Ce qu’ils ont pris avec eux: une liste
Ce qu’ils ont pris avec eux: une liste
Quand les gens fuient, c’est toujours le chaos. Vous n’avez pas le temps de préparer quelque chose avec soin, après tout vous voulez vous échapper: le régime, les violations des droits de l’homme, les gangs armés,la guerre. Beaucoup de gens ne fuient qu’avec ce qu’ils peuvent porter. Et ce ne sont souvent que les enfants. Il n’y a pas de place pour les affaires. Juste pour les souvenirs.
Que prenez-vous ? Que prendriez-vous ?
Qu'est-ce qu'on attrape quand il suffit de s'enfuir pour sauver sa vie et sa liberté ? Qu'est-ce qui est important, utile, indispensable ? Jenifer Toksvig a écrit un poème il y a quelques années. Il s’intitule "Ce qu’ils ont pris avec eux: une liste" et c'est une liste de ces objets : ce qu'ils ont pris. Un passeport et de l’argent, peut-être. Ou une lampe de poche et des médicaments pour l’enfant. Ou une pierre du mur de la maison et de la terre du jardin de leur domicile. Et les clés de l'appartement, toujours dans l'espoir de rentrer bientôt chez soi.
Pourquoi fuyez-vous ? Et avec quoi ?
Le poème contient également de courts monologues, de quelques mots seulement. Les gens y expliquent pourquoi ils ont fui : "Ils ont détruit la maison autour de mon lit de malade. Les voisins m'ont entendu crier et sont venus me chercher." Ils racontent ce dont ils rêvent : "Je veux étudier pour redevenir quelqu'un". Et ils montrent leur force : "Je fabrique les bijoux de mon peuple. Il défend la liberté. Personne ne me dit quoi porter !"
Donner une voix à ceux qui ne sont pas entendus
Le HCR a voulu mettre en scène le poème en allemand. Une version anglaise existe déjà, réalisée par Cate Blanchett, ambassadrice de bonne volonté du HCR, avec Keira Knightley, Stanley Tucci, Chiwetel Ejiofor, Jesse Eisenberg et d'autres. Et en allemand ?
Onze acteurs ont accepté de tourner avec le HCR : Iris Berben, Florence Kasumba, Mai Duong Kieu, Katja Riemann, Lea van Acken et Dennenesch Zoudé étaient présentes. Et Volker Bruch, Bjarne Mädel, Kida Khodr Ramadan, Hans Sigl et Anatole Taubman. Stephan Burchardt était responsable de la conception de l'image, le film a été réalisé par l'artiste visuel et cinéaste Mario Pfeifer.
Ils ont tous participé - sans rémunération - bien qu’ils soient des stars. Et bien que chacun d'eux ait moins de texte qu'Arnold Schwarzenegger dans "Terminator" - pas même 100 mots. Mais ils voulaient envoyer un signal. Et l'effet de ces quelques mots est immense. Ou, comme l'a dit Katja Riemann après qu’on ait entendu "Coupez !": "Ouah ! La chair de poule !"
Ce qu’ils ont pris avec eux: une liste (abrégée)
Traduction française par Mael Cornic
Portefeuille (vide), portefeuille, portefeuille, de l’argent, de la monnaie, des pièces.
Lampe-torche, sifflet, pointeur laser – pour être mieux vu en mer.
Trois sacs. Un sac. Sac à dos. Malle.
Sac en plastique jaune pour les papiers,
scotché jusqu’à ce qu’il soit étanche
et cartes jaunes de réfugiés,
et carte d’identité.
Etats de service militaire, et une notice d’information du gouvernement,
diplôme: en électronique. Baccalauréat.
Passeport, si tu en as un et que tu peux le prendre avec toi.
Billet aller-simple, cher : falsifié.
Drapeau, drapeau, drapeau de mon pays.
Clé USB, ordinateur portable, téléphone.
Portable, numéro de téléphone, numéro de téléphone, numéro de téléphone
Carte SIM, une de rechange, téléphone, téléphone,
smartphone avec Skype et Facetime, des écouteurs,
Chargeur, chargeur, adaptateur de voyage.
Les clés de la maison.
Les clés de la maison. Les clés de la maison.
Calepin et stylo.
On a tellement souffert.
Je veux pouvoir étudier pour pouvoir redevenir quelqu’un.
Cachets pour la douleur, cachets pour la douleur et cachets contre le mal de mer.
Canne, canne, canne blanche, béquilles.
Fauteuil roulant. Seringues en cas d’urgence.
Bandages, bandages, affaires de toilette, dentifrice
Brosse à dent et dentifrice, coupe-ongles, peigne.
Shampooing et gel capillaire. Ustensiles de coiffure et
de l’écran solaire et de la lotion pour les coups de soleil
et cachets pour l’épilepsie de mon fils : un par jour.
Et tous les vaccins à jour pour le bébé,
et de la crème blanchissante pour le visage.
Je veux que ma peau soit blanche
et que hérissés au gel.
