L'ancien dirigeant du CIO, Jacques Rogge, prône le sport pour les jeunes réfugiés
L'ancien dirigeant du CIO, Jacques Rogge, prône le sport pour les jeunes réfugiés
BRUXELLES, Belgique, 7 avril (HCR) - Quand le chirurgien orthopédique belge Jacques Rogge a quitté ses fonctions de président du Comité international olympique (CIO) en 2013, il pensait qu'il aurait le temps de rattraper son retard de lecture et de se consacrer à ses autres centres d'intérêt mis de côté pendant des années. Mais quand on a demandé à l'ancien navigateur olympique de promouvoir l'importance du sport pour les enfants réfugiés, il n'a pas pu résister à ce défi. En avril dernier, il a été nommé Envoyé spécial pour les jeunes réfugiés et le sport par le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon. Ce rôle l'a rapproché de l'agence des Nations Unies pour les réfugiés, ce qui l'a conduit à rencontrer le Haut Commissaire pour les réfugiés António Guterres en juillet dernier à Genève et à effectuer une visite du camp de réfugiés d'Azraq en Jordanie, cogéré par le HCR, en octobre.
A l'occasion de la Journée internationale du sport pour le développement et la paix, qui a eu lieu hier, Jacques Rogge s'est entretenu de son nouvel engagement avec Frederik Smets, chargé de communication et de plaidoyer au HCR à Bruxelles. Selon Jacques Rogge, « vous pouvez toujours trouver du temps pour ce qui vous passionne ».
Comment avez-vous été nommé à ce nouveau poste?
J'ai rencontré le Secrétaire général Ban Ki-moon aux Jeux Olympiques d'hiver à Sotchi début 2014. C'était peu après avoir quitté mes fonctions de président du CIO, et le Secrétaire général m'a dit qu'il savait que j'avais désormais plus de temps. Il m'a demandé si je serais disposé à accepter sa proposition de devenir Envoyé spécial parce qu'il savait que la situation dramatique des réfugiés m'avait toujours touché. J'ai envisagé cela comme un défi très positif. Il n'a donc pas eu besoin d'insister beaucoup. Après quelques échanges pour clarifier certains points, j'ai dit : « Allons-y ».
Pourquoi êtes-vous préoccupé spécifiquement par la situation dramatique des jeunes réfugiés?
Le CIO a toujours eu une forte tradition de responsabilité sociale. Notre politique a toujours été de réinvestir plus de 90% des revenus de tous les Jeux olympiques dans le sport à tous les niveaux. La plus grande partie de cet investissement va aux pays en développement, et souvent aux jeunes qui n'ont pas beaucoup d'opportunités.
Pour moi, amener le sport à des jeunes dans des situations difficiles est simplement une question d'humanité. Ils n'ont pas de perspectives. Ils vivent dans une situation très difficile et ont souvent été victimes de violences et de brutalités inimaginables. Je suis convaincu que le sport peut contribuer à leur redonner un sens de l'identité. Cela les aide à reconstruire leur vie. Cela leur redonne de la dignité et une activité sur laquelle ils peuvent se concentrer.
En octobre dernier, vous avez visité le camp d'Azraq. Quelle a été votre impression ?
Cela a été stimulant. Cette visite a plus que jamais renforcé mon sentiment qu'il est du devoir de chacun d'aider les jeunes affectés par la guerre en Syrie, et je pense que le sport est l'un des meilleurs moyens de le faire. La moitié de la population du camp d'Azraq a moins de 25 [ans]. En dépit de l'évidente barrière de la langue, j'ai pu constater que jouer au football, au tennis de table ou à d'autres sports aidait les jeunes à supporter leurs conditions de vie très difficiles. Cela les maintient en bonne santé physique et mentale. Cela les aide à surmonter le traumatisme et à retrouver confiance en eux, tout en leur enseignant des valeurs comme l'excellence, l'amitié et le respect. Le sport les protège également. Ils apprennent à dire non à l'attrait de certaines milices ou à l'implication dans des activités illégales. Cela leur redonne un sentiment de dignité, d'espoir et de joie.
Dans quels projets allez-vous vous engager ?
Le Secrétaire général a insisté pour renforcer la sensibilisation à la nécessité d'inclure le sport dans l'aide fournie aux jeunes réfugiés. Ma principale mission consistera à créer des alliances avec le mouvement olympique et d'autres parties prenantes afin de promouvoir des programmes permettant aux réfugiés de bénéficier d'activités physiques sûres, complètes et durables moyennant la mise en place d'infrastructures et l'organisation d'activités. Il y aura toujours quelques constructions d'infrastructures de sport, mais je dois globalement faire mon possible pour garantir que les jeunes réfugiés puissent pratiquer des sports.
