Réinstallation - Témoignages
Réinstallation - Témoignages
Interviews: Vanessa Tampieri
La réinstallation constitue pour de nombreuses personnes réfugiées une bouée de sauvetage essentielle. © UNHCR/Alessandro Penso
L’unique espoir d’accéder à la sécurité
Des centaines de milliers de personnes réfugiées vivent dans des conditions difficiles dans des pays d’accueil, le plus souvent pendant de nombreuses années. Sans perspectives d’accéder à une existence sûre et à un futur pour eux-mêmes et leurs familles, ces personnes voient même souvent leurs vies être menacées.
Si les conditions d’accueil dans leur pays d’origine ne leur permettent pas un retour rapide, il ne leur reste souvent que l’espoir d’être accueilli dans d’autres pays par le biais de la réinstallation (ou resettlement, en anglais).
Les programmes de réinstallation visent à réinstaller de manière durable les réfugiés particulièrement vulnérables dans un État tiers prêt à les accueillir en leur offrant une protection et la possibilité de s’y intégrer.
Qu'est-ce que la réinstallation?
Plus de 70 % des personnes réfugiées trouvent refuge dans les pays voisins des situations de crise. Comme un retour sûr dans le pays d'origine n'est souvent pas possible dans un avenir proche, le HCR s'efforce de trouver des pays tiers disposés à accueillir les réfugié-e-s ayant des besoins de protection particuliers. Cela est rendu possible grâce à des programmes de réinstallation («resettlement» en anglais).
La réinstallation ne protège donc pas seulement des personnes, mais soulage aussi les États qui accueillent de nombreux-euses réfugié-e-s. La réinstallation contribue à une meilleure répartition internationale des responsabilités.
Comme il y a beaucoup moins de places disponibles que nécessaire, le HCR s'engage pour l'extension de la réinstallation, notamment avec le Pacte mondial sur les réfugiés.
La Suisse pourrait y contribuer en augmentant son quota annuel de réinstallation, qui est actuellement de 800 personnes.
La réinstallation en trois chiffres
58,457
Le nombre de personnes réinstallées en 2022
Source: HCR
31 décembre 2022
1,473,156
Le nombre de personnes ayant besoin d’être réinstallées en 2022
Source: HCR
31 décembre 2022
6,287
Le nombre de personnes réinstallées en Suisse depuis la reprise du programme en 2013
Source: HCR
31 janvier 2023
"Si la Suisse a la possibilité d'aider d'autres familles, c’est important qu'elle le fasse"
— Adam et Ibrahim, originaires du Soudan
Les familles d'Adam et d'Ibrahim habitent depuis 2021 à à Giubiasco, au Tessin. Originaires du Soudan, les deux familles sont arrivées en Suisse depuis l'Egypte grâce au programme de réinstallation.
Comment viviez-vous dans votre pays de premier accueil ?
Adam: En Égypte, nous nous ne sentions pas en sécurité. Nos revenus n'étaient aussi jamais suffisants pour joindre les deux bouts. Ma femme est diabétique et nous avions du mal à nous procurer les médicaments qui coûtaient très cher. Pendant mon séjour, j’ai également joué un rôle important dans une association de réfugiés dont l'objectif était de s'entraider, mais le gouvernement désapprouvait ceci et nous empêchait de nous réunir. C'était vraiment un enfer.
Ibrahim: Nous avons subi beaucoup d'agressions en Égypte. Dans notre immeuble, ils nous jetaient des seaux d'eau. Nous avons également eu beaucoup de problèmes pour renouveler nos permis de séjour. J'ai été emprisonné à plusieurs reprises pendant plusieurs mois pour des questions administratives, ce qui a privé ma famille de moyens de subsistance. Il était impossible de ne pas s'endetter. De plus, comme nous sommes des réfugiés, les gens étaient souvent malhonnêtes et profitaient de nous en exigeant des paiements plus élevés. Nous avons dû fuir le Soudan, mais la vie en Égypte était tout aussi difficile.