Je ne veux pas qu’ils sachent que je suis un réfugiée.
Et si quelqu’un me reconnaissait et appelait la police parce que je suis sans papiers?
Mais pas si je suis blanche.
C’est bien ça, hein ?
Vêtements traditionnels,
vêtements chauds,
vêtements pour bébé
vêtements préférés,
vêtements sales,
vêtements humides
couches de vêtements,
culottes pantalons culottes
Machine à coudre: c’est ma vie, c’est mon sang.
Quatre robes, une tenue de rechange.
Une paire de jeans à fleurs, que j’ai portés une fois en soirée, que je ne reporterai pas avant de retourner dans une soirée.
Chemise, une chemise, et une sandale manquante.
Une paire de chaussures, paire de chaussures, neuves : jamais portées.
Un hijab, un cadeau d’une amie.
Mon foulard favori, celui avec les têtes de mort: j’adore tellement la couleur.
Mon turban. Mon turban me garde. Maintenant il garde mon identité, et ma foi. Sans lui, je suis vulnérable.
Foulard pour me couvrir la tête, qui vient de quelqu’un qui est mort pendant la guerre.
Un chapeau pour le bébé,
et des chaussettes pour le bébé.
Une couche. Une seule.
Et des protège-slips.
Gilet pour avoir chaud, et certains ont un gilet de sauvetage aussi
Et d’autres non.
Ce qui fait le plus mal quand on est réfugiée
c’est de se réveiller un jour et voir que tu as perdu toute ta liberté et que tu ne peux plus décider de ta vie.
Tout se referme devant toi,
et il ne reste rien d’autre que la mer.
Il ne reste rien d’autre que la mer,
ce chemin pour s’évader et être libre.
Cigarettes: des cartons, des paquets, des briquets.
Pipe en terre, ginseng, jerrican, du lait.
Eau stérilisée, eau en bouteille, de l’eau de l’eau partout,
une demi bouteille pour un voyage d’une semaine.
Huile en flacon, des citrons, des citrons, des dattes, des dattes, des dattes, des dattes
Biscuits, crackers, crackers, crackers, viande en conserve.
Théière, pour les autres sur le bateau: on a soif, on est fatigué et on a peur. Je vais faire du thé. C’est ce qu’on fait : on fait une famille.
Nourriture pour bébé, chamallows, du pain mal cuit. Les hommes qui nous ont flanqués dehors ne nous ont pas laissé terminer.
Popote en métal pour faire à manger aux enfants.
Il y a un homme qui n’a amené qu’une tasse.
J’aurais eu honte
de devoir demander une tasse tous les jours,
juste pour pouvoir boire de l’eau.
Les gens sont fatigués qu’on leur demande des choses tout le temps, et ils finissent par dire non.
Mais maintenant j’ai ma propre tasse.
Je suis indépendant, où que j’aille.
Carpettes en plastique, tapis, tapis, oreiller.
Tente en peau d’animaux.
Un peu de ciment de notre maison.
Un peu de terre de notre jardin, enveloppée dans du tissu.
Terre sacrée, livre sacré, texte sacré,
rosaire et chapelet de prière, rosaire, chapelet, rosaire.
Mon foulard cache la clé d’un petit coffre métallique qui contient tout ce dont on a besoin pour un mariage.
Anneau, anneau, charme, alliance, l’alliance de ma mère.
J’ai perdu la mienne dans le bombardement alors ma mère m’a donné la sienne.
Mes boucles d’oreilles. Je fais des bijoux, tous les bijoux de mon peuple
C’est le symbole de la liberté. Personne ne me dit ce que je dois porter.
Collier à cœur, collier à cœur, collier à la Vierge Marie.
Bracelet, bracelet, bracelet.
Non, le bracelet ce n’est pas ce que je préfère.
Je préfère Nancy. C’est ma poupée.
La nuit quand on est parti, ma mère l’a mise
sur mon lit pour qu’on ne l’oublie pas
mais dans la panique elle est restée
Ce n’est pas grave. Elle veillera.
Montre, digitale et analogue.
Portrait de famille.
Photos, photos, photo de mon père.
Souvenirs de mon père.
Je n’ai plus rien de ma maison.
Tout a été détruit dans les combats.
On est parti en dix minutes à peine.
Ils ont détruit la maison autour de mon lit de malade.
Les voisins m’ont entendu crier
ils sont venus et m’ont porté dehors.
J’ai abrité mes deux enfants,
dans des paniers, aux bouts d’une perche sur mes épaules.
Et j’ai abrité ma virginité,
en mer, nous nous enduisions de vomi
pour que les pirates ne nous touchent pas.
Je me suis échappé avec
Mes enfants
ma soeur
mon frère
mon mari
ma femme
Avec mon âme
Avec mon sourire
Avec ma vie
What They Took With Them: a List (abridged)
Ce qu’ils ont pris avec eux: une liste (abrégée)
Devised from verbatim by Jenifer Toksvig
Transcrite verbatim par Jenifer Toksvig
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