Pour citer un projet parmi d'autres, le CIO pilote actuellement la construction d'un centre de sport pour les jeunes dans le camp d'Azraq, en coopération avec CARE Jordanie, une ONG qui développera des programmes sportifs pour les jeunes réfugiés dans le camp. Mais nous prévoyons déjà une deuxième visite, cette fois-ci dans les sites de réfugiés en Ethiopie. Là-bas aussi, nous évaluerons d'abord les besoins et rechercherons les financements et le soutien nécessaires pour créer des infrastructures et des activités sportives. Nous essaierons de faire la même chose dans beaucoup d'autres endroits.
Quelles sont vos priorités à long terme pour les jeunes réfugiés et le sport ?
En ce qui concerne les projets d'infrastructure, cela dépend beaucoup de la durée de l'équipement. Toutes les installations auront besoin d'être entretenues de temps en temps. Mais hormis la logistique, la planification dépend essentiellement de la durée de l'utilisation des camps de réfugiés. Tant que les jeunes vivent dans les camps, toute planification à très long terme sera difficile.
Dans les contextes urbains, les défis sont spécifiques parce que les réfugiés ne sont pas concentrés dans une seule zone bien définie. Vous ne pouvez pas les atteindre et les impliquer si facilement. Nous devrons donc attirer différemment les jeunes réfugiés vers des activités sportives. La plupart des Jeux olympiques ont été organisés dans des villes. Le CIO a toujours coopéré avec les comités olympiques nationaux, les autorités locales et certaines ONG. Ce modèle peut certainement inspirer notre travail auprès des jeunes réfugiés en milieu urbain.
Les budgets pour les opérations humanitaires sont de plus en plus serrés. Etes-vous inquiets pour les financements ?
Vous devez accepter cette situation [budgets en baisse], tout en comprenant que les activités sportives ne vont pas tant affecter le budget du HCR. La plus grande partie du financement proviendra du CIO et d'autres partenaires importants. On pourrait dire d'une certaine manière que les partenaires externes organiseront toutes ces activités sportives en collaboration étroite avec les Nations Unies et le HCR.
Le HCR continuera bien sûr toujours de donner la priorité à ce qui est dans l'intérêt des réfugiés. L'agence fait des choses extraordinaires dans ce domaine et possède une expertise incomparable pour ce qui est de l'aide aux réfugiés. Je suis sûre que cela continuera d'être le cas.
Le secteur privé continuera d'apporter une contribution importante, tant financièrement que par des dons en espèces comme des vêtements de sport et des infrastructures. L'une de mes tâches consiste à susciter l'intérêt du secteur privé pour qu'il devienne partenaire des jeunes réfugiés et du sport. J'y travaille actuellement.
Beaucoup de crises d'urgence se transforment en situations prolongées, avec des millions de jeunes vivant comme des réfugiés pendant des années. Le sport peut-il aider d'une façon ou d'une autre ?
Le CIO a toujours participé à des initiatives pour la paix par le sport. Pour ne citer qu'un exemple, les premiers Jeux européens de l'histoire auront bientôt lieu à Bakou, la capitale de l'Azerbaïdjan. L'équipe qui organise ces jeux a réussi à réunir des athlètes originaires d'Arménie et d'Azerbaïdjan malgré le conflit entre ces deux nations au sujet du Haut-Karabagh. C'est un message très positif.
Je me souviens d'événements sportifs organisés conjointement avec les soldats de la paix et les communautés locales en République démocratique du Congo et au Congo afin de rassembler des groupes différents avant les élections. Cela a contribué à apaiser l'animosité.
Le sport crée des ponts. Il transmet un message de respect mutuel et de paix. Dans tous les villages olympiques de tous les Jeux olympiques auxquels j'ai assisté, les athlètes de toutes les nationalités, races, langues et religions vivaient ensemble de façon pacifique. C'est également possible à un certain degré au sein des communautés d'accueil et de réfugiés. Mais ce message ne peut avoir un impact durable que lorsqu'il est relayé par le monde politique.
Parviendrez-vous un jour à rattraper votre retard de lecture?
Je pense que oui. J'ai l'habitude de travailler dur. Vous devez savoir que mon travail au CIO était également très prenant. Je suis sûr que ce nouveau rôle ne me prendra pas autant de temps. C'est ce qui en fait un plaisir.
Je vis et travaille désormais principalement dans ma ville natale de Gand et je voyagerai occasionnellement pour ce nouveau rôle d'Envoyé spécial. Je siège également dans la Commission de lutte contre l'obésité infantile, récemment mise en place par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS). A ce titre, je traite d'un autre problème qui frappe notre jeunesse. Je mène donc des activités qui me tiennent beaucoup à coeur. Comme vous le savez, une journée n'a que 24 heures, et je suis quelqu'un de très actif. Vous pouvez toujours trouver du temps pour ce qui vous passionne.