Cinquième anniversaire de l'indépendance du Soudan du Sud : des millions de déplacés fuient la poursuite des violences, la famine et l'incertitude
Cinquième anniversaire de l'indépendance du Soudan du Sud : des millions de déplacés fuient la poursuite des violences, la famine et l'incertitude
KAKUMA, Kenya – Lina Obere veut jouer. Agée de presque 5 ans, elle embête son frère, en tirant son tee-shirt et en se roulant par terre à ses pieds. Puis elle se tourne vers sa mère, Cecilia, et lui fait un câlin pour attirer son attention. Mais elle ne dérange pas sa sœur jumelle, Karleta.
Karleta dort, couverte d’un châle rose décoloré, dans le service de pédiatrie d’un hôpital, loin de chez elle au Soudan du Sud. Elle est couchée sur le sol crasseux d’un camp de réfugiés au nord du Kenya, atteinte d’anémie et de pneumonie à cause d’une malnutrition sévère.
Les jumelles sont nées peu après l’indépendance de leur pays, et comme l’ensemble de la nation, elles devraient se réjouir de fêter leur première moitié de décennie. Au lieu de cela, elles ne connaissent que difficultés et désespoir.
« Tout est devenu trop difficile dans notre pays et nous n’avions personne pour nous aider », explique la mère des fillettes, une main rassurante posée sur la jambe de Karleta endormie. « Tout le monde avait faim. La population se mourrait. Que pouvions-nous faire? Nous devions partir ».
Le Soudan du Sud a passé une bonne partie de sa courte vie à se faire la guerre à lui-même, ravagé par un conflit politique qui s’est transformé en bain de sang fin 2013. Quelque 2,4 millions de personnes ont fui leur foyer, mues par la crainte, avant qu’un accord de paix en août 2015 mette un terme aux principales offensives.
Concentrés sur la lutte contre l’opposition, l’attention et les financements du tout nouveau gouvernement n’ont pas été correctement investis dans le développement du pays.
Cela a mis le Soudan du Sud à genou cinq ans après les joyeuses célébrations du 9 juillet 2011 pour la fête de l’indépendance. Les indicateurs de développement ont à peine bougé. Les infrastructures restent chaotiques. L’éducation, la santé et les services sociaux sont rudimentaires et principalement assurés par des associations caritatives ou des ONG étrangères.
Les effets de la guerre sur les zones qui ont connu des combats sont évidents : villages vidés, terrains en friche, écoles ou cliniques bombardées. Mais les répercussions du conflit ont même atteint les personnes vivant dans les endroits ayant échappé aux affrontements.
La famille Obere vivait dans un tel endroit, dans la ville d’Isohe située dans la province de l’Equatoria-Oriental. Le premier mari d’Obere a été tué quand des bandits ont volé tout le bétail de la famille lors d’un raid. Elle a été aidée par une mission de l’église. Elle balayait le sol et s’occupait du jardin contre de la nourriture et un endroit pour dormir avec sa famille. Sa vie s’est stabilisée pendant un moment, raconte-t-elle.
« Je n’ai jamais fui mon foyer à cause de la guerre ou de la faim auparavant, ni mes parents, ni aucune personne que je connaisse ».
Les jumelles sont nées fin 2011, suivies d’un garçon, Patricio, un an plus tard. Autour d’eux, tous les Soudanais du Sud nouvellement indépendants célébraient les premiers signes de liberté et d’auto-détermination.
« Tout allait bien alors. Les enfants grandissaient bien, j’avais du travail et l’église nous aidait tous », explique Obere. « Nous faisions des plantations, il pleuvait, les récoltes donnaient et nous mangions bien – une vie normale. Les enfants aimaient surtout les arachides que nous faisions pousser et que nous pilions pour en faire une pâte. Ils en mangeaient et couraient ensuite dans tous les sens, pleins d’énergie ».
Mais les prix du marché ont commencé à monter, à cause des dévaluations de la devise locale et de la chute mondiale du prix du seul produit d’exportation, crucial pour le Soudan du Sud : le pétrole. Les pluies ont manqué une année, puis encore l’année suivante.
De plus en plus de familles comme celle d’Obere ont commencé à quitter leurs fermes en déclin pour se rendre en ville en quête d’aide de la mission de l’église. Il y a rapidement eu trop de bouches à nourrir et pas assez de nourriture. Soudainement, les espoirs de 2011 ont commencé à se fissurer.
« Je n’ai jamais fui mon foyer à cause de la guerre ou de la faim auparavant, ni mes parents, ni aucune personne que je connaisse », raconte Obere, âgée de 26 ans. « Après avoir réalisé que mes enfants souffraient tant, j’ai entendu des personnes parler de Kakuma, et conseiller d’y aller pour recevoir de l’aide ».
« J’ai réalisé que je n’avais personne pour m’aider, personne pour me donner une vache ou une chèvre à vendre, et j’ai donc pensé que je devais partir ».
