La peur du rejet dans les sinistres zones de transit de la Hongrie
La peur du rejet dans les sinistres zones de transit de la Hongrie
RÖSZKE, Hongrie, 7 juin (HCR) – Assis dans un champ à la frontière serbo‑hongroise, Omid Ahmadi, un étudiant en journalisme originaire de la capitale afghane, Kaboul, regarde la barrière qui le sépare de l’Union européenne (UE), si proche et si éloignée à la fois.
Contrairement aux autres réfugiés autour de lui, il n’a même pas de tente. Mais il ne se plaint pas de devoir vivre dans des conditions difficiles et il attend avec l’espoir qu’un jour, il pourra entrer légalement en Hongrie. « Quelle que soit la règle, je m’y soumets. Je veux seulement que l’on m’écoute. »
Âgé de 17 ans, Omid a fui le régime des talibans. Il est intelligent et bien informé. Il ne peut toutefois pas savoir qu’il essuiera probablement un refus si jamais il est autorisé à franchir le tourniquet menant à la « zone de transit ». C’est là que, dans de petites guérites bleues, des agents du Bureau hongrois de l’immigration et de la nationalité examinent les demandes d’asile, au rythme d’environ 20 par jour.
« Nous sommes préoccupés par les approches restrictives de la Hongrie et la situation déplorable des demandeurs d’asile hors des zones de transit. Actuellement, entre 15 et 17 personnes seulement sont admises tous les jours dans chaque zone, et des centaines continuent de souffrir jour et nuit sans pouvoir bénéficier d’une aide à la frontière de l’UE », dit Samar Mazloum, chef du bureau du HCR sur le terrain à Szeged.
« La procédure actuelle rend très facile pour les trafiquants d’exploiter encore davantage ces réfugiés désespérés et de les inciter à emprunter des itinéraires plus dangereux lorsque les voies légales sont fermées. »
Dans un récent rapport intitulé « Hungary as a Country of Asylum », le HCR a conclu qu’on « peut s’interroger sérieusement sur la compatibilité de certains aspects importants de la loi et de la pratique hongroises avec le droit international et européen ».
Deux zones de transit ont été établies à la frontière de la Hongrie et de la Serbie, l’une à Röszke et l’autre à Tompa. Actuellement, il y a environ 300 réfugiés dans chaque zone, des Afghans pour la plupart.
A Röszke, Omid attend avec angoisse sans rien faire de ses journées dans un champ qui est plus vaste que la pelouse à Tompa, mais pour le reste, les conditions sont les mêmes : un seul robinet, pas de toilettes et distribution de vivres sous la forme de pique-niques.
Pour de nombreux réfugiés, l’inconfort et l’attente seraient supportables si seulement l’attente était gérée. Mais les réfugiés sont appelés, de façon aléatoire semble-t-il, pour leur entrevue. L’incertitude alimente le désespoir et crée des tensions parmi les demandeurs d’asile. Il est difficile pour les hommes célibataires d’obtenir une audience.
« Dans mon pays, j’ai fait des études de psychologie et de philosophie », dit Omid. « J’avais de nombreux livres. Je compare ces années à ma situation actuelle, à l’impuissance que je ressens. Quelle différence! J’essaie de ne pas oublier que la lumière est toujours au bout du tunnel. »
Le personnel du HCR sur le terrain essaie de repérer les réfugiés vulnérables et de plaider en leur faveur auprès du Bureau hongrois de l’immigration et de la nationalité, mais de nombreuses personnes malades languissent dans les tentes.
À Röszke, Sardat Tajik, âgée de 64 ans, une veuve ayant quatre enfants, tient à la main un sac en plastique rempli de pilules et de comprimés qu’elle doit prendre car elle a une maladie de cœur. Elle explique avoir quitté Herat à cause des « menaces que font peser les ennemis » et qu’elle ne peut pas y retourner.
À Tompa, Masoma Afshar, âgée de 35 ans, une mère de trois enfants originaire de Kaboul, souffre le martyre, allongée par terre, du fait d’une fracture non consolidée. Elle s’est cassé la cheville en Turquie mais, au lieu de se reposer, elle a marché avec des béquilles pendant 30 heures en direction de Belgrade.
« La procédure actuelle rend très facile pour les trafiquants d’exploiter encore davantage ces réfugiés désespérés. »
D’autres s’approchent, brandissant des certificats médicaux établis par des médecins serbes; Shema Sahen a des rhumatismes, Marzijeh Hosseini a une tumeur cérébrale… Malgré un diagnostic d’angine de poitrine, Akhtar Nezam Ghaed trouve l’énergie de brosser cinq paires de chaussures et de les aligner soigneusement à l’extérieur de la petite tente qu’occupe sa famille.
L’intérieur des tentes est propre. Les femmes plient leurs foulards, tandis que les enfants jouent aux cartes ou font des bulles. Même si les réfugiés n’ont rien de concret à donner, assis avec eux sur leurs couvertures, j’ai le sentiment d’avoir été bien reçue.
