Le chagrin des chrétiens iraquiens réfugiés au Liban
Le chagrin des chrétiens iraquiens réfugiés au Liban
BEYROUTH, Liban – Dans le quartier pauvre de Sad al Baoushriye à Beyrouth, le petit appartement loué par les Yousif, une famille de réfugiés du nord de l’Iraq, est plongé dans la tristesse.
En 2015, les Yousif ont été contraints de fuir la région de Ninive, à proximité de Mossoul, en raison d'une vague de représailles et de persécutions exercées contre les chrétiens et d'autres minorités d'Iraq. Les trois générations de cette famille de sept membres sont d'abord parties vers Erbil où, se sentant encore vulnérables, elles ont entrepris le voyage jusqu'au Liban en n’emportant quasiment rien d’autre que des souvenirs.
Même si les problèmes de sécurité sont désormais moins aigus, la vie en exil reste empreinte de difficultés. Peu de temps après avoir fui l'Iraq, Mirna, la mère, a subi une autre perte : son mari Munzer est décédé à Beyrouth de mort naturelle. Les quatre enfants, âgés de 12 à 22 ans et aujourd'hui orphelins de père, vivent toujours avec elle au Liban.
« D'abord, mon fils a été obligé de quitter l'Iraq car on le forçait à s'engager pour combattre, puis nous avons suivi. C'était trop dangereux de rester, » a expliqué Mirna à l'équipe du HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, qui lui a rendu visite dans son appartement, en compagnie d’un bénévole iraquien de l’ONG catholique Caritas, partenaire du HCR.
Tout en racontant son histoire, Mirna recherche une photo de l'ancienne maison familiale dont il ne reste plus que des murs criblés de balles, de la poussière et des fragments déformés de métal. « Nous avons perdu notre maison. Elle a été complètement détruite. Vers quoi pourrions-nous retourner ? »
Mirna doit assurer la cohésion de sa famille et s'occuper en parallèle de ses beaux-parents brisés par le chagrin. Sa belle-mère, Fahimah, 82 ans, est quasiment aveugle et alitée la plupart du temps suite à un AVC et à d'autres complications. Ses jambes gonflées lui permettent d'aller seulement du lit aux toilettes à condition qu'elle soit aidée. Le coût des médicaments grève lourdement le budget familial.
Son beau-père, Gorgis, 83 ans, quitte parfois l'appartement, mais va rarement plus loin que l'église du quartier ou la chaise en plastique installée dans le parking du rez-de-chaussée d’où il observe la route d’un regard vide.
« Nous avons perdu notre maison. Elle a été complètement détruite. Vers quoi pourrions-nous retourner ? »
En présence des visiteurs, Gorgis s’est mis à psalmodier un triste chant chaldéen, sans doute évocateur de sa nostalgie pour leur patrie et du sort actuel de la famille.
Tout rêve d'avenir semble à l'arrêt. Les préoccupations quotidiennes des membres de la famille, comme de la plupart des autres réfugiés, tournent autour de l'argent. L'appartement loué dans ce quartier misérable de Beyrouth coûte 700 dollars par mois. La nourriture, les services, les médicaments et les autres dépenses se chiffrent par centaines de dollars supplémentaires, ce qui draine les finances de la famille. L’allocation en espèces versée par le HCR couvre une partie des frais, mais elle est loin d'être suffisante.
Les deux grands, Michael et Media, 22 et 18 ans respectivement, doivent trouver de petits travaux dans Beyrouth pour permettre à la famille de s'en sortir. Leurs perspectives en sont réduites d'autant, un souci partagé par les parents réfugiés dans le monde entier.
Comme les combats ont continué dans certaines zones du nord de l'Iraq même après l’expulsion des extrémistes de Mossoul l'an dernier, nombre des personnes qui avaient dû prendre la fuite, comme les Yousif, ont perdu tout espoir de rentrer chez eux où ils redoutent la persistance des tensions religieuses ; ils s'attendent donc à un exil prolongé ou à devoir partir vers d'autres pays au titre des programmes de réinstallation du HCR, bien que les places soient rares et réservées aux plus vulnérables.
Plus tôt dans la journée, lors d'une séance d'échange et de thérapie de groupe organisée chaque semaine par Caritas au profit des réfugiés iraquiens, des dizaines de réfugiés chrétiens ont évoqué autour d'un thé combien il est douloureux de sentir leur vie en suspens. Au mieux, c'est une existence de frustrations qui laisse souvent des traces psychologiques.
« J'ai l'impression que mon temps est compté, » dit Laith, la soixantaine. « Je veux m'occuper de mes enfants, mais je ne peux pas. En Iraq, mon fils était le premier de sa classe, maintenant c'est un manœuvre. »
Parmi les difficultés quotidiennes évoquées par Laith et d'autres chrétiens iraquiens pendant la session figurent la dépression, les problèmes de santé, le manque d'opportunités pour leurs enfants et les tracas financiers. La plupart d'entre eux disent espérer rebâtir leur vie ailleurs si possible.
« J'ai l'impression que mon temps est compté. Je veux m'occuper de mes enfants, mais je ne peux pas. »
Constatant un « profond enracinement » du sectarisme en Iraq, une étude du Conseil œcuménique des Églises et de l'organisation norvégienne Church Aid souligne que la défaite des extrémistes « ne résoudra pas à elle seule ce péril latent, pas plus qu'elle ne permettra aux minorités de rentrer dans leurs régions d'origine. » Elle met l'accent sur la nécessité de maintenir un financement humanitaire souple et suffisant à l’Iraq.
La diaspora est largement éparpillée : l'an dernier, près de 260 000 réfugiés iraquiens ont été enregistrés en Turquie, au Liban, en Iraq, en Jordanie, en Égypte et dans les pays du Conseil de coopération du Golfe.
Plusieurs réfugiés participant à la session de Caritas disent se sentir plus à l'aise au Liban, en partie du fait de la présence d’une large communauté chrétienne.
« Même si les conditions sont très difficiles ici, ce qu'il y a de plus important c'est que nous nous sentons en sécurité, » déclare Joséphine, une Iraquienne dont le fils était ingénieur en Iraq. « Maintenant que nous sommes au Liban, il trouve de petits boulots et ne gagne pas plus de 400 dollars par mois. »
Les minorités d'Iraq ont été particulièrement touchées par les violences récentes, surtout les chrétiens de Ninive. Dans tous ses bureaux de pays, le HCR a mis en place des mesures permettant à tous les demandeurs d'asile d'avoir accès à ses services, quelle que soit leur religion ou leur origine.
Il s'attache à aider toutes les communautés réfugiées, y compris les minorités religieuses, à se faire enregistrer, notamment grâce à ses unités mobiles d'enregistrement, à ses équipes de terrain spécialisées et aux centres d'assistance mis en place dans les zones où ces groupes sont concentrés.
À Beyrouth, l'église du quartier est devenue un pilier de la vie des Yousif qui y retrouvent d'autres chrétiens d’Iraq afin de prier ensemble pour des jours meilleurs.
Gorgis, le beau-père, s'inquiète de l'avenir de la famille pendant cette période où tous sont dans l'expectative. « Je prie Dieu chaque jour pour qu'il nous vienne en aide, » dit-il, la voix cassée par les larmes qu'il réprime.