Questions/Réponses : Une journée de travail au HCR à Bagdad
Questions/Réponses : Une journée de travail au HCR à Bagdad
GENEVE, 4 juillet (UNHCR) - Daniel Endres a rejoint Bagdad en mars pour y occuper un poste difficile, en qualité de délégué de l'UNHCR en Iraq. Il dirige une équipe comptant quelque 100 personnes - la plupart en Iraq. Ce ressortissant suisse a passé la plus grande partie de sa carrière à l'UNHCR sur le terrain, après avoir fait ses débuts en tant que chargé de protection adjoint à Peshawar puis à Quetta. Il a ensuite dirigé le bureau de l'agence pour les réfugiés en Pologne, puis à Aden, au Yémen. Après avoir travaillé au sein d'équipes d'urgence dans le Nord-Caucase, dans la région des Grands Lacs, en Albanie et en Afrique de l'Ouest, Daniel Endres est devenu chef de mission adjoint pour l'Afghanistan de 2001 à 2005. Avant de partir pour l'Iraq, il dirigeait le Service d'urgence et de sécurité de l'UNHCR à Genève. Il s'est entretenu avec Shaden Khallaf, administratrice chargée des rapports.
Que pouvez-vous dire de la crise iraquienne par rapport aux autres situations d'urgence dans lesquelles vous avez travaillé ?
Si je prends la Sierra Leone et l'Afghanistan, ces deux pays ont été dévastés par la guerre civile mais ils ont réussi à trouver une issue, avec le soutien et l'implication de la communauté internationale. Je pense que cet aspect, le cadre mis en place par les Nations Unies pour la Sierra Leone et l'Afghanistan, manque en Iraq. Le processus est toujours conduit par les forces multinationales dirigées par les Etats-Unis et, de plus en plus, par le gouvernement national.... Les Nations Unies apportent leur contribution et leur soutien, mais ne dirigent pas vraiment ce processus. C'est la première différence frappante.
Quant aux similitudes, il existe un important déplacement et une grande difficulté pour parvenir à une vision commune à l'ensemble du pays. Certaines forces tendent toujours à diviser l'Iraq, mais il y a également une prise de conscience croissante que la désintégration ne fera qu'empirer la situation pour tout le monde et que la réconciliation est la meilleure voie.
Une autre différence marquée avec les autres situations d'urgence est la façon dont nous travaillons avec les forces de sécurité. La proximité avec les forces multinationales est une chose que nous n'avions jamais connue dans une opération auparavant.... C'est peut-être la seule solution à ce stade, mais c'est une chose avec laquelle les Nations Unies ont des difficultés. Ce n'est pas seulement une question de doctrine mais c'est également une question de perception par les Iraquiens et par le reste du monde.
Voyez-vous une autre façon pour les Nations Unies de travailler en Iraq ?
Tôt ou tard, il sera nécessaire de trouver une alternative parce que les forces multinationales réduisent leurs capacités et elles ne seront plus en mesure d'assurer le même niveau de sécurité pour les Nations Unies. Il nous faudra donc à l'avenir trouver un moyen de nous déplacer sans les forces multinationales. D'une certaine manière, je trouve que c'est une contrainte positive parce que de nombreux acteurs [y compris des ambassades et des ONG] ont trouvé un moyen de se déplacer sans les forces multinationales.
Que peuvent faire les Nations Unies pour aider à renforcer les capacités du gouvernement ?
Je ne suis pas certain que le renforcement des capacités, au sens traditionnel du terme, soit nécessaire à ce stade. En Iraq, il y a des capacités en abondance et la question est plutôt de savoir comment harmoniser les systèmes et trouver une solution commune.... Du point de vue du renforcement des capacités techniques [comme la gestion financière d'un ministère], les Nations Unies ne sont peut-être pas l'acteur le plus compétent en Iraq à l'heure actuelle. Mais les Nations Unies auront sans aucun doute un rôle important à jouer dans de nombreuses questions à forte connotation politique et relatives au déplacement pour lesquelles l'organisation est considérée comme un acteur capable, indépendant et neutre.
Parlez-nous de votre vie quotidienne à Bagdad
Je dois passer du temps dans quatre endroits différents : à Bagdad, à Amman où l'équipe pays des Nations Unis est basée, au Koweït d'où notre assistance pour une majeure partie du sud de l'Iraq est gérée et à Erbil dans le nord. Jusqu'à présent, j'ai passé environ 70 pour cent du temps à Bagdad, 20 pour cent à Amman et 10 pour cent à Erbil et au Koweït.
A Bagdad, la principale contrainte est bien entendu la sécurité. Nous vivons dans des containers dans un camp bien protégé [dans la « zone verte »]. Les containers ont un plafond en acier, des sacs de sable au dessus et un autre plafond. Ces équipements doivent pouvoir amortir l'impact d'une roquette et protéger les personnes qui se trouvent à l'intérieur. Des mesures similaires ont été mises en oeuvre pour protéger le bâtiment de la MANUI [Mission d'assistance des Nations Unies pour l'Iraq], qui se situe dans une ancienne école et qui est l'endroit où nous travaillons.
Je me lève à 7h00 environ et je prends mon petit déjeuner à 8h dans le réfectoire, connu sous le nom de DFAC. La nourriture, préparée par une équipe pakistanaise, est bonne. Comme j'ai vécu auparavant au Pakistan, ils me donnent parfois de leur propre nourriture. La cafétéria sert de la nourriture de type international et tout est congelé. Rien n'est préparé à partir de produits frais du marché et c'est dommage.
