Un prêtre ivoirien offre un refuge aux déplacés
Un prêtre ivoirien offre un refuge aux déplacés
DUÉKOUÉ, Côte d'Ivoire, 18 mai (HCR) - En novembre dernier, une crise a débuté en Côte d'Ivoire au sujet des résultats controversés de l'élection présidentielle. Les Nations Unies ont reconnu Alassane Ouattara en tant que nouveau Président, mais Laurent Gbagbo, le Président sortant, refusait d'abandonner ses fonctions. Des mois de conflit ont suivi entre leurs troupes et partisans, poussant des centaines de milliers de civils à fuir à travers tout le pays. L'un des points névralgiques était Duékoué dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, où un massacre a eu lieu à la fin mars. De nombreuses familles ont fui leur maison et ont trouvé refuge dans l'enceinte de la Mission catholique de la ville, qui a hébergé jusqu'à 50 000 personnes au plus fort de la crise. Le Père Cyprien Ahouré, un prêtre âgé de 40 ans qui dirige la mission, a également été pris au piège dans la tourmente. Fatoumata Lejeune-Kaba, chargée de communication basée à Genève, s'est récemment entretenue avec lui par téléphone.
A quand remonte la première vague de déplacés que vous avez reçus ?
Après le second tour des élections, déjà à la mi-décembre, il y a eu quelques événements à Bangolo et puis sur l'axe carrefour Monbeko-Gbagbo, ce qui a entraîné un flux de déplacés, on avait 1 750 déplacés ici à la Mission catholique. Et il y a eu les événements des 3, 4 et 5 janvier, un conflit interethnique très fort ici entre les guérés et les malinkés et cela a entraîné encore une autre vague. Là on avait atteint le pic de 15 000 déplacés la première semaine. Au 28 mars dernier, la guerre a éclaté et nous sommes aujourd'hui à 27 000 personnes parce qu'on est entrain de faire le repêchage de ceux qui n'ont pas été recensés.
Chaque fois qu'il y a un conflit près de Duékoué, dans la ville de Duékoué, les gens cherchent un refuge. En 2002 on avait eu un fort déplacement de burkinabés vers la Mission catholique et en 2004-2005 aussi il y a eu des déplacements de guérés.
La Mission catholique a-t-elle jamais été ciblée pendant les violences ?
C'était notre grande inquiétude. Vu la proportion que prenait la crise post-électorale et que, durant le mois de février, on avait senti une absence totale des humanitaires-- pour des raisons de sécurité ils ne descendaient plus sur Duékoué, ils étaient tous à Man. Alors j'ai pris le temps dès les premières semaines de contacter la force des Nations Unies sur place, c'est-à-dire le contingent marocain avec qui on a pu parler. On avait pensé au cas où il y allait avoir une belligérance à Duékoué, c'est-à-dire un conflit fort à Duékoué, comment faire pour sécuriser la Mission catholique. Mais ça n'a pas empêché qu'on ait deux morts au sein de la Mission catholique, c'est-à-dire deux blessés par balles qui ont succombé à leurs blessures et puis trois autres blessés. C'étaient des balles perdues.
Comment avez-vous vécu la prise de la ville de Duékoué par les forces loyales à Alassane Ouattara à la fin mars ?
On a eu vraiment peur parce que le combat était à l'arme lourde. 48 h de combats sans arrêt, avec tant de déplacés dans la cour de l'église, c'était très dur. Un moment donné il faillait se cacher, il faillait se coucher, il fallait se barricader pour ne pas prendre une balle perdue. Il faut penser aussi aux déplacés qui sont là, les bébés, les femmes, les personnes âgées, enfin toutes les personnes vulnérables. Je peux vous assurer c'était que ça a été dur pour nous. Il y a eu un traumatisme.
Y a-t-il eu des signes avant-coureurs du massacre à Duékoué ?
Moi personnellement je n'ai pas été surpris parce qu'il n'y a pas de cohésion sociale. Ici à Duékoué il y avait deux replis ethniques. Il y avait les malinkés qui étaient d'un côté au quartier Kokoman, très regroupés, et puis les guérés se sont regroupés au quartier Carrefour. Je me suis dit que si ça tournait au vinaigre pour les guérés ils allaient prendre le coup, si ça tournait au vinaigre pour les malinkés ça allait être pareil donc personnellement je n'étais pas surpris. Avec les humanitaires on en a parlé, on craignait plutôt cela.
