Questions/Réponses : Une voix de soprano pour les réfugiés et les déplacés dans le monde
Questions/Réponses : Une voix de soprano pour les réfugiés et les déplacés dans le monde
GENEVE, 13 avril (UNHCR) - Barbara Hendricks, une soprano acclamée dans le monde entier, est l'Ambassadrice de bonne volonté la plus ancienne de l'UNHCR : elle défend la cause des réfugiés et des déplacés depuis plus de 20 ans. Passionnée par le sujet, elle parle de son travail et de ses idéaux avec Leo Dobbs, Rédacteur du site Internet de l'UNHCR, qui l'a interviewée au téléphone alors qu'elle se trouvait à son domicile, en Suède. Voici quelques extraits de l'interview :
Comment êtes-vous devenue Ambassadrice de bonne volonté de l'UNHCR ?
En 1985, j'ai été contactée par l'UNHCR. J'avoue que je ne savais pas grand-chose de cette organisation et je crois que ce manque de reconnaissance de la part du grand public a été l'une des raisons pour lesquelles l'agence a lancé un programme avec les ambassadeurs de bonne volonté. Depuis sa création, l'UNHCR avait été financé uniquement par les gouvernements. Nombre de pays avaient commencé à retirer leur participation financière et je pense que quelqu'un avait décidé que l'UNHCR devait tenter de sensibiliser le public pour obtenir davantage de soutien. Au début, une des choses dont je me sentais responsable était de faire comprendre aux gens ce qu'était l'agence des Nations Unies pour les réfugiés et ce qu'elle faisait.
J'ai appris davantage sur le Haut Commissariat pour les réfugiés grâce aux missions sur le terrain, aux contacts avec les réfugiés et le personnel ; j'ai compris que le travail de l'agence correspondait tout à fait à mes propres convictions sur l'importance de la défense et de la promotion des droit humains, et que travailler avec les réfugiés me permettrait de les mettre concrètement en pratique. Durant toutes ces années, je me suis attachée à la défense des réfugiés à cause des implications dans la défense des droits de l'homme.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre engagement au fil des ans en faveur de l'UNHCR ?
C'est un engagement sur le long terme ... qui dure depuis plus de vingt ans. Cela n'a pas toujours été facile, à cause de la nature de l'organisation - c'est une organisation qui travaille dans l'urgence, ce qui rend les projets de campagnes de collecte de fonds et de sensibilisation à long terme bien plus difficiles à réaliser. Malheureusement, beaucoup d'opérations d'urgence dramatiques ont été lancées, retardant ou même annulant des projets sur le long terme. Très souvent, lorsque les choses s'étaient calmées, les employés sur le terrain avaient été nommés ailleurs. J'ai travaillé durant les mandats de cinq Hauts Commissaires ; ils ne ressentaient pas le même enthousiasme pour le programme, mais ils ont tous insisté pour que je reste, et je suis restée car je m'étais attachée à défendre la cause des réfugiés.
Ce n'était pas simple de continuer le programme des ambassadeurs de bonne volonté, il y a eu des moments où je me sentais seule. Je sillonnais le monde entier tâchant de collecter les informations qui me permettraient d'exprimer le message approprié. Transmettre ce message aux autres est extrêmement compliqué, parce que chaque situation de réfugiés est différente.
La complication majeure réside dans le fait que les problèmes sont politiques, donc les solutions doivent être politiques. Pour trouver des solutions de nature politique, il faut une volonté politique : voilà le message que nous devons transmettre clairement, car il peut influencer l'opinion publique qui, à son tour, influencera la volonté politique des gouvernements et des personnes au pouvoir.
Après quinze ans, j'ai décidé de voyager moins et de passer le flambeau à la jeune génération, j'ai tenté de me retirer, mais l'UNHCR m'a demandé de rester en qualité d'Ambassadrice honoraire de bonne volonté, nommée à vie. De toute façon j'aurais continué à défendre la cause des réfugiés, mais je reste disponible si besoin est pour l'UNHCR.
Vous avez effectué de nombreuses missions pour l'UNHCR, laquelle a été la plus émouvante ?
Toutes le sont, pour une raison ou pour une autre. Ce sont les réfugiés eux-mêmes qui m'ont émue et insufflé l'inspiration pour continuer, particulièrement les femmes avec leur force, leur dignité et leur courage. Je n'oublierai jamais les réfugiés que j'ai rencontrés au Rwanda, peu après le génocide. Auparavant, je m'étais rendue dans des pays où le conflit et l'exode étaient plus distants.
Au moment où j'ai rencontré les réfugiés rwandais, le conflit était une blessure encore ouverte. Ce qui était arrivé était si proche, et la souffrance si insupportable. Je dirais que l'une des expériences inoubliables s'est passée dans un centre de ravitaillement pour enfants souffrant de malnutrition. J'étais avec une mère qui donnait le sein à son enfant, et qui avait à côté d'elle un autre enfant en train de mourir de malnutrition, et il était clair qu'elle ne pouvait plus rien faire pour le sauver. Mais elle devait rassembler ses forces pour continuer à allaiter son bébé, qui pourrait survivre si elle restait en bonne santé. Pour la mère que je suis, c'était simplement déchirant.
