une petite colline rocailleuse située près de la route.

Ces jeunes Ethiopiens ont commencé leur voyage il y a plus de 15 jours, par camion et à pied. Ils approchent de leur destination, Bossasso, capitale commerciale du Puntland dans le nord-est de la Somalie. Ce port est devenu un véritable pôle d'attraction pour les travailleurs migrants et les anciens réfugiés venus de tous les coins de ce pays de la corne de l'Afrique.

« J'ai quitté l'Ethiopie parce que j'ai besoin de travailler », explique un des Ethiopiens avant de marcher vers les collines pour se faufiler en ville tout en évitant le poste de contrôle de la police.

« Chez nous, il n'y a pas de travail. Sans emploi, vous ne pouvez pas vivre », ajoute ce jeune homme de 22 ans. Il a beaucoup entendu parler de Bossasso et des possibilités de travail payé un dollar la journée qu'offre ce port affairé. « Si l'opportunité se présente, je prendrai n'importe quel travail. »

Bossasso n'est pourtant qu'un bien improbable eldorado. Cette ville poussiéreuse sans la moindre route goudronnée ne dispose que de rares bâtiments de plus d'un étage. C'est pourtant une zone assez calme et sûre, avantage non négligeable en Somalie. (Le Puntland a son propre gouvernement et a proclamé son autonomie pour se distancier du sud et du centre de la Somalie, plongés dans l'anarchie, sans toutefois déclarer son indépendance.)

Les gens continuent donc d'affluer à Bossasso. Certains sont d'anciens réfugiés rentrés dans leur propre pays mais pas dans leurs villages d'origine, des Somaliens qui ont abandonné leurs maisons dans le sud du pays, des migrants du sud de la Somalie et de l'Ethiopie en route pour prendre des bateaux clandestins vers le Yémen et les pays du Golfe. D'autres sont de nationalité éthiopienne et déclarent fuir les persécutions et chercher asile.

« Je préférerais rester à Bossasso » dit Raho Rasoni, une Somalienne qui a vécu hors de son village d'origine plus de la moitié de sa vie. Il y a deux ans, elle s'est enfuie de la capitale somalienne, en proie à la violence, avec son mari et leurs 10 enfants. Ils craignaient que l'un d'eux ne périsse dans les fusillades qui enflammaient les rues de Mogadiscio livrées à l'anarchie.

« C'est mille fois mieux à Bossasso », explique Raho Rasoni, en accueillant ses visiteurs. La famille vit dans trois huttes faites de branches et bordées de sacs de ciment vides, installée dans le bidonville de Shabelle aux abords de Bossasso. « Je prie pour ne jamais revoir Mogadiscio. »

Shabelle - qui doit son nom à la région du centre de la Somalie dont sont originaires bon nombre de ses habitants actuels - offre une paix et un semblant de sécurité, admet Raho Rasoni. Son mari travaille dès qu'il le peut. « Un jour, il a de l'argent ; un autre jour, il ne gagne rien », dit-elle. « Quand il réussit à rapporter quelques sous, nous mangeons. Sinon, la marmite reste vide. »

Tenant son enfant de deux ans sur ses genoux et entourée du reste de sa progéniture, elle dit d'une voix neutre : « Aujourd'hui, ils n'ont pas eu de petit-déjeuner et nous ne sommes pas sûrs qu'ils déjeuneront. »

S'ils n'utilisent que de manière limitée les services urbains, nombre de nouveaux arrivants mettent néanmoins cette petite ville à rude épreuve.

« Bossasso n'est pas capable de gérer cette migration importante originaire des coins reculés de la région », indique Khadiyo Yusuf Ahmed, directeur d'une clinique disposant de services pédiatriques et de maternité en ville. Les bâtiments de ce centre de santé ont été réhabilités par l'UNHCR. Son financement est assuré par d'autres agences des Nations Unies ainsi que des associations caritatives privées.

L'UNHCR et les autres agences des Nations Unies prévoient de soumettre un Plan d'action global aux donateurs pour aider les citoyens somaliens à avoir une vie meilleure en protégeant les rapatriés et les déplacés. Les institutions onusiennes souhaitent notamment améliorer la nutrition des femmes et des enfants ainsi que faciliter l'accès à l'eau potable, aux systèmes sanitaires, aux soins de santé et à l'éducation.

Ce Plan propose aussi d'aider les gens à gagner leur vie pour subvenir à leurs besoins et vise à réduire les dramatiques conséquences de la traite d'êtres humains qui part de Bossasso pour traverser le golfe d'Aden. La préparation de ce Plan d'action global a été financée par la Commission européenne.

Il suffit de visiter les bidonvilles habités par les déplacés originaires de diverses régions de la Somalie (notamment d'anciens réfugiés qui s'y sont installés plutôt que de rentrer dans leur village) pour constater que leur quotidien peut être largement amélioré.

Quatre-vingt cinq pour cent des gens dans ces installations utilisent de l'eau contaminée. Ils doivent même marcher 20 minutes pour aller collecter de l'eau, selon une étude menée par la Somali Reunification Women's Union (SRWU), une organisation privée non gouvernementale. Les trois quarts des résidents n'ont accès ni à des toilettes, ni à des latrines.

La moitié d'entre eux ne mangent qu'une fois par jour, 47 pour cent deux fois par jour et pratiquement personne n'est en mesure de faire trois repas par jour, ce que la majorité des occidentaux considèrent pourtant comme un droit acquis dès la naissance.

En dépit des conditions de misère dans ces installations, 90 pour cent des résidents ont dit à la SRWU préférer être là plutôt que dans leur village d'origine du fait des conditions de sécurité et d'accès à l'emploi, disponibles à Bossasso. Seuls trois pour cent d'entre eux veulent rentrer chez eux dans d'autres régions de la Somalie, les 97 pour cent restants préfèrent Bossasso.

« Parce que le Puntland ne reçoit aucune aide bilatérale d'un pays en particulier et ne dispose de pratiquement aucune source de revenus propres, il revient aux Nations Unies et aux agences partenaires, avec le soutien de la communauté internationale, d'améliorer la vie de ces malheureux », explique Guillermo Bettocchi, délégué de l'UNHCR pour la Somalie basé à Nairobi.

« C'est un investissement qui vaut la peine », ajoute-t-il, « car la stabilité en Somalie contribuerait grandement à une stabilité en Afrique et de manière générale à la sécurité dans le monde. La Somalie est située à un point stratégique dans la corne de l'Afrique. Une Somalie prospère pourrait s'avérer une porte ouverte vers une Afrique économiquement dynamique. »

Pendant ce temps, de retour aux installations de Shabelle, Raho attend maintenant son 11ème enfant, elle voit son avenir loin de son village d'origine avec une résignation mélée de joie.

Une installation de fortune où vivent plusieurs familles au camp de déplacés de Shabelle à Bossasso. Bien qu'elles manquent de tout ou presque, elles préfèrent vivre ici car les conditions de paix et de sécurité sont relativement meilleures que dans leur région d'origine.

« J'ai été déplacée la plupart de ma vie », raconte-t-elle, « et je n'attends aucun changement. »

Par Kitty McKinsey à Bossasso