Quelles ont été vos premières impressions de la Suisse ?
I. : Avant d’être choisis, nous avons passé de longs entretiens. En raison de la pandémie, plusieurs mois se sont écoulés avant d’avoir des nouvelles. Au début, nous ne savions pas ce qu’était la Suisse, nous pensions qu’ils nous proposaient d’aller en Suède! Pour la préparation du voyage, nous avons été aidés par l’Organisation Internationale des Migrations (OIM), qui nous a donné plus d’informations. Tout le monde a été très gentil et le personnel du Secrétariat d’Etat aux Migrations (SEM) était présent à l’aéroport lorsque nous sommes arrivés à Zurich en avion.
A. : Lorsque j’ai appris la nouvelle que nous allions habiter en Suisse, j’étais en état de choc. Nous sommes arrivés à l’aéroport de Zurich et avons passé 18 jours dans un centre fédéral d’asile avant d’être transférés au Tessin. Au début, il était difficile de comprendre comment les choses fonctionnaient, on se demandait comment serait la vie en Suisse, mais maintenant nous sommes à l’aise. Nous n’avons pas eu de problèmes depuis notre arrivée: les enfants vont bien, ils sont bien intégrés à l’école. Ma femme et moi suivons des cours d’italien.
Que pensez-vous du programme de réinstallation de la Suisse?
A. : J’ai été forcé de quitter le Soudan. Si je n’avais pas craint pour mes enfants, j’aurais essayé de fuir par la mer au lieu de rester autant de temps en Egypte. Nous remercions la Suisse de nous avoir accueillis et de nous avoir donné la chance de construire une nouvelle vie en toute sécurité. Il y a tant de familles comme la nôtre qui vivent dans des situations dramatiques. Si la Suisse a la possibilité d’aider d’autres familles, c’est important qu’elle le fasse.
I. : Le programme de réinstallation de la Suisse fonctionne bien et il est important que cette possibilité existe. Dans un pays comme l’Égypte, la population locale est déjà dans une situation difficile, et pour les réfugiés, c’est encore pire.
"Les personnes qui arrivent en Suisse ont la vie sauve"
— Zakieh et son fils Omar, originaires de Syrie
Zakieh est arrivée fin 2018 en Suisse avec ses deux enfants Omar et Isaac, grâce à la réinstallation, après avoir vécu six ans comme refugiés au Liban. Ils habitent maintenant à Einsiedeln, dans le canton de Schwytz.
Que s'est-il passé après votre fuite?
Zakieh: Ce n’était pas une vie facile. C’était une vie pleine de tristesse, de fatigue et de dépression. Nous nous sentions aussi seuls parce que nous avons perdu beaucoup de contacts avec des membres de la famille durant notre fuite.
Omar: Nous ne pouvions pas aller à l’école. On devait travailler pour ramener quelque chose à manger à la maison. Nous avions seulement 14 et 12 ans avec mon frère quand cela a commencé. On travaillait 12 à 13 heures par jour et sans vacances. Au travail, nous étions sous une énorme pression de la part de notre employeur. On ne pouvait pas nous exprimer, on nous traitait de façon très stricte. Au Liban, nous n'avions pas de liberté et on n’avait jamais de répit. Aucun futur devant nous.
Comment s’est passée votre procédure de réinstallation ?
O.: Nous avons passé des entretiens très longs avec le HCR pour être pris en considération, avec des questions très détaillées sur notre situation et notre famille.
Z.: La procédure en soit s’est bien passée, j’ai aussi beaucoup apprécié les trois jours d’orientation avant le départ. Cela a été très utile.
Qu’est-ce que vous avez ressenti quand vous avez appris que vous alliez pouvoir partir en Suisse ?
O.: Je me suis senti comme si je venais d’arriver en paradis. Le paradis en vrai n’existe pas sur terre, mais en ce moment je me suis vraiment senti comme si la Suisse allait l’être pour nous.