Quelle est aujourd'hui la situation de securité à Duékoué ?
Il y a un retour au calme depuis le 29 mars vers midi mais il faut dire que la population est encore sous le choc. Les gens ont encore peur. Les nouvelles autorités nous assurent faire leur possible pour que la sécurité des uns et des autres soit garantie. Elles nous donnent à espérer.
Le contingent marocain des Nations Unies assure la sécurité des personnes déplacées au sein de la Mission catholique. Ils nous ont dit effectuer des veilles de nuit : il y a des affrontements, les gens ont peur des viols. Je n'arrive pas à dormir.
Les conditions de vie ne sont pas humaines, la cour n'est pas assez grande pour accueillir jusqu'à 27 000 personnes. Les gens vivent dans des conditions vraiment exécrables, on est entassés, les gens n'ont même pas où dormir. Maintenant c'est la saison des pluies et les gens la nuit subissent les affres de la pluie. On est tous unanimes pour dire qu'il faut désengorger le site, trouver un nouveau site et aider les déplacés à retrouver leurs maisons, aller dans leurs villages, si possible les aider à se réinstaller et puis les accompagner dans les villages. La source d'eau qui alimente la Mission catholique est contaminée par les matières fécales, les urines et autres. Avec la saison des pluies on risque encore une épidémie.
Comment avez-vous vécu l'absence des agences humanitaires quand elles ont dû se retirer de Duékoué à cause des combats ?
C'était dur pour nous psychologiquement de savoir qu'on est abandonné. Vous savez moi je suis un prêtre, je n'ai pas l'expertise humanitaire, je suis là, je regarde, je vois les gens. Il n'y avait pas d'assistance. Les jeunes volontaires étaient démoralisés, démobilisés. Ils n'avaient plus de force, ils étaient inquiets eux-mêmes et se disaient : « si les humanitaires sont partis se mettre en sécurité mais et nous alors, qu'est ce qu'on fait ici ?». Mais bon, tout ça c'est déjà du passé. Je pense qu'aujourd'hui ils ont là, ils vont jouer leur rôle d'humanitaire.
Quel a été le moment le plus difficile pour vous ?
Le moment le plus dur, je pense, a été pendant les combats. Pour moi je ne peux pas oublier parce que les enfants criaient, les femmes criaient, un moment donné, le centre de la mission où se trouvent le grand nombre de déplacés était vide parce que les gens avaient fui. Les combats faisaient rage, ils ont sauté les murs, ils sont partis dans la brousse, les enfants qui sautaient qui criaient, les familles qui ont perdu leurs enfants dans la débandade. C'était pour moi le moment le plus difficile.
De nombreux déplacés se trouvent toujours dans l'enceinte de la mission. Quel est leur état d'esprit ?
Les déplacés ont du mal à accepter de partir mais ils doivent partir. Ils craignent pour leur sécurité. Les gens ont l'impression qu'à la Mission catholique, ils sont en sécurité. C'est vrai on est là, on est tranquille, les gens sont aux petits soins, mais je pense aussi qu'ils ont besoin d'assurances selon lesquelles, en retournant chez eux, tout se passera bien.
Mais je vous dis que c'est un travail en profondeur que nous devons faire pour Duékoué. Il faut travailler la cohésion sociale parce que Duékoué n'appartient pas seulement aux guérés. Il y a aussi des populations allogènes, allochtones, il y a des gens qui sont là, il y a des burkinabés, des baoulés, il y a des yacoubas. Parce que nous, en temps que prêtres missionnaires, nous allons dans les villages et nous voyons que nos fidèles ne sont pas composés majoritairement de guérés, il y des burkinabés dans des villages qui sont majoritaires, il y a des yakoubas, des wobès, des baoulés qui sont majoritaires, donc il y a du monde et on pense que, si on s'y met tous, on peut arriver a consolider la paix. Et si on arrive à consolider la paix à Duékoué, je pense qu'on pourrait consolider la paix en Côte d'Ivoire, c'est un peu un laboratoire. Duékoué peut servir de modèle à toute la Côte d'Ivoire.