Un village réduit en cendres envoie un message de terreur aux déplacés du Darfour
Un village réduit en cendres envoie un message de terreur aux déplacés du Darfour
SERAF, Soudan, 26 avril (UNHCR) - Dans l'air étouffant de l'après-midi flotte l'odeur âcre des braises et des nuages de mouches pullulent. Ibrahim Adam remue en silence les restes de ce qui était son grenier. Finalement, il soulève un piquet de métal de 30 cm de long qu'il utilisait auparavant pour attacher son âne : cette pièce de métal noircie est tout ce qui reste de la vie telle qu'il l'a connue dans ce village du Darfour.
Ibrahim, autrefois tailleur prospère, a conduit une équipe de l'UNHCR vers le village récemment incendié de Seraf. Selon lui, ce village, abandonné avant sa destruction, a été incendié quatre jours plus tôt, par des hommes qu'il décrit comme des Arabes ou des milices janjawid.
« Ils nous disent de ne pas rentrer dans nos villages d'origine » affirme-t-il, d'une voix sans émotion. « Ils veulent nous pousser à aller au Tchad, à quitter le pays. Ils veulent s'installer ici à notre place. »
« C'est tout un symbole », renchérit un membre de l'équipe de l'UNHCR qui s'est rendu à Seraf avec Ibrahim. « Le village était déjà déserté. Le message est donc clair : 'Ne pensez pas que la vie va reprendre son cours normal'. C'est une façon marquante de leur dire qu'ils (les habitants d'origine) ne sont pas les bienvenus ici. »
L'année dernière, pendant le Ramadan, le mois saint de l'Islam d'octobre à novembre, 55 villages abandonnés des alentours du Masteri, une agglomération de presque 100 villages, à 50 kilomètres de El Geneina, la capitale du Darfour occidental, ont été brûlés. Ces derniers jours, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés a reçu des témoignages indiquant que les incendies de villages abandonnés ont repris.
Cette nouvelle arrive alors que certaines personnes déplacées - à peu près 20 000 sur deux millions - ont tenté courageusement leur chance et sont rentrées vivre dans les villages qu'elles ont quittés pendant le conflit qui a éclaté dans la région du Darfour, dans l'Ouest du Soudan, en février 2003.
Cette récente recrudescence d'incendies volontaires est « un message permanent - 'N'essayez même pas de revenir dans vos villages pour rassembler vos biens, faire paître vos animaux ou reprendre les cultures' », a dit le membre de l'équipe de l'UNHCR.
Selon Ibrahim, 200 familles du village de Seraf ont été chassées de leur maison, il y a un an. Environ 100 familles (ce qui peut représenter 700 personnes dans un pays où les familles sont grandes) se sont rendues dans des camps de réfugiés tenus par l'UNHCR au Tchad voisin. Une cinquantaine de familles sont également allées au Tchad, mais sont restées près de la frontière ; 50 autres familles ont déménagé au Masteri.
Ibrahim emmena au Tchad sa femme Hailya, alors enceinte de six mois. Elle y a donné naissance à une fille qu'ils ont appelée Salma, ce qui signifie « en sécurité ». Quelques mois plus tard, sur le chemin du retour vers le Darfour, ils ont été arrêtés par des « Arabes ». Ceux-ci les ont forcés à se coucher par terre, se sont moqués d'eux et les ont traités d'esclaves. Ils leur ont également volé leurs vêtements et surtout le bien le plus précieux du tailleur, sa machine à coudre. A présent, il n'est plus en mesure de gagner sa vie.
Lundi dernier (le 18 avril), Ibrahim et d'autres dans le Masteri ont remarqué de la fumée. Il a eu le sentiment horrible que c'était son village qui avait été incendié. Trop effrayé pour voyager de jour et risquer de rencontrer les janjawid, qui parcourent et contrôlent la région à cheval et à dos de chameau, Ibrahim et plusieurs autres hommes ont traversé la campagne, la nuit - un parcours de 24 kilomètres - pour voir ce qu'il était advenu de leurs maisons.
Ce qu'ils ont trouvé était terrifiant. Pas une seule maison n'était intacte. Les toits de chaume s'étaient transformés en cendres recouvrant de gravats l'intérieur de leurs petites maisons en briques de terre. D'énormes récipients en céramique pour la conservation du grain, de la taille d'un homme, étaient renversés sur le sol, noircis et brisés.
Dans les restes roussis de son ancien village, Ibrahim n'a trouvé que deux éléments intacts : un piquet de métal et un assemblage filial de branchage et de tissu, qui, sur un toit, indique que les personnes vivant dans une maison sont mariées depuis moins de sept jours.
Ibrahim ne doute pas un instant de l'identité des responsables de son malheur. « Les Arabes », dit-il, en ajoutant « Tous les Arabes sont des janjawid. Je veux ne jamais les voir. »
Les causes du conflit au Darfour sont complexes : le gouvernement s'oppose aux rebelles, et les tribus dites arabes aux tribus africaines. Le tout est compliqué par un conflit relatif aux terres et à l'eau. Alors que le désert du Sahara gagne du terrain au sud, les Arabes nomades empiètent de plus en plus sur le terrain des fermes établies par des tribus africaines sédentaires. Ils laissent leur bétail et leurs chameaux paître sur les récoltes destinées à la survie des familles de fermiers.
Ibrahim montre les bouses de vaches fraîches dispersées autour des ruines calcinées du village. « Vous voyez, les Arabes ont déjà amené leurs vaches ici, ce qui explique la présence des essaims de mouches », mais Ibrahim ajoute « il y a peut-être aussi des cadavres. »
Les attaques de grande ampleur contre les villages ont cessé - principalement parce que la campagne est déserte et que ses habitants sont à présent regroupés dans des camps miséreux autour de plus grandes villes - mais Seraf « illustre le travail qui reste à faire, en commençant par la protection de base » déclare le membre de l'UNHCR.
Ibrahim, quant à lui, a entendu à la radio que l'Union africaine mène des pourparlers de paix destinés à ramener la paix au Darfour.
« Il y a beaucoup d'efforts en cours », reconnaît-il, debout dans les ruines de son ancienne maison. « Mais je ne me sens pas encore assez en sécurité pour rentrer chez moi. » »
Par Kitty McKinsey à Seraf