'Montrez-nous d'abord que cette paix est sérieuse'
'Montrez-nous d'abord que cette paix est sérieuse'
KHARTOUM, Soudan – Chassé des terres qu'il cultivait par le conflit au Soudan du Sud, Singira Mirihewari a entrepris un voyage de 18 heures pour venir rencontrer les dirigeants qui négocient la paix au Soudan, et leur dire ce dont ont besoin les millions de réfugiés comme lui.
« Nous avons souffert. Nous avons été les plus touchés. Le pays est pratiquement vide. Plus personne ne peut y rester », a-t-il expliqué à son arrivée dans la capitale, Khartoum, au terme du voyage qu’il a effectué depuis la République démocratique du Congo pour rencontrer en face à face les parties impliquées dans la reprise des négociations pour la paix.
« Si les dirigeants du Soudan du Sud veulent que nous rentrions, ils doivent d'abord nous montrer que cette paix est sérieuse », a-t-il ajouté.
Depuis que le conflit a éclaté au Soudan du Sud en 2013, quelque 2,5 millions de personnes comme Singira ont fui l'extrême violence, les violations de droits et d'inimaginables souffrances pour devenir des réfugiés, tandis que 2 millions d’autres habitants sont déplacés internes au sein de ce plus jeune pays du monde.
Singira fait partie du groupe de 16 représentants des réfugiés qui a fait le voyage depuis la RDC, la République centrafricaine, l'Éthiopie, le Kenya, l'Ouganda et le Soudan pour faire part de leurs idées, de leurs espoirs et de leurs attentes aux dirigeants des factions politiques qui négociaient un accord de paix le mois dernier.
« Nous avons souffert. Nous avons été les plus touchés. Le pays est pratiquement vide. »
Cet accord, intitulé ‘Accord de paix revitalisé’, promet aux réfugiés le droit de rentrer au Soudan du Sud en sécurité et dans la dignité, et de bénéficier d’une protection physique, juridique et psychologique.
L'accord leur garantit le droit de retourner sur leurs lieux d'origine ou de vivre dans la région de leur choix. Il protège également leur droit à la citoyenneté et à des papiers. Certains des réfugiés qui ont fait le voyage jusqu’à Khartoum s'interrogent toutefois sur la capacité du Soudan du Sud à assumer ces engagements.
« Nous voulons vraiment rentrer. Le Soudan du Sud est un pays riche. Nous avons tout, du pétrole, de l'or, différents minerais. Nous avons de quoi survivre. Mais les dirigeants doivent arrêter les combats », a déclaré Margaret Wani Ambi, 62 ans et grand-mère de cinq enfants.
Margaret a fait le déplacement en compagnie d'un autre délégué depuis le camp informel de Bentiue, une implantation informelle dans la région de Khartoum qui compte plus de 24 000 habitants. Elle voulait avoir plus d’informations sur la mise en œuvre de l'accord de paix et savoir s'il prévoit un rôle précis pour les réfugiés eux-mêmes.
« Je veux comprendre exactement quel est le processus pour établir la paix. [Les réfugiés] doivent avoir droit à la parole pour établir les lois et la structure du pays, pour qu'il n'y ait plus la guerre. Nous sommes en dehors du pays, mais c'est notre pays et nous devons avoir un rôle à jouer. »
Simon Marot Touloung, marié et père de deux enfants, est lui venu d'Ouganda, où il vit depuis qu'il a fui sa maison il y a cinq ans ; il veut obtenir des dirigeants l'assurance que les réfugiés rentreraient dans un pays opérationnel.
« Pendant la réunion, je leur ai expliqué qu'aucun réfugié ne rentrera au Soudan tant que rien ne fonctionne. Ils vont devoir réparer les routes, construire des écoles, remettre l'économie en marche. La justice. Tout doit être remis en route et ça va prendre longtemps », a-t-il expliqué.
Si de nombreux déplacés sont las de vivre en tant que réfugiés, il a ajouté : « Nous ne rentrerons pas pour subir une vie plus misérable. Aucune de nos femmes ne voudra rentrer parce qu'en Ouganda, elles peuvent au moins nourrir leurs enfants… Je veux donc savoir comment ils prévoient de réparer les choses. Ensuite, je retournerai en Ouganda et je dirai aux autres réfugiés ce que j'ai entendu dire ici. »
Peter Kuany Garang était chef de sa communauté à Renk, au Soudan du Sud, lorsque les combats ont éclaté en 2014. Dans un climat de folie meurtrière aveugle, il a conduit à pied quelque 24 000 membres de sa communauté vers la sécurité de l'État du Nil Blanc au Soudan, où il vit depuis comme réfugié.
« Je leur ai expliqué qu'aucun réfugié ne rentrera au Soudan du Sud tant que rien ne marche. »
« Je suis venu ici aujourd'hui. J'ai écouté. J'ai entendu. Nous avons entendu parler de l’accord. Dans le camp du Nil Blanc où nous vivons, ça a été la fête. Les réfugiés veulent la paix. Les réfugiés veulent rentrer au Soudan du Sud », a-t-il déclaré.
« Mais je reste un peu sceptique à cause des autres. Je suis un peu sceptique quant à leur engagement en faveur de la paix. Mais nous sommes prêts à essayer pour voir. Si cet accord de paix marche, nous pouvons rentrer demain. »
Toutes les parties prenantes de l'accord, issues du gouvernement et des groupes d'opposition, assistaient à la réunion et elles ont écouté les points de vue des réfugiés. Elles disent qu'elles sont sérieuses quant au rôle des réfugiés dans le processus de paix, et les ont encouragés à leur faire confiance.
Arnauld Akodjenou, le coordonnateur régional pour les réfugiés et conseiller spécial auprès du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés pour la situation au Soudan du Sud, a souligné l'importance de la participation des réfugiés à la réunion.
« La participation de représentants des réfugiés à Khartoum sera, pour les dirigeants du pays et du monde, le rappel du coût humain qui s’accumule pour chaque jour sans paix au Soudan du Sud », a-t-il indiqué.
« Ils peuvent également devenir d’ardents défenseurs de la paix en diffusant ce message dans les communautés de réfugiés où ils vivent, ou encore à leur retour au Soudan du Sud, s'ils décident d'y retourner de leur plein gré. »