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Vingt-quatre heures pour quitter son village

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Vingt-quatre heures pour quitter son village

30 avril 2018 Egalement disponible ici :
De gauche à droite: Sofia et sa compagne Daniela ont trouvé refuge en Suisse avec leur fils en décembre 2016. Elles ont dû fuir la Colombie en raison de leur combat pour les droits des minorités sexuelles. © UNHCR/Mark Henley

Depuis leur arrivée en Suisse romande, Daniela* et Sofia* s'investissent sans relâche dans l'apprentissage du français. Communicatives de nature, les deux réfugiées colombiennes brûlent de pouvoir à nouveau échanger avec les habitants de la région. A terme, elles espèrent pouvoir, par cette maîtrise de la langue, renouer avec leur travail social et politique ainsi que leur engagement en faveur des minorités sexuelles.

Dans leur pays d'origine, cet activisme a pourtant mis leur vie et celle de leur fils en péril. Daniela, qui n’a jamais cherché à cacher son homosexualité, offrait son oreille et ses conseils bienveillants aux jeunes homosexuels de son village. Mais dans un pays marqué par la violence de la guerre civile et les traditions religieuses, cette ouverture n'était pas vue d'un bon œil par tout le monde: «Les choses ont commencé à mal tourner dans la région après une série de meurtres d’homosexuels par des paramilitaires», explique Daniela, aujourd’hui âgée de 35 ans. Le soir du Nouvel An 2009, Daniela est approchée de manière inopportune. «Il était 2h du matin. Je faisais la fête dans un village voisin lorsque deux hommes armés ont demandé à me parler. J'ai senti mon estomac se nouer.» En aparté, ils lui demandent de partir, parce qu’elle donne «un mauvais exemple aux enfants». «Ils m’ont laissé un seul jour pour quitter la région.»

«Il était 2h du matin. Je faisais la fête dans un village voisin lorsque deux hommes armés ont demandé à me parler. J'ai senti mon estomac se nouer.»

Daniela, activiste pour les droits des minorités sexuelles

Elle s’empresse alors de rentrer chez elle et prépare ses affaires pour Bogota, prétextant une soudaine offre d’emploi. Pour n’inquiéter personne, elle ne fait pas de réels adieux à ses proches et abandonne, en l’espace d’une nuit, toute sa vie d’alors: sa mère et son fils – qui la rejoindra plus tard – ainsi que sa petite entreprise de cuisine traditionnelle. Cette tentative d'intimidation renforce pourtant sa détermination à se battre pour les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI).

Arrivée à Bogota, elle poursuit donc son engagement en faveur des victimes LGBTI du conflit armé colombien; dont les agressions sont trop souvent considérées comme des «crimes passionnels ou des règlements de compte» selon la jeune militante. Elle y rencontre Sofia, 35 ans, qui deviendra sa compagne. Dans l’institut sportif où elles travaillent toutes les deux, Sofia a gravi les échelons jusqu'à obtenir un poste à responsabilités. Daniela, elle, y travaillait comme formatrice et enseignante.

 

 

Dans un calme relatif, les deux femmes peuvent s’unir officiellement par mariage et mènent quatre années de vie commune avec le fils de Daniela, aujourd’hui âgé de 10 ans, dans la capitale colombienne. Mais l’engagement de Daniela pour la reconnaissance des droits des minorités sexuelles et des victimes du conflit armé l’expose à nouveau aux foudres de ses adversaires, gardiens auto-proclamés de la tradition: «Des tracts de menaces où apparaissait mon nom ont commencé à circuler, puis des appels téléphoniques incessants», témoigne Daniela. «Ils me disaient d’arrêter de me mêler de ce qui ne me regardait pas. L’atmosphère devenait angoissante, au point que nous avons dû changer de lieu de travail, puis d’appartement, et modifier chaque jour notre itinéraire.» L’assassinat de deux amis militants de Daniela sera le coup de trop, leur adressant un signal sans appel: il fallait partir.

 

 

L’arrivée en Suisse en plein mois de décembre n’a pas été facile: au choc de l’exil et des cultures s’ajoute celui des températures; et il faut d’abord vivre dans un centre fédéral, sans réelle intimité pour ces deux jeunes femmes et leur fils. La famille obtient cependant le statut de réfugié trois mois après son arrivée, soulagée par une décision aussi rapide. Les militants du projet Asile LGBT, basé à Genève, avaient appuyé leur demande d’asile par une lettre de soutien peu après leur arrivée en Suisse.

Projet de l’association «Coordination asile.ge», Asile LGBT a pour objectif d'identifier et de répondre aux besoins spécifiques des demandeurs d'asile et réfugiés issus des minorités sexuelles – qui sont à ce titre doublement vulnérables. Mais la solidarité dont ont profité les deux jeunes femmes ne s’est pas arrêtée à la ville, puisque tout le petit village où elles se sont installées leur apporte également son soutien: «Nous avons été très chanceux, reconnaît Sofia. Une jeune fille de 17 ans avait pour projet d’études d’accueillir une famille de réfugiés. Elle s’est chargée de toutes les formalités: de la mise en contact avec les autorités comme avec les propriétaires du duplex où nous vivons aujourd’hui.»

«Nous avons été très chanceux.»

Sofia est très reconnaissante du soutien reçu en Suisse

 

Arrivées à bon port et désormais bien entourées, Daniela et Sofia peuvent commencer à reconstruire leur vie dans la campagne romande, et retrouver le goût de circuler sans peur. N’en reste pas moins le mal du pays: «Quand je vois mon fils si heureux et impliqué ici, et toutes les opportunités qui s’offrent à lui, je nous rêve intégrés en Suisse sur le long terme, avoue Daniela. Mais si la situation le permet, je ne pourrai sans doute pas résister à l’envie de rentrer en Colombie pour soutenir mon peuple et ses communautés, et contribuer à y construire un meilleur avenir pour nous tous.»

A lire: le guide pratique pour un accueil inclusif et égalitaire des réfugié.es LGBTI rédigé par Asile LGBT Genève

* Prénoms modifiés.