Z.: C’était difficile pour moi de partir et de laisser derrière moi un de mes enfants et sa famille, mais je savais qu’il fallait donner un futur à mes autres enfants plus jeunes. Je suis reconnaissante à la Suisse pour cela, même si mon âme et mes pensées restent avec mon fils qui se trouve toujours au Liban dans des conditions très difficiles.
Quelles opportunités vous a ouvert la réinstallation en Suisse ?
Z.: Au Liban je n’avais pas accès aux soins dont j’avais besoin. J’ai désormais le sentiment d’être indépendante. Par exemple, quand je pars au cours d’allemand par mes propres moyens, je me sens heureuse. Au Liban, je pleurais chaque nuit pour mes enfants. Je suis reconnaissante pour la possibilité qu’ils ont ici d’étudier et de travailler. Ils ont appris en peu de temps l’allemand et ont trouvé une place d’apprentissage. C’est vraiment remarquable.
O.: Si j’étais resté au Liban, j’aurais risqué de me faire renvoyer en Syrie, d’être emprisonné et contraint d’intégrer l’armée. Ici, j’ai plus d’opportunités pour mon futur, je peux faire des choix. J’ai une place d’apprentissage, je me sens libre et indépendant. J’ai pu avoir mon propre appartement et j’ai aussi du temps libre. Au Liban on travaillait comme des fous du matin au soir juste pour avoir le minimum pour vivre. En Suisse j’ai aussi pu apprendre une nouvelle langue et une nouvelle culture.
Qu’est-ce que vous aimeriez qu’une personne suisse retienne du programme de réinstallation ?
O.: Ils doivent s’imaginer que chaque place de réinstallation soustrait une personne du danger, d’une vie sans issue. Les personnes qui arrivent en Suisse ont la vie sauve.
“Pour beaucoup, la réinstallation pourrait être la seule solution possible. La réinstallation est également un message concret et puissant de solidarité globale.”
–Filippo Grandi, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés
“Je me suis senti renaître”
— Basel et Rasha
Basel et Rasha sont arrivés en Suisse avec leurs trois enfants en 2019 après avoir vécu au Liban en tant que réfugiés pendant huit ans. Leur quatrième enfant est né en Suisse. Ils habitent actuellement à Locarno, au Tessin.
Quelles difficultés avez-vous rencontré dans votre premier pays d’accueil ?
Quand nous sommes arrivés au Liban, nous vivions avec les familles de mes frères dans la même maison, mais ensuite nous avons dû nous séparer parce qu’il n’y avait pas assez d’espace. Chaque année, nous devions renouveler notre permis de séjour, ce qui nous causait beaucoup de stress car nous n’étions jamais sûrs que tout se passerait bien. Nous ne nous y sommes jamais sentis en sécurité. Nous étions en grande difficulté économique. Même si le HCR nous apportait une petite contribution financière, les ressources n’étaient pas suffisantes.
Comment avez-vous vécu la procédure de réinstallation?
Nous avions des entretiens réguliers avec le HCR, au moins tous les deux ans. Une fois, ils m’ont posé des questions très approfondies. Au début, j’avais peur de leur raconter toute notre histoire et nos problèmes, mais ils m’ont dit que c’était confidentiel et que je pouvais leur faire confiance, que cela aiderait à trouver une solution pour ma famille. Quelques mois plus tard, toute la famille a été convoquée pour un autre long entretien.
On nous a alors dit que nous pouvions être pris en considération pour la Suisse. Nous avons ensuite été convoqués à des entretiens avec le personnel du SEM à Beyrouth, qui ont duré toute une journée. Après cet entretien, j’étais tellement impatient à l’idée que nous pourrions avoir d’autres perspectives, j’avais hâte de partir. Je savais que nous aurions un meilleur avenir en Suisse. Après 35 jours d’attente, nous avons reçu la réponse positive finale. Je me suis senti renaître, c’est un sentiment incroyable. Nous avons même ri lorsque nous avons appris qu’une ville suisse portait mon nom!
