Chavirage en Égypte : Bagarres pour les gilets de sauvetage
Chavirage en Égypte : Bagarres pour les gilets de sauvetage
ALEXANDRIE, Égypte – Embarquée avec des centaines d’autres passagers sur un chalutier ayant chaviré au large des côtes égyptiennes avant de couler, Abshiro*, d’origine somalienne, s’est tout d’un coup retrouvée à l’eau alors que d’autres, en train de se noyer, s’accrochaient à son gilet de sauvetage.
« Dans l’eau, ça a été une lutte pour la vie, non seulement parce que je ne sais pas nager, mais aussi car des gens essayaient de me prendre mon gilet. Quelqu’un m’a mordu la main », a expliqué la Somalienne après la tragédie au cours d’un entretien avec le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés.
Des passeurs sans scrupules avaient entassé jusqu’à 500 personnes sur un chalutier qui devait les transporter depuis l’Égypte vers l’Italie. L’embarcation a chaviré puis coulé le 21 septembre au large de Rashid. La jeune femme de 21 ans fait partie des 164 survivants comprenant des Égyptiens, des Soudanais, des Érythréens, des Éthiopiens et un Syrien.
Jusqu’à présent, les corps sans vie de 202 victimes ont été récupérés en mer. Trente-trois corps ont été retrouvés au fond de l’épave, notamment ceux de deux enfants et d’une femme, tous pris au piège au moment où le bateau s’est rempli d’eau et a coulé.
L’Égypte est depuis longtemps une terre d’asile pour des réfugiés et le pays se trouve également sur l’une des routes traditionnelles de la migration irrégulière vers l’Europe par la mer.
Au cours des entretiens, plusieurs survivants ont expliqué que le bateau surchargé a commencé à tanguer et que les passagers ont commencé à prendre peur. La bagarre qui a éclaté a fait chavirer le bateau, jetant à la mer des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants, nombreux à ne pas porter de gilets de sauvetage et ne sachant pas nager.
« Beaucoup ne portaient pas de gilet de sauvetage. Les naufragés prenaient appui les uns sur les autres pour essayer de rester à la surface. »
« Je ne pourrai jamais oublier les corps sans vie. Je me tenais à l’un d’entre eux pour essayer de rester à la surface », explique Achan*, une avocate de 35 ans originaire du Darfour au Soudan, qui en était à sa quatrième tentative de passage vers l’Europe lorsque le bateau a coulé.
« Beaucoup ne portaient pas de gilets de sauvetage et ils étaient nombreux à se battre dans l’eau. Les naufragés prenaient appui les uns sur les autres pour essayer de rester à la surface. Cela aggravait encore la situation », se souvient-elle.
Les survivants ont expliqué qu’au moment où le bateau a chaviré, l’équipage et les passagers ont commencé à appeler la police et la marine et à lancer des signaux de détresse. Certains sont parvenus à plonger et à s’écarter du bateau alors que d’autres y étaient pris au piège.
« Malgré mon gilet de sauvetage, je ne parvenais pas à nager », se souvient Abrihet*, une Érythréenne de 33 ans. D’autres nageurs ont réussi à la garder hors de l’eau.
Selon le HCR, le nombre d’interceptions de réfugiés et de migrants quittant l’Égypte de manière irrégulière est en constante augmentation depuis 2014. Certains survivants ont expliqué qu’au moment de cette tragédie, ils n’en étaient pas à leur première tentative de rallier l’Europe
Alors que le nombre total de traversées de la Méditerranée a déjà baissé de 42 pour cent par rapport à la même période l’année dernière, le nombre de morts ou de personnes disparues demeure très élevé (3 498 personnes).
Suite à ce naufrage mortel, le gouvernement égyptien a arrêté au moins quatre membres de l’équipage. Ils sont en état d’arrestation et susceptibles de poursuites pour traite d’êtres humains et morts injustifiées.
« Un Égyptien… a retrouvé son fils cadet, qui était mort. Il l’a embrassé et l’a remis à l’eau. »
Apportant un éclairage nouveau sur ce trafic meurtrier, les survivants ont expliqué avoir payé entre 1000 et 1700 dollars aux passeurs pour faire la traversée. Un point de rendez-vous leur avait été attribué. Ils y ont été ramassés par des minibus et conduits jusqu’à un entrepôt à partir duquel ils ont été transportés de nuit dans des petits bateaux de pêche jusqu’au chalutier.
La majorité des passagers à bord étaient égyptiens. Selon les survivants, il y avait une centaine d’Africains dans deux cabines dans la cale, des femmes et des enfants dans trois autres cabines des ponts inférieur et supérieur.
Au lendemain de cette tragédie, le HCR et ses partenaires sont intervenus pour évaluer la situation et les besoins en matière de protection pour les 43 survivants étrangers et pour leur apporter une aide humanitaire. Le HCR a également prodigué des soins médicaux et le soutien psychologique indispensable aux survivants qui essayent de se remettre de l’horreur qu’ils ont vécue.
« Un Égyptien cherchait ses enfants dans le noir et criait leurs prénoms. Quand il a retrouvé son cadet, celui-ci était mort. Il l’a embrassé et l’a remis à l’eau », raconte Amir*, un survivant somalien, les larmes aux yeux, visiblement traumatisé et en colère contre tout ce qu’il a vécu.
Depuis le début de l’année, le gouvernement égyptien a arrêté près de 5000 ressortissants étrangers pour avoir tenté de quitter son territoire de manière irrégulière à partir de la côte septentrionale. Il a également appliqué la politique de remise en liberté de tous ceux qui étaient inscrits en tant que demandeurs d’asile ou réfugiés auprès du HCR en Égypte.
Le HCR a confirmé le statut d’enregistrement des détenus aux autorités et plaide pour leur rapide remise en liberté, tout en continuant de leur apporter soutien et assistance pendant leur détention.
Le HCR suivra de près la situation des détenus, notamment à cause de l’attention particulière que le gouvernement porte à cette tragédie, et également pour plaider en faveur de la protection de toutes les personnes qui relèvent de la compétence du HCR.
* Noms fictifs pour des raisons de protection.