Débat du HCR: «Aarau: ma patrie après la fuite?»
Débat du HCR: «Aarau: ma patrie après la fuite?»
Les participants ont ainsi décrit l’intégration comme un processus, dont la réussite nécessite un travail d’équipe entre tous les acteurs concernés.
Le Musée municipal d’Aarau a accueilli l’Exposition «FUIR» d’avril à septembre2017.
«N’ayez pas peur. Les Africains sont des gens aimables!»
C’est par cette phrase, et avec un sourire réconfortant, que Yohannes Measho, réfugié reconnu, étudiant et cofondateur du «Mouvement érythréen pour la justice», a clos la table ronde organisée au Musée municipal d’Aarau. Les débats n’auraient pas pu être mieux résumés.
Lors de la table ronde, Yohannes Measho représentait le point de vue de la communauté érythréenne d’Aarau. Parmi les intervenants étaient également présents Barbara Cavelti, responsable de l’intégration à l’Office des migrations du canton d'Argovie, Walter Leimgruber, président de la Commission fédérale des migrations et Franziska Hug, responsable Projets et formation à Caritas Aargau. Lelia Hunziker, responsable du point de contact «Integration Aargau», a quant à elle proposé quelques remarques introductives pour lancer le débat. Dans le public, des habitants du canton d'Argovie, réfugiés ou non, ont suivi les débats et participé activement à la discussion qui a suivi.
Les réfugiés regrettent notamment le manque de confiance et d’ouverture manifesté par beaucoup de citoyens locaux, et cela est ressorti clairement des observations du public. Pour des personnes ayant fui leur pays, la Suisse ne peut devenir une véritable patrie que si la cohabitation avec la population locale peut être envisagée sans crainte de part et d’autre, et si les autorités sont prêtes à mettre en place un cadre adapté à cette fin. Ce n’est qu’à cette condition que les réfugiés – y compris les personnes admises à titre provisoire, selon le HCR – peuvent s’installer en Suisse adéquatement.
Le meilleur exemple y relatif tient à la simplification de l’accès au marché du travail. Aplanir les obstacles et permettre à un plus grand nombre de réfugiés d’entrer dans la vie active contribuerait à lutter contre la stigmatisation. Le rapprochement entre la population locale et les réfugiés en serait par conséquent facilité.
Cadre institutionnel: pas d’ingénieure employée comme femme de ménage
De fait, l’intégration sur le marché du travail suisse est une question centrale. Dans le canton d'Argovie, il existe déjà un système de gestion des cas individuels qui doit permettre aux réfugiés d’entrer dans la vie active. De plus, au niveau fédéral, deux projets visent à supprimer l’obligation d’obtenir une autorisation pour pouvoir exercer une activité professionnelle et à transformer l’admission provisoire en un véritable statut de protection.
La table ronde a toutefois mis clairement en évidence les obstacles institutionnels et administratifs qui existent encore. Les participants ont réservé un accueil favorable aux propositions suivantes:
- Reconnaissance plus rapide des diplômes étrangers. Dans le cas où des formations doivent être en partie rattrapées ou complétées, il serait judicieux que le coût de cette formation complémentaire puisse être pris en charge par l’administration fédérale ou cantonale. En règle générale, une solution sensée à long terme doit permettre d’empêcher qu’une ingénieure iranienne ne soit, par exemple, obligée de travailler comme femme de ménage en Suisse.
- Faire en sorte que les expériences professionnelles non attestées par des diplômes puissent être démontrées par d’autres moyens. Une personne ne possédant pas de diplôme de menuisier mais qui, en lieu et place, est en mesure de faire état d’une expérience professionnelle de plusieurs années, devrait pouvoir obtenir un certificat équivalent.
- Les mesures d’intégration sont plus efficaces lorsqu’elles sont accessibles dès le premier jour après l’arrivée en Suisse. Les longs délais d’attente sont sources de frustration et d’isolement pour les personnes concernées. Apprendre une nouvelle langue ou acquérir de nouvelles compétences professionnelles peut en outre, et ce même en cas de décision négative et d’expulsion, constituer une aide au retour propre à renforcer la résilience et à faciliter la réadaptation dans le pays d’origine.
- Raccourcir la durée d’attente d’une décision d’asile contribue à une intégration réussie. Jusqu’à ce qu’une décision d’asile soit rendue, les perspectives d’avenir sont incertaines, et cette incertitude exerce sur les demandeurs d’asile une forte pression qui peut venir aggraver des troubles post-traumatiques, compromettant ainsi la réussite de leur intégration.
- La suppression de formalités administratives peut également contribuer à atténuer les obstacles psychologiques. Qu’il s’agisse d’une demande de changement de canton en raison d’un nouvel emploi ou de formalités à remplir pour obtenir une place subventionnée dans un cours de langue, la suppression des obstacles administratifs signifie non seulement moins d’efforts pour remplir des formulaires complexes, mais peut également contribuer à ce que les réfugiés abordent la vie en Suisse avec moins d’appréhensions.