On me conduit au bureau, avec mon adjoint Niyazi Muharramov ou d'autres personnes. Cela prend environ 15 minutes en voiture. Nous passons un contrôle au départ et à l'arrivée dans l'enceinte, où il y a deux postes de contrôle. L'un d'entre eux est tenu par des soldats géorgiens qui effectuent un contrôle complet de notre identité et de notre véhicule. La sécurité à l'intérieur du bâtiment est assurée par des Fidjiens.
La réunion avec le personnel national du bureau est la partie la plus gratifiante de la journée parce que l'on apprend toujours quelque chose. Ils nous mettent au courant de ce qui s'est passé et nous programmons ensuite la journée - il y a des réunions internes, des réunions extérieures avec des fonctionnaires du gouvernement, des diplomates et des représentants des ONG. Dans la zone verte, nous avons facilement accès aux ministres et aux ministres adjoints et nous les rencontrons régulièrement pour discuter de problèmes politiques et opérationnels.
Lors du déjeuner, dans l'enceinte des Nations Unies, vous retrouvez tous les employés, du RSNUI [Représentant spécial des Nations Unies pour l'Iraq Staffan de Mistura] aux soldats et aux gardes. C'est bien parce que vous rencontrez aussi des collègues de la MANUI - les personnes chargées des questions politiques, les personnes chargées des élections, les personnes chargées de l'information du public.
Le fait de vivre si proches les uns des autres ressemble à la vie dans un campus universitaire. Vous créez facilement des liens. Le soir, généralement vers sept ou huit heures, nous retournons vers l'enceinte parce que tout est rythmé par les horaires fixes des repas, sinon vous manquez le dîner. Après le dîner, il y a peu d'activités sociales possibles. Il y a une salle de gym où je vais quand je ne suis pas trop fatigué. Certains collègues jouent au ping pong mais je ne joue malheureusement pas très bien. Le bar est ouvert deux fois par semaine.
Vous êtes-vous déjà aventuré en dehors de la « zone verte » ?
Seulement une fois, quand je suis allé présenter ma lettre d'accréditation au Ministre des Affaires étrangères [Hoshyar Zebari]. J'étais assis dans un Humvee. C'était comme si nous allions au combat et ils ont bloqué les routes pour notre convoi. Je ne me sentais pas bien car les Iraquiens qui marchaient dans la rue nous jetaient des regards de colère. Nous apprécions d'être en sécurité, mais j'espère que sur le long terme nous trouverons un moyen [de nous déplacer] plus adapté à une agence humanitaire.
Que pense votre famille du fait que vous soyez en Iraq ?
J'ai d'abord pensé : « Comment vais-je expliquer cela à ma mère ? » Je me souviens qu'elle m'avait dit une fois : « Fais ce que tu veux mais, s'il te plaît, ne va pas en Iraq ». Et j'avais répondu : « Bien sûr que non ». De toute manière, je leur ai dit que je partirais pour une longue mission, peut-être plusieurs mois, et je leur ai maintenant expliqué que cela pourrait sans doute durer un an. Mais je pense que ma mère et mes frères et soeurs comprennent parce que j'ai vécu en Afghanistan et dans beaucoup d'autres endroits [dangereux].
Que peut faire l'UNHCR actuellement en Iraq ?
En me rendant en Iraq, je savais qu'il y avait un grand scepticisme à propos de ce que nous y faisons réellement. Même le fait d'assurer la protection a été mis en doute et je me suis tout d'abord efforcé de discuter de notre programme avec les collègues, en particulier le personnel national.... Nous avons élaboré un système ensemble, qui comprend trois niveaux de surveillance et de vérification de tous les projets par le personnel national ainsi qu'une étude d'impact indépendante. Nous sommes désormais davantage en mesure d'expliquer ce qui est en cours et ce que nous faisons.
Quant aux projets eux-mêmes ... il y a 1,8 million de personnes récemment déplacées [à l'intérieur de l'Iraq] dont un tiers au moins sont extrêmement vulnérables et ont besoin d'une aide d'urgence. Il y a aussi 42 000 réfugiés et un grand nombre d'entre eux vivent également dans des conditions précaires. Il y a donc besoin d'interventions d'urgence et l'aide est fournie sous forme de colis de produits non alimentaires, contenant notamment une tente, des couvertures, des bâches en plastique, des jerrycans, etc. Ils ont été distribués à 300 000 personnes, ce qui représente une intervention relativement substantielle.
Les interventions visant à fournir des abris d'urgence représentent une autre composante importante de notre programme parce que de nombreuses personnes ont vu leurs maisons endommagées ou séjournent dans des familles d'accueil qui n'ont pas suffisamment de place. Nous prévoyons d'aider à améliorer l'hébergement d'au moins 10 000 familles, soit 50 000 à 60 000 personnes.
Nous fournissons aussi une intervention de stabilisation pour les personnes déplacées qui vivent principalement dans des villages d'accueil. Dans ces situations, la population supplémentaire exerce une pression sur les ressources en eau, les écoles, les équipements de santé. Dans ces villages, nous réalisons des interventions basées sur les communautés avec nos partenaires locaux, notamment les représentants locaux du ministère des déplacements. Ils consultent les villageois et décident quels sont les besoins les plus urgents.... Cette approche est essentielle pour stabiliser les déplacements internes.
Nous réalisons également un travail important de protection dans les centres de protection et d'assistance. L'une des principales activités de ces centres consiste à aider les personnes à obtenir les papiers nécessaires pour avoir accès aux services publics et à l'aide du gouvernement. Les centres de protection et d'assistance mènent également des activités d'évaluation des besoins et de surveillance des déplacés et des rapatriés.