Des excursions en bateau valorisent le passé d'Amsterdam pour l'accueil des réfugiés
Des excursions en bateau valorisent le passé d'Amsterdam pour l'accueil des réfugiés
Il y a deux ans, un petit bateau de pêche égyptien sans mât, à la peinture bleue écaillée, était refoulé des côtes tunisiennes avec 76 personnes à bord. Le 29 août 2014, il était retrouvé par les garde-côtes italiens à dix-huit milles au sud-ouest de la Sicile et remorqué vers la terre.
Aujourd’hui, le Hadir et un autre bateau sillonnent les eaux plus tranquilles des canaux d’Amsterdam, emmenant les habitants et les touristes à la découverte de l’histoire de la ville à travers les yeux des réfugiés et des migrants – célèbres, tristement célèbres et inconnus – qui ont contribué à former la plus grande ville des Pays-Bas.
A la barre de ces excursions hebdomadaires – dont le nombre a été limité à 12 par les autorités municipales d’Amsterdam – se trouve un groupe varié de skippers partageant une caractéristique commune : ce sont tous des réfugiés qui ont rejoint Amsterdam dans des conditions similaires à celles des bateaux qu’ils pilotent.
« Il a fallu me convaincre de remonter sur un bateau », explique l’un d’eux, Mohammed al-Masri, un réfugié syrien de 24 ans arrivé à Amsterdam en 2015.
Il a quitté la Syrie en 2012 avec ses parents, deux sœurs et un plus jeune frère. Ils sont d’abord allés au Liban, puis en Jordanie. Là-bas, il était dans l’incapacité de subvenir aux besoins de sa famille.
Quand on lui a demandé de conduire le Hadir, cela lui a cependant rappelé des souvenirs de son propre périple lorsque des passeurs lui avaient fait traverser la Turquie avant de les entasser dans un canot pneumatique avec des dizaines d’autres passagers, dont 11 enfants et un aveugle, qui les a emmenés en Grèce. Ce fut une expérience effrayante.
L’opportunité de raconter son histoire pendant une excursion sur le Hadir s’est avérée trop tentante.
Le Hadir et l’autre bateau servaient auparavant à faire traverser clandestinement la Méditerranée. En plus de l’excursion, ils proposent des diners à bord pendant lesquels les passagers sont invités à rencontrer et à échanger avec des réfugiés et des immigrés, ainsi qu’un service de navettes vers de nombreuses attractions de la ville.
« J’espère que voyager avec cet équipage va renverser les idées préconçues »
Le projet, en partie financé par le gouvernement des Pays-Bas, est une idée personnelle de Teun Castelein, un artiste néerlandais qui, en 2012, a été gêné par la façon dont les médias couvraient la situation dramatique des réfugiés et des migrants qui se noyaient lors de la dangereuse traversée entre l’Afrique du Nord et l’Europe.
Il continue d’être guidé par le sentiment que les idées fausses du public à propos des réfugiés et des migrants doivent être combattues, en particulier la vision erronée des réfugiés perçus soit comme des menaces potentielles ou comme des victimes. « Je pense que ce sont toutes deux des idées fausses et j’espère que le fait de faire une excursion avec notre équipage va remettre en question ces préjugés ».
Le projet emploie 10 personnes. Ce sont tous des réfugiés ou des migrants – certains issus de la deuxième génération – qui s’appuient sur la longue histoire de la ville en matière d’accueil de migrants et de réfugiés à travers les siècles.
Amsterdam est devenue une ville protestante en 1578, mais a toujours toléré les personnes de toutes les croyances – une ouverture vitale pour sa prospérité.
Elle a ensuite attiré les minorités persécutées en provenance de toute l’Europe au cours du siècle suivant : les banquiers protestants originaires de Belgique, les riches juifs fuyant l’Inquisition en Espagne et au Portugal, les juifs plus pauvres originaires d’Europe de l’Est, les Huguenots originaires de France. Au milieu du 17ème siècle, Amsterdam était le pôle commercial le plus important du continent.
Aujourd’hui, la ville accueille des personnes de 180 nationalités différentes. Environ 45% de la population de la métropole comptant 1,6 millions d'habitants appartiennent à une minorité ethnique.
« Ce sont des êtres humains comme vous, ils ont un esprit, ils sont capables de réféchir, remplir des espaces et améliorer certaines choses »
L’excursion met en valeur l’expérience des réfugiés et des migrants à travers l’histoire. Par exemple, l’exécution de la jeune Danoise Elsje Christians, ayant subi le supplice du garrot pour avoir commis un meurtre et dont le corps a été exposé comme avertissement pour les autres. Ses restes ont été dessinés par Rembrandt alors qu’ils étaient exposés au public.
Il y a aussi eu le philosophe Baruch Spinoza, dont la famille a fui l’Inquisition, la jeune écrivaine Anne Franck, dont la famille a fui l’Allemagne nazie dans les années 30, la réfugiée somalienne Ayyan Hirsi Ali, connue pour son franc parler qui a demandé l’asile en 1992. Il y a eu des ramoneurs italiens et des médecins chinois.
D’après Masri, son rôle pendant l’excursion consiste à compléter cette histoire.
« Je suis un fait réel », dit-il. « Je suis une histoire récente. J’espère que cela sensibilise au fait que les nouveaux venus ne sont pas ici seulement pour voler votre argent ou corrompre votre pays. Ce sont des êtres humains comme vous, ils ont un esprit, ils sont capables de réfléchir, ils peuvent remplir des espaces et améliorer certaines choses ».
Le passager Piet van den Boog, qui a pris place à bord du Hadir pour la première fois, affirme que l’opportunité de rencontrer des réfugiés était importante parce que le contact direct entre les personnes est toujours le plus efficace.
D’ailleurs, le peintre de 64 ans ajoute : « le bateau raconte sa propre histoire ».