La passion d'un apiculteur syrien avec les abeilles britanniques
La passion d'un apiculteur syrien avec les abeilles britanniques
Sous le soleil d'hiver d'un verger du nord de l'Angleterre, Ryad Alsous secoue la tête d'incrédulité en observant les abeilles.
« Regardez-les toutes en train de travailler ! » dit-il, en observant les abeilles qui vont et viennent autour des ruches soigneusement disposées autour des pommiers. « Je n'aurais jamais pensé que des abeilles puissent prospérer à ce point dans ce climat. »
Comme les abeilles supportent mal l'humidité, Ryad Alsous est stupéfait de la rusticité de l'abeille noire indigène d'Angleterre, une parente poilue des souches d'Allemagne et des pays baltes, qui s'est adaptée depuis longtemps dans les îles du Royaume-Uni.
« À la moindre pluie, les abeilles syriennes ne sortent plus, » ajoute-t-il. Il n'y a plus d'activité dès qu'on tombe à 15° alors qu'ici, elles continuent de travailler normalement à cette température-là, voire à 13°, et même sous la pluie ! »
Autrefois professeur d'agriculture à l'Université de Damas, Ryad Alsous, 64 ans, est arrivé au Royaume-Uni en tant que réfugié il y a quatre ans. Laissant derrière lui ses recherches sur l'apiculture et la pollution environnementale, il a fui la Syrie pour rester en vie après les menaces de mort reçues par les membres de sa famille et le dynamitage de sa voiture.
En juillet 2013, il a rejoint son épouse à Huddersfield, une ville de l'ouest du Yorkshire où leur fille Razan s'était installée. Arrivée l'année précédente, Razan est un peu devenue une star locale depuis qu'elle a participé à une émission culinaire à la télévision britannique pour parler de l’halloumi produit par sa société, Yorkshire Dama Cheese, qui a remporté un prix.
Lorsqu'il vivait en Syrie, Ryad Alsous s'occupait de 500 ruches dont les colonies d'abeilles, issues de souches italiennes et carnioliennes, produisaient chaque année au moins 10 tonnes de miel. Outre ses travaux de recherche à l'université, il dirigeait une entreprise de cosmétiques à base de plantes et de miel.
Sa passion pour les abeilles est l'une des rares choses qu'il a pu emmener avec lui lorsqu'il est parti. Même son précieux enfumoir en acier et caoutchouc a dû être ramené de Syrie plus tard par un ami.
« Il ne me fallait qu'une ruche pour redémarrer. »
Ryad Alsous a eu besoin de temps pour trouver ses marques au Royaume-Uni. Il parlait un peu l'anglais, mais n'avait aucun contact avec des anglophones. En outre, chaque fois qu'il postulait un emploi, il n'était pas retenu parce qu'il était surqualifié.
Il a fini par prendre contact avec l'Association des apiculteurs de Huddersfield pour y travailler bénévolement. Il s'y est fait des amis et des connaissances, mais restait malgré tout un apiculteur sans abeilles.
« Il ne me fallait qu'une ruche pour redémarrer, » dit-il. Il a fini par mettre une annonce sur Facebook pour demander si quelqu'un avait une ruche à donner.
Trois semaines plus tard, en septembre 2015, il a reçu une réponse d'une femme de Manchester. Non seulement elle offrait une ruche, mais il a été ravi de constater que la ruche venait avec une colonie d'abeilles noires d'Angleterre dont on pensait jusque récemment qu'elles avaient totalement disparu.
« Ce premier essaim, je l'ai divisé sept fois, » annonce fièrement Ryad, faisant référence à la méthode utilisée par les apiculteurs pour empêcher l'essaimage, ce phénomène qui pousse les abeilles à quitter la ruche pour s'installer ailleurs. « En vérité, c'est comme un trésor, » dit-il. « Mon objectif est de coopérer avec la communauté pour améliorer cette race. »
Le rucher de Ryad Alsous compte maintenant 17 ruches qu'il a construites à partir de matériaux recyclés.
Sidéré d'apprendre que le Royaume-Uni importe 90 % de sa consommation de miel, selon les données du secteur, il est convaincu que les champs de colza et les buttes de bruyère et de lavande pourraient supporter un nombre de ruches bien plus important.
Ce n'est que le jour où il a participé à un dîner mensuel organisé pour accueillir les réfugiés et les nouveaux arrivants dans la région de Huddersfield, que son projet a commencé à prendre forme. Il y a rencontré deux femmes, Jean York et Jane Wood, qui travaillent avec des réfugiés dans le district de Kirklees, un membre du mouvement communautaire britannique City of Sanctuary qui s'emploie à favoriser l'insertion des nouveaux arrivants.
« C'est là que les choses se sont éclairées pour moi, » raconte Jean York, en se rappelant de sa première conversation avec Ryad Alsous qui évoquait la possibilité d'enseigner l'apiculture aux réfugiés et aux demandeurs d'emploi.
« Si quelqu'un demande de l'aide, pourquoi la lui refuser ? »
Geof Hughes, un apiculteur local qui avait rencontré Ryad à l'association de Huddersfield, était tout aussi impressionné. « J'ai vu tout le potentiel de cette idée, » dit-il. « J'ai voulu lui apporter mon aide. »
L'an dernier, ils se sont tous réunis pour établir un comité directeur et se sont mis au travail. Le projet Buzz était né.
Lancé avec des financements locaux, le projet vient juste d'achever le deuxième de ses ateliers offerts tous les 15 jours à 12 volontaires. Parmi les stagiaires figurent trois syriennes, un réfugié congolais qui ramassait le miel dans la jungle et une étudiante nigériane qui se demandait déjà comment obtenir sa propre reine.
C'est après une rencontre surprise avec le maire de Huddersfield, Jim Dodds, que le projet a vraiment démarré.
Un lieu a été mis à la disposition de Ryad Alsous pour l'été prochain à Standedge, un village proche où il installera 10 ruches pour enseigner l'apiculture aux visiteurs.
Jusque-là, son rucher restera divisé entre un lieu d'hivernage un peu plus chaud, au verger d’Armitage Bridge, et un espace herbeux que lui a prêté un mécanicien local.
« Si quelqu'un demande de l'aide, pourquoi la lui refuser ? » dit Ted Mankowski, le propriétaire du verger qui vit en Angleterre depuis 30 ans. « En Pologne, mon oncle avait des abeilles. »
Bien qu'il soit en sécurité au Royaume-Uni, Ryad Alsous ne peut oublier sa patrie où l'on dénombrait un demi-million de ruches avant la guerre. « Toutes ces colonies se sont pratiquement effondrées, » dit-il. « J'espère un jour pouvoir rentrer chez moi et contribuer à leur reconstitution. C'est très important. »