Lors de vos missions, vous avez rencontré nombre de chefs de gouvernement et de personnalités au pouvoir. Que leur avez-vous dit ?
Exactement ce que je pense.... Je leur dis ce que j'ai appris, ce que je pense de la situation et ce dont l'UNHCR a besoin qu'ils fassent. Un des avantages - et une des conditions que j'avais posée lorsque j'ai accepté de devenir ambassadrice de bonne volonté - est de rester indépendante. Il ne s'agit pas bien sûr de travailler contre l'organisation, mais de garder son indépendance ... et de pouvoir dire exactement ce que je pense sur ce que j'ai vu et vécu. Cela m'a permis de dire des choses que les autorités ou les délégués ne diraient pas pour des raisons diplomatiques. J'ai insisté sur l'indépendance et la liberté, on me les a accordées et je pense les avoir utilisées judicieusement.
Avez-vous utilisé la musique pour aider les réfugiés ?
Pas nécessairement dans le cas d'un concert organisé dans un camp de réfugiés. Parfois j'ai chanté, plutôt devant des enfants, car ils avaient préparé des chansons ou des danses en classe pour mon arrivée. Alors je les remerciais en chantant une chanson. Mais je pense qu'ils ne se doutaient même pas que c'était mon métier. Dans ces circonstances, je trouvais que leurs besoins étaient bien plus importants et qu'un concert n'aurait pas été approprié. L'idée n'était pas d'aller en mission et chanter, mais plutôt d'en savoir plus sur leurs problèmes et d'essayer de trouver des solutions pour eux.
Bien évidemment la musique peut être utile à rassembler des fonds, en organisant des concerts. Mais je me suis plutôt occupée des problèmes politiques. Certains artistes célèbres organisent des grands concerts et peuvent collecter beaucoup d'argent, parfois j'ai fait aussi des concerts de bienfaisance. Toutefois, j'ai été plus performante comme porte-parole de la cause des réfugiés ; mes plus grands atouts sont ma capacité de parler à la presse et d'influencer l'opinion publique.
Les conflits dans la région du Darfour, au Soudan, et en Iraq ont déraciné des centaines de milliers de personnes. Que pensez-vous du Darfour et de l'Iraq ?
Je pense que ces tragédies, ces souffrances continuent, et nous sommes incapables de les arrêter, surtout au Darfour - cela se déroule sous nos yeux. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous avons dit « plus jamais », pourtant nous avons permis si souvent que ce qui arrive au Darfour se passe encore. L'absence de volonté politique et le manque de sérieux de la part du Conseil de sécurité [des Nations Unies] sont simplement ahurissants.
La situation en Iraq - voilà un désastre qui n'était vraiment pas nécessaire. Comment s'en sortir, sincèrement je ne sais pas. Je pense que l'ONU a fait de son mieux, des vies ont été perdues, inutilement. Personnellement, j'ai perdu un de mes meilleurs amis, Sergio [Vieira de Mello, qui a consacré à l'UNHCR la plupart de sa longue carrière et a perdu la vie lors d'une attaque à la bombe au siège des Nations Unies en Iraq, en août 2003]. Quel gâchis, ces gens étaient les meilleurs. Ceux qui sont d'accord pour participer à de telles opérations sont les meilleurs que l'ONU puisse donner. Nous avons perdu les meilleurs, les plus courageux. D'autres viendront sûrement après eux, mais cela a été un énorme gâchis, l'ONU et le monde ont payé un lourd tribut ; cette guerre inutile et illégale en Iraq continue de prendre tant de vies innocentes et de provoquer la destruction.
Qu'a signifié pour vous de travailler avec l'UNHCR ?
Cela a incroyablement enrichi ma vie. Je ne crois pas que je courais le danger de perdre le contact avec ce qui est réellement essentiel dans la vie, mais ce travail m'a certainement évité de glisser vers l'oubli de vraies valeurs. Mes rencontres avec des réfugiés, des employés de l'UNHCR travaillant sur le terrain, ainsi que certains des partenaires m'ont énormément apporté.
Ce travail m'a ouvert les portes d'un monde plus vaste et a certainement nourri mon métier d'artiste, car il m'a aidé à me faire sentir à l'unisson avec le monde. Le gaspillage de nos sociétés riches me met en colère, je suis frustrée de voir combien de gens pensent que l'objectif majeur de leur vie est de pouvoir consommer des choses dont on n'a pas besoin, qui ne nous satisfont pas, qui seront des déchets et de toute manière vont polluer la planète. Ce travail m'a rendue moins patiente par rapport au gaspillage de temps, d'énergie et de talent pour des choses inutiles, qui n'en valent pas la peine. Il m'a aussi permis de garder ma foi en l'humanité.
Avez-vous un message pour les personnes déracinées dans le monde ?
En dépit de ce que vous pouvez croire, on ne vous oublie pas. II y a toujours des personnes courageuses et motivées qui travaillent pour vous et qui essaient d'améliorer les choses. J'aimerais que ça soit plus rapide et plus efficace, mais nous sommes encore là et vous n'êtes pas seuls. Je vous remercie de ce que vous nous donnez, je vous remercie d'avoir enrichi ma vie d'une manière que je n'oublierai jamais.