Une unité dédiée à la santé des réfugiés et migrants
Une unité dédiée à la santé des réfugiés et migrants
Chaque année, le canton de Vaud accueille 8,4% des personnes arrivant en Suisse au titre de l’asile. Près de 5'500 demandeurs d’asile habitent par ailleurs sur son territoire. Pour mieux répondre aux besoins médicaux de cette population, une formule de prise en charge innovante a vu le jour dans le canton de Vaud: le RESAMI (Réseau de santé et migration), constitué de l’Unité de Soins aux Migrants (USMi) et de 170 médecins répartis sur l’ensemble du canton.
L’USMi fait partie du Département Vulnérabilités et médecine Sociale (DVMS) d’Unisanté, le Centre Universitaire de Médecine Générale et Santé Publique de Lausanne, et constitue la porte d’entrée de ce système de soins. L’originalité de L’USMi repose sur la forte interdisciplinarité de son équipe et de son réseau «RESAMI», qui rassemble infirmiers de première ligne, médecins généralistes et spécialisés – en psychiatrie, pédiatrie ou encore en santé maternelle – équipes administratives et interprètes communautaires. «Il ne s’agit pas juste d’un concept ou d’une formule de communication, souligne le Prof. Patrick Bodenmann. Pour soigner un patient, il est indispensable de considérer l’individu dans son ensemble. Il faut être ouvert à sa souffrance corporelle, mais également spirituelle et psychologique.»
«Il ne s’agit pas juste d’un concept ou d’une formule de communication. Pour soigner un patient, il est indispensable de considérer l’individu dans son ensemble. Il faut être ouvert à sa souffrance corporelle, mais également spirituelle et psychologique.»
Prof. Patrick Bodenmann, médecin chef
Le Prof. Bodenmann, médecin chef de ce Département et le Dr. Sanchis, médecin psychiatre transculturel à l’USMi, s’engagent ainsi pour offrir à leurs patients une médecine profondément humaniste, attentive aux vulnérabilités de chacun. «Lors de chaque arrivée, nos équipes effectuent une évaluation de santé et des vaccinations ainsi qu’un travail de prévention et promotion de la santé. Nous recueillons aussi des informations sur d’éventuels antécédents et orientons les personnes vers des spécialistes tout en assurant un suivi.» Ces activités permettent de diagnostiquer les maladies psychiques comme somatiques: au total, plus de 30'000 actes ont été effectués ces trois dernières années par le personnel de l’Unité, formé à la prise en charge des populations migrantes.
Medhin, jeune réfugiée érythréenne âgée de 32 ans, témoigne de l’utilité de ce dispositif, dont elle a bénéficié dès son arrivée en Suisse en 2014: «Après des mois et des années d’exil, sans accès régulier à des soins et sans savoir quelles maladies l’on a pu attraper, disposer d’un vrai bilan de santé était un grand soulagement: cela m’a permis de faire le point, et de parler des difficultés vécues en route, comme les privations et les violences que de nombreuses personnes subissent en Lybie.»
«Après des mois et des années d’exil, sans accès régulier à des soins et sans savoir quelles maladies l’on a pu contracter durant la fuite, disposer d’un bilan de santé approfondi était un vrai soulagement.»
Medhin, réfugiée érythréenne, a bénéficié des services de l’USMi dès son arrivée
Les équipes de l’USMi ont notamment gagné en efficacité dans le dépistage des pathologies psychiatriques. Ainsi, environ 40% des nouveaux arrivants souffriraient de problèmes de santé mentale, par exemple d’états dépressifs modérés. Les symptômes apparents sont souvent déroutants au premier abord: «Ces patients peuvent présenter des comportements asociaux tels qu’une forte irritabilité, des addictions ou un renfermement sur soi, précise Javier Sanchis Zozaya. Ils peuvent aussi faire preuve de méfiance envers autrui, résultat de la rupture brutale des liens familiaux et sociaux due à l’exil.»
La confiance en première ligne
Les mois d’exil entraînent de multiples formes de souffrance, qu’il appartient souvent au personnel soignant de décrypter pour garantir un résultat probant. «Un jeune Guinéen présentait tous les symptômes d’un état dépressif. En établissant un lien de confiance, nous avons compris qu’il souffrait avant tout d’un besoin de faire le deuil de ses parents – besoin qui n’a rien de pathologique.»
«Un jeune Guinéen présentait exactement les mêmes symptômes qu’un état dépressif. En discutant avec lui, nous avons compris qu’il souffrait avant tout d’un besoin de faire le deuil de ses parents – besoin qui n’a rien de pathologique.»