Sajad Azizi, âgé de 22 ans, m’invite fièrement à entrer dans sa tente, la plus grande du camp de Röszke. Un organisme caritatif local lui a alloué cette tente, dit-il. Son beau‑père, son beau‑frère et trois belles‑sœurs se trouvent à l’intérieur. Si elle n’était pas si tragique, son histoire pourrait être une blague de mauvais goût.
Des trafiquants ont mis toute la famille dans deux voitures qui ont été séparées lors du voyage à travers la Serbie. La femme de Sajad, Shugofa, âgée de 20 ans, était dans une voiture, avec sa belle-mère et son beau-frère. Sajad a perdu contact avec Shugofa et il ignore où elle se trouve.
« Une vraie confusion », dit-il, avec un sourire lumineux. À Kaboul, Sajad travaillait au ministère du commerce; il était chargé de la création de petites entreprises pour les femmes.
Sajad arrive peut-être à conserver sa raison, tout juste, mais d’autres sont dans un état de détresse psychologique évident. À Tompa, dans la tente de la famille, le bébé d’Abdoul Sami marche à quatre pattes tandis que Fakhrea, la femme d’Abdoul, est allongée, apathique et sans réaction. « Elle ne va pas bien », dit-il, tout en montrant des photos de membres de la famille de Fakhrea dans des sacs mortuaires. « Ils ont péri en mer », explique-t-il, sombrement.
Parmi les Afghans se trouvant à Tompa, on compte quelques demandeurs d’asile provenant d’Iran. Sattr Neisi, un coiffeur de 30 ans originaire de Téhéran, dit qu’il a choisi l’exode avec sa femme, Zahra Azadi, également âgée de 30 ans, pour cause de persécution politique. « Zahra a passé trois mois en prison à cause de son travail. Elle est avocate, voyez-vous. »
Certains Afghans seraient particulièrement exposés s’ils rentraient chez eux car ils ont travaillé avec les forces occidentales ou des organisations internationales et ont été étiquetés comme « collaborateurs » par les talibans. Shakib Daqiq, âgé de 33 ans, est dans cette position parce qu’il a travaillé comme interprète pour l’armée française.
À Tompa, dans la poussière et la chaleur du jour, Shakib porte une veste en tweed élégante. Il essaie de réconforter Sadi, son fils de six ans.
Shakib a été séparé de sa femme, Nilah, âgée de 28 ans, et de ses deux autres garçons. « Sur le chemin dans la forêt en Bulgarie », dit-il, « Sadi a eu besoin d’aller aux toilettes. Je l’ai amené dans les buissons et je l’ai lavé dans un ruisseau. Quand je suis revenu, le reste de ma famille avait disparu. »
Il dit que la police bulgare a arrêté Nilah ainsi que d’autres réfugiés et qu’elle les a renvoyés en Turquie. Shakib et Sadi ont passé un mois dans une prison bulgare avant d’être autorisés à poursuivre leur route à travers les Balkans.
« Sadi réclame toujours sa mère en pleurant », dit Shakib. « Il dit que s’il ne peut pas la voir, il va aller mettre fin à ses jours sur l’autoroute. »
Dans le champ à Röszke, un autre jeune Afghan est triste pour sa mère. Âgé de 16 ans, Ahmad Menawal n’est pas hystérique, mais il pleure. « S’il vous plaît, venez voir ma mère », dit-il. « Elle est tellement déprimée. »
Ahmad dit que son père, Abdoul Wasi, un médecin décédé des suites d’une maladie à Kaboul il y a trois ans, travaillait pour les Nations Unies. Anahita Sherzad, sa mère, travaillait pour la Croix‑Rouge.
Anahita, âgée de 50 ans, a l’air fragile. Un médecin en Serbie lui a prescrit du diazépam pour sa dépression. Elle parle de son travail pour la Croix‑Rouge. « Je travaillais pour la promotion de l’hygiène », dit-elle. « Nos messages comptaient cinq points : une bonne alimentation, une eau propre, les déchets, les eaux usées et les moustiques. » L’histoire est plausible.
Il n’y a pas d’électricité pour recharger les téléphones dans le champ mais, plus tard, Ahmad est arrivé à se connecter et à envoyer des documents numérisés semblant prouver que son père gérait un dépôt pharmaceutique pour l’Organisation mondiale de la Santé.
« En Afghanistan, les gens disaient de nous que nous étions anti-islamiques parce que mes parents travaillaient avec les étrangers », dit Ahmad. « Nous prions pour être accueillis en Europe. N’y a-t-il rien que vous puissiez faire pour nous aider? »
Note : Depuis notre visite dans les zones de transit, Omid Ahmadi ainsi qu’Ahmad Menawal et sa mère ont pu entrer en Hongrie; ils se trouvent actuellement dans des centres d’accueil ouverts.
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