Est-ce que la réinstallation a changé votre vie?
Ici, en Suisse, mes enfants sont tranquilles et en sécurité. Ils peuvent apprendre beaucoup de choses à l’école. Mes enfants les plus âgés vont à l’école primaire, ils ont de bons résultats, ils travaillent dur et le personnel de l’école les aide beaucoup. Je travaille comme bénévole pour une association et ma femme suit des cours d’italien et s’occupe de notre nouveau-né. Sans la réinstallation, notre vie aurait été très difficile. Je le vois à travers les difficultés que mes frères rencontrent encore avec leurs familles en étant au Liban et en Turquie. Il y a tant de familles épuisées qui ont besoin d’aide, en particulier celles qui n’ont pas accès aux soins médicaux.
“Je suis reconnaissant à la Suisse.”
— Magdi
Magdi a été réinstallé en 2021 en Suisse avec sa femme et ses six enfants, après avoir vécu six ans en Egypte. Sa femme était alors enceinte et leur septième enfant, une petite fille, est née en Suisse. Ils habitent maintenant à Einsiedeln, dans le canton de Schwytz.
Est-ce que vous pourriez raconter votre expérience avant d’arriver en Suisse ?
Je suis d’abord arrivé seul en Egypte. Après je me suis toute suite enregistré avec le HCR. J’ai ensuite obtenu un travail et j’ai fait venir ma femme avec nos enfants. L’appartement que j’avais trouvé était vide. Nous avons pu obtenir l’aide d’une organisation locale pour le meubler. C’était une vie très difficile. Les enfants ne pouvaient pas vraiment aller à l’école. Nous avions des difficultés financières et de santé. Il y avait aussi de la discrimination. Nous ne nous sentions pas en sécurité.
Comment s’est passée la procédure de réinstallation pour vous ?
Nous avions un contact avec le HCR tous les six à douze mois pour mettre à jour nos informations. A un moment ma santé s’est détériorée – j’ai été victime de torture dans mon pays – et les enfants aussi avaient des soucis. Une organisation d’aide juridique locale nous a aidé à recontacter le HCR pour les informer. Ils ont alors fixé un rendez-vous pour des entretiens. J’ai passé deux très longues entrevues. Après deux mois d’attente, ils nous ont appelé pour nous dire que la Suisse avait pris en considération notre cas. Nous avons passé un nouvel entretien à l’Ambassade suisse, avant d’apprendre que nous avions été accepté. Accéder à la réinstallation n’est pas du tout une procédure simple et immédiate. Recevoir la nouvelle qu’on était choisi a été la meilleure des sensations. On n’y a pas cru jusqu’à la fin.
Pourquoi selon vous l’existence du programme de réinstallation est important ?
Nous n’avions pas de futur en Egypte. Pouvoir partir était comme si on me sauvait des flammes de l’enfer. Il y a sur place des organisations qui fournissent de l’aide humanitaire, mais ceci ne couvre pas la majorité des besoins. La réinstallation est donc un bon instrument pour offrir une nouvelle perspective et une nouvelle vie digne. Je sais que beaucoup de familles ont fait la même expérience que nous. Je suis vraiment reconnaissant à la Suisse. Ici on se sent bien, nous n’avons pas souffert de discrimination, on crée des liens sociaux dans notre village et les enfants peuvent aller à l’école et se faire des amis.
Depuis la ratification de la Convention relative au statut des réfugiés, en 1955, la Suisse a régulièrement pris part aux actions d’accueil de réfugiés menées par le HCR.
Depuis 2013, la Suisse participe à nouveau au programme de réinstallation du HCR. En 2018, le Conseil fédéral a décidé de poursuivre l’engagement de la Suisse dans le cadre de ce programme.
Depuis cette décision, plus de 6’000 personnes sont arrivées en toute légalité et en sécurité en Suisse.