Dr. Javier Sanchis Zozaya, médecin psychiatre
Patrick Bodenmann abonde dans le sens de son confrère, prenant l’exemple d’une situation liée à l’arrivée de réfugiés des Balkans: «Une dizaine de femmes originaires de Bosnie venait nous consulter en disant avoir «mal au corps».» D’abord désemparés face au problème, qu’ils imaginent psychique, les médecins notent ensuite que toutes ont en commun de porter le voile. «Nous avons fini par comprendre qu’elles étaient en réalité victimes d’une carence en vitamine D en raison du manque de soleil», s’amuse le Professeur de ce cas d’école.
Là encore, Medhin peut témoigner de la qualité du soutien reçu de la part de l’équipe de l’USMi, avec laquelle elle a développé un lien de confiance: alors qu’elle fait d’abord face à une décision négative de Non-Entrée en Matière – en raison de son passage par d’autres pays Dublin avant la Suisse – Medhin est confrontée à une incertitude féroce, qui mine son équilibre psychologique. Elle est alors brièvement hospitalisée pour dépression. L’encadrement dont elle bénéficie jouera un rôle déterminant pour lui permettre de garder espoir: «Il n’y a pas de meilleure thérapie que cet accompagnement personnalisé, profondément humain: ce ne sont pas les médicaments qui m’ont fait guérir à cette époque, mais bien le soutien moral offert par les équipes de l’USMi pendant cette période de grande incertitude, puis le soulagement d’obtenir un statut clair.»
La qualité du lien et la possibilité d’effectuer un suivi de chaque patient sont des aspects clés du système vaudois. Les équipes s’attachent ainsi aussi à prendre en compte la culture et les croyances de leurs patients afin d’améliorer leur accès aux soins.
«Une dizaine de femmes originaires de Bosnie venaient nous consulter en disant avoir «mal au corps». Nous avons fini par comprendre qu’elles étaient en réalité victimes d’une carence en vitamine D en raison du manque de soleil.»
Prof. Patrick Bodenmann, médecin chef
Un engagement durable – et salué
Au quotidien, rester attentif à cette souffrance implique une grande disponibilité et une forme d’immersion du personnel soignant. Avec le risque d’être parfois sujets à une importante fatigue compassionnelle. Une fois par mois, les équipes se réunissent ainsi pour parler des patients, mais aussi de leurs émotions dans une branche médicale souvent trop peu valorisée. «Le dispositif vaudois est souvent cité au niveau national comme l’exemple à suivre, remarque Patrick Bodenmann, qui dispense notamment un enseignement aux étudiants lausannois dès la première année de médecine. Son bon fonctionnement s’est particulièrement vérifié durant la crise migratoire de 2015.»
À l’époque, le nombre d’arrivées avait en effet atteint 300 à 400 personnes par mois, contre 80 à 100 en temps normal. L’unité a alors rapidement activé un «mode d’urgence» en scindant ses équipes en deux, et en travaillant directement sur les lieux d’hébergement. «Cette réactivité illustre la qualité de notre prise en charge. Elle a aussi permis de valider notre approche orientée sur une médecine globale et inclusive.»
Ce dispositif, salué par un prix de l’Académie Suisse des Sciences Médicales en 2016, bénéficie aujourd’hui d’un fort soutien des pouvoirs publics, indispensable à un engagement durable des acteurs concernés. L’équipe soignante travaille ainsi avec l’assurance de savoir son modèle, affiné au cours des deux dernières décennies, désormais bien ancré dans les pratiques cantonales. Inspiré des méthodes développées aux Etats-Unis, le Professeur Patrick Bodenmann est d’ailleurs aujourd’hui titulaire de la seule Chaire de médecine des populations vulnérables de Suisse et une des rares au niveau européen. Une preuve du succès de ce dispositif tient enfin aux sollicitations croissantes dont il fait l’objet: ses services ont en effet été étendus aux victimes de traite humaine en septembre 2019, et le seront également aux réfugiés reconnus – qui quittaient jusqu’à présent le système une fois leur demande d’asile acceptée – à l’horizon 2020.
Medhin, aujourd’hui au bénéfice d’un statut de réfugiée et travaillant dans le secteur du nettoyage via un programme d’intégration de l’OSEO, incarne bien la façon dont l’engagement quotidien des équipes médicales peut faire la différence. Rejointe par son mari en début d’année, au titre du regroupement familial, elle regarde aujourd’hui l’avenir avec sérénité, sans plus craindre l’incertitude ou la dépression.
Garantir un accès adéquat aux infrastructures nationales, y compris en matière de santé, fait partie des six thèmes prioritaires abordés par le premier Forum mondial sur les réfugiés.