Barbara Cavelti, de l’Office des migrations du canton d'Argovie, a fait remarquer que l’État devait concilier différents intérêts, qu’il s’agisse des conditions-cadres propres à favoriser l’intégration des réfugiés ou du respect des droits des travailleurs: «il faut aussi que des normes comme le salaire minimum puissent être garanties».
Engagement social: l’intégration n’est pas un processus à sens unique
L’intégration sur le marché du travail est une étape fondamentale pour permettre aux réfugiés de vivre dignement en Suisse, et les sociétés d’accueil considèrent elles aussi que l’activité professionnelle des réfugiés joue un rôle décisif. Néanmoins, l’activité professionnelle ne peut pas être considérée de façon isolée, car une entrée réussie dans la vie active nécessite également un soutien et des contacts avec la société concernée. «La société doit apporter sa contribution», selon Franziska Hug de Caritas. L’intégration n’est ainsi pas un processus à sens unique.
Les participants à la discussion ont en particulier mis en avant les points suivants:
- Les réseaux déjà créés au niveau local jouent un rôle important. Faire en sorte de simplifier l’accès de réfugiés à l’offre locale, comme par exemple à un club de sport, peut renforcer l’esprit de cohésion et de solidarité.
- Les bénévoles effectuent un travail extraordinaire en matière d’intégration. Le Centre de coordination pour le bénévolat de la ville d’Aarau constitue à cet égard un bon exemple. Ce centre joue un rôle de plaque tournante pour la diffusion des missions de volontariat et offre une plateforme aux organisations qui proposent du travail bénévole. Il agit en même temps comme un lieu de coordination, d’information et de promotion des offres existantes en matière d’asile.
- Le bénévolat a également besoin d’un soutien financier et structurel plus important de la part des autorités. Les bénévoles peuvent exercer une fonction importante dans des contextes variés. Pour cela, il importe de leur offrir des formations sur mesure et d’assurer une reconnaissance suffisante de leur travail.
- Le bénévolat ne doit pas se substituer aux services publics. L’État ne peut pas se décharger de ses responsabilités et obligations légales sur le secteur privé.
- La professionnalisation de l’intégration sociale constitue une approche prometteuse. La participation est une condition préalable à l’intégration sociale. Les réfugiés doivent pouvoir prendre part à des discussions, être parties prenantes à des initiatives et des décisions et ainsi faire partie de la société. L’accès à des possibilités de participation à la vie de la société peut aussi être facilité par l’État ou le canton grâce à la promotion de projets spécifiques dans ce domaine. Le projet «Citoyenneté» de la CFM constitue de ce point de vue un modèle de référence.
- Des personnes de référence appartenant à la population locale peuvent faciliter l’intégration. Il est sans doute plus facile de trouver ses repères dans une nouvelle patrie et de s’intégrer dans une société étrangère si l’on peut s’appuyer sur une personne de confiance. Pour cela, on pourrait notamment songer à élaborer et à institutionnaliser un modèle de «Tandem».
- Il est indispensable d'également offrir des perspectives aux jeunes réfugiés de plus de 18 ans. Les jeunes devraient pouvoir, jusqu’à la fin de leur 20e année, passer un diplôme de fin d’études secondaires ou commencer un apprentissage. Un accompagnement pédagogique devrait pouvoir être envisagé en cas de besoin, même une fois l’âge de la majorité atteint.
La Suisse, terre d’immigration
L’une des remarques introductives faites par Lelia Hunziker a particulièrement marqué tant le déroulement que la conclusion des débats: «En Suisse, les migrations constituent depuis longtemps une question de premier plan». Aucun des participants n’a contesté cette affirmation. La Suisse n’est ici pas confrontée à un défi totalement inédit. L’intégration n’a rien d’un tour de force: elle constitue un processus dont aucune société ne peut faire l’économie. «L’intégration est un accord sur le vivre-ensemble», déclarait ainsi Walter Leimgruber, Président de la Commission fédérale des migrations.
La tonalité des discussions a également été marquée par beaucoup d’optimisme et de dynamisme: les réfugiés devraient, et veulent, être associés activement à leur processus d’intégration. Les autorités et la société civile peuvent créer les conditions nécessaires et apporter l’aide requise à cet effet. Il n’est donc pas question d’hésiter ou de tergiverser. Et encore moins d’avoir peur.
Ont participé au débat:
Barabara Cavelti – Responsable de l’intégration, Office des migrations du canton d’Argovie Walter Leimgruber – Président de la Commission fédérale des migrations Franziska Hug – Responsable Projets et formation, Caritas Aargau Yohannes Measho – Co-fondateur du «Mouvement érythréen pour la justice»
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Remarques introductives par:
Lelia Hunziker – Responsable du point de contact «Integration Aargau» |