Le temps qu’elle atteigne le camp de réfugiés de Kakuma, au nord du Kenya, la santé de Karleta s’était détériorée. Les médecins ont diagnostiqué une malnutrition aigüe sévère, un état touchant 19% de tous les enfants réfugiés soudanais du Sud à leur arrivée à Kakuma en mai, soit six fois plus que les seuils d’urgence établis par l’Organisation mondiale de la Santé. Sur les 543 enfants de moins de cinq ans examinés par le personnel médical ce mois-là, 103 étaient sévèrement malnutris et 126 modérément malnutris, selon les chiffres du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés.
Maintenant que la guerre est terminée, la faim est le principal facteur qui pousse les familles du Soudan du Sud à fuir, certaines vers le Soudan au nord et d’autres vers le Kenya au sud. Plus de 125 000 personnes sont arrivées dans les pays voisins entre janvier et avril 2016, plus des tris quarts du total attendu pour cette année, selon les prévisions.
Le HCR estime aujourd’hui que d’ici fin 2016, plus d’un million de Soudanais du Sud seront réfugiés. Au moins 237 000 d’entre eux auront fui leur pays natal au cours de sa cinquième année, alors que la guerre civile est officiellement terminée.
Mais ce n’est pas un processus à sens unique. A l’intérieur du Soudan du Sud, chaque mois, 2 000 déplacés internes rentrent dans les foyers qu’ils ont quittés quand le conflit a éclaté en décembre 2013, convaincus que la sécurité est suffisante pour commencer à reconstruire leur vie.
« La seule chose qui m’a maintenu en vie, c’était de penser à ma famille ».
Gatluak Ruei Kon, 56 ans, était loin de chez lui, soigné à l’hôpital pour une maladie chronique, quand la guerre a éclaté. Jusqu’à récemment, c’était trop dangereux pour lui d’effectuer le trajet de cinq jours pour rentrer dans son village. Il a été le premier à solliciter l’aide du HCR pour rentrer dans sa famille, près de la ville d’Akobo située à proximité de la frontière entre le Soudan du Sud et l’Ethiopie.
« J’avais l’impression d’être plongé dans un cauchemar », dit Kon, en évoquant la période passée dans un camp dans la ville de Bor où étaient accueillies des personnes devenues sans domicile à cause de la guerre. « Je n’avais pas d’amis avec qui partager mes soucis. La seule chose qui m’a maintenu en vie, c’était de penser à ma famille ».
Retourner chez lui a été « un rêve devenu réalité », dit-il, mais il y a eu beaucoup de changements pendant son absence. « Avant la guerre, j’avais plus de 100 têtes de bétail et une grande ferme », dit-il. « Nous produisions des tonnes de maïs et de sorgho. Cette terre m’est très chère. J’y pensais sans cesse quand j’étais à Bor. C’est tout ce que je possédais pour subvenir aux besoins de ma famille. Mais à cause de la guerre, toutes les vaches sont parties ».
Le gouvernement se débattant toujours pour financer et mettre en œuvre des programmes destinés à encourager ses citoyens à rentrer chez eux, les organisations internationales sont déterminées à aider à combler l’écart. Mais les appels pour obtenir l’argent dont elles ont besoin sont aussi nettement sous-financés.
Ann Encontre, la Coordinatrice régionale pour les réfugiés pour l’urgence au Soudan du Sud au HCR, déclare qu’elle est « extrêmement inquiète que le Soudan du Sud devienne une crise oubliée ».
« Le plan de réponse régionale pour les réfugiés étant financé seulement à hauteur de 15%, il est impossible de mettre en œuvre des programmes essentiels visant à fournir la nourriture, l’eau potable, l’éducation pour les enfants, les soins de santé et les abris pour les réfugiés nouvellement arrivés », explique-t-elle.
« Nous espérons que la communauté internationale ne manquera pas d’agir et de soutenir les citoyens du Soudan du Sud, en particulier ceux qui continuent de fuir leur foyer ».
« Nous espérons que la communauté internationale ne manquera pas d’agir et de soutenir les citoyens du Soudan du Sud »
De retour à Kakuma, Cecilia Obere a bercé Karleta et l’a doucement encouragée à boire la formule spéciale à base de lait prescrite par les médecins du Comité international de secours, qui gère le service de l’hôpital pour enfants sévèrement malnutris dans le camp, au nom du HCR.
« Je suis prête à rentrer chez moi au Soudan du Sud aujourd’hui, mais seulement s’il y a la paix et s’il y a une aide au cas où il n’y ait encore pas de pluie et que nous n’ayons pas de nourriture », dit-elle. « Nous avons besoin d’école là-bas, de cliniques, et de soutien en cas de problèmes ».
« Dès que vous me dîtes que cela existe, je partirai. D’ici là, je dois rester ici. Je ne peux pas retourner à un endroit où les enfants vont encore souffrir ».
Rocco Nuri a contribué à fournir des informations à partir d’Akobo, au Soudan du Sud.