Après avoir fui les gangs de rue, des tailleurs salvadoriens démarrent une nouvelle vie au Mexique
Après avoir fui les gangs de rue, des tailleurs salvadoriens démarrent une nouvelle vie au Mexique
Tapachula, Mexique, 23 octobre (HCR) - Alfonso*, son épouse et leurs trois enfants vivent dans une pièce unique dans une chaleur étouffante au sud du Mexique. La grande machine à coudre posée à même le sol au milieu de la pièce est un rappel de leur vie d'avant. Ils ont fui la violence des gangs au Salvador.
Soumis au racket, aux menaces et à des tentatives d'enlèvement par un gang de rue meurtrier ou « mara », cette famille de tailleurs, originaire de la banlieue tentaculaire de la capitale San Salvador, a rejoint près de 30 000 Salvadoriens ayant fui l'an dernier pour sauver leur vie, selon les statistiques du HCR.
Alfonso explique comment ses fils Luis*, 20 ans, et Juan*, 19 ans, sont venus les premiers au Mexique en quête de sécurité après que le gang ait exigé qu'ils prennent part à des activités criminelles, allant de l'extorsion de fonds au viol et aux assassinats. Ils ont quitté leur emploi et sont partis après Noël il y a deux ans. Le reste de la famille les a rejoints un an plus tard.
« Chaque famille avec des adolescents est un objectif au Salvador », explique Alfonso. « Les gangs veulent les recruter par la force, et si vous refusez de rejoindre leurs rangs, ils vous éliminent. Si les parents s'y opposent, ça ira mal pour eux aussi. Voilà pourquoi nous avons dû leur faire quitter le Salvador ».
Leur patrie d'Amérique centrale est parmi les plus violents pays au monde, selon les statistiques du Bureau des Nations Unies contre la drogue et le crime. Durant le seul mois d'août, quelque 911 Salvadoriens ont été assassinés - soit une moyenne de 30 par jour. C'est le chiffre le plus élevé jamais enregistré.
Après un voyage en bus de huit heures vers Tecun Uman au nord-ouest du Guatemala, Luis et Juan ont rejoint le Mexique via la rivière Suchiate, un point de passage clandestin pour les migrants sans papiers et les marchandises de contrebande pris en charge par des passeurs à bord de leurs radeaux de fortune. Une fois au Mexique, ils ont pris un taxi qui les a laissés dans le centre-ville de Tapachula, l'une des principales villes du sud du Mexique.
Ils ont rencontré d'autres ressortissants de pays de l'Amérique centrale devant une église qui les ont aidés à trouver un lieu d'hébergement ainsi qu'un emploi. En raison de leur situation irrégulière, comme les autres migrants d'Amérique centrale, ils ont été embauchés pour des emplois temporaires - déchargement de colis la nuit, ouvrir des noix de coco sous le soleil. La rétribution est en général que quelques pesos, mais parfois ils ne sont même pas payés du tout.
Alfonso leur a envoyé de l'argent pour payer le loyer d'environ 90 dollars par mois. Après quelques semaines à Tapachula, quelqu'un à l'église leur a parlé de la Commission mexicaine d'aide aux réfugiés (COMAR), un service gouvernemental qui pourrait les aider.
« Nous étions très inquiets quand nous sommes allés à la COMAR », se souvient Luis. « Nous avons pensé, 's'ils nous arrêtent et nous expulsent, après toutes les difficultés que nous avons surmontées pour arriver ici?' » Ils ont surmonté leurs craintes et enfin déposé une demande de statut de réfugié. Trois mois après, ils ont été officiellement reconnus en tant que réfugiés.
Pendant ce temps, dans la maison familiale près de San Salvador, les gangs ont continué leurs menaces contre eux et leurs proches. Ils disaient : « Nous savons qu'ils seront expulsés vers le Salvador d'ici six mois. Une fois qu'ils seront de retour, nous les retrouverons. » Les mois ont passé et il n'y avait aucun signe de leur retour au Salvador. Les gangs ont alors changé leur cible : ils se sont vengés sur leur soeur Andrea*, 15 ans. La violence sexuelle et sexiste est fréquente chez les gangs ou « maras ».
Comme sa mère, son père et ses frères, Andrea voulait devenir tailleur. Elle s'est inscrite dans une école d'enseignement technique de l'État pour filles afin d'apprendre à coudre. Mais elle n'a pu assister qu'à deux mois de la formation qui dure un an. En effet, des membres des gangs sont venus à l'école et ont tenté de la kidnapper ainsi qu'une autre élève. Les administrateurs de l'école qui, eux aussi, ont été victimes de la violence de ce gang, les ont cachées dans les toilettes. Lorsque la bande a quitté les lieux, ils ont renvoyé les filles chez elles.
« Je ne voulais plus la laisser retourner à l'école. Alors je l'ai prise avec moi pour travailler », a déclaré Claudia*, sa mère. Mais même là, elle n'était pas en sécurité. « Ils ont dit à un neveu qu'ils allaient emmener ma fille... quand je m'y attendrais le moins. Puis, quand ils ont tué l'un de ses amis, j'ai encore eu beaucoup plus peur, et j'ai quitté mon emploi pour rester à la maison avec elle. »
Lorsque les membres de gangs ont commencé à les harceler dans la rue, c'est la goutte qui a fait déborder le vase. « Nous ne pouvions pas aller à l'épicerie du coin, après 16 heures, c'était trop dangereux. Nous ne pouvions plus supporter cette situation. Donc, nous avons décidé de rejoindre nos fils au Mexique. » Les parents et leur fille ont quitté le Salvador sans qu'aucun de leurs proches n'aient connaissance de leurs plans.
Une fois au Mexique, Ils ont demandé le statut de réfugié, mais leur demande d'asile a été rejetée. Néanmoins, ils ont reçu l'autorisation de vivre et de travailler au Mexique et Ils prévoient de recommencer leur vie en famille maintenant qu'elle est réunie dans le pays d'accueil.
Un drapeau salvadorien est épinglé sur le mur de leur maison dans une ville du sud du Mexique** où ils vivent maintenant. Ils viennent d'acheter une machine à coudre d'occasion - l'emblême de leur vie de famille - qui se dresse au milieu de la pièce. Bien qu'ils travaillaient en tant que tailleurs au Salvador, et qu'ils espèrent poursuivre ce travail dans leur nouvelle vie au Mexique, Luis et Juan envisagent également la menuiserie.
Avec le soutien du HCR, les deux fils se recyclent dans un centre d'emploi qui fournit une formation technique aux demandeurs d'asile et aux réfugiés. « Nous sommes jeunes, et nous pouvons recommencer. Nous travaillons dur et nous allons passer à autre chose. Vous verrez », explique Luis avec un sourire plein d'espoir.
* Les noms ont été modifiés pour protéger leur identité. ** La localité n'est pas citée pour des raisons de protection
Par Mariana Echandi à Tapachula, Mexique