Questions/Réponses : Trouver un nouveau foyer pour les réfugiés à travers le monde
Questions/Réponses : Trouver un nouveau foyer pour les réfugiés à travers le monde
GENEVE, 20 juillet (UNHCR) - Vincent Cochetel a vécu les pires souffrances humaines dans des conditions les plus extrêmes. Il y neuf ans, ce modeste Français a été enlevé en Ossétie du Nord par des gangsters tchétchènes et a été retenu otage pendant 317 jours avant que les troupes russes ne le récupèrent lors d'un assaut sanglant. Cette expérience a profondément affecté son approche de la vie et de son travail. Il a fait preuve d'une forte détermination pour revenir travailler aussi vite que possible après cette épreuve et aujourd'hui il est Directeur adjoint du département de la protection internationale à l'UNHCR. Il est spécialisé dans les domaines de la réinstallation et de la détermination du statut de réfugié. Vincent Cochetel a rencontré cette semaine les rédacteurs du site Internet Leo Dobbs et Haude Morel. Extraits de cette interview :
Qu'est-ce que la réinstallation et qui peut y prétendre ?
La réinstallation est l'une des solutions durables mises en oeuvre par l'UNHCR. [Les autres sont le rapatriement volontaire et l'intégration locale]. Cette solution est souvent considérée comme la dernière des solutions ce qui, je pense, est erroné car, dans certains cas, il s'agit de la seule solution. Quand utilise-t-on la réinstallation ? Quelquefois, il s'agit tout simplement de sauver la vie de certains réfugiés - nous avons 24 heures, 48 heures pour transférer quelqu'un d'un pays d'asile vers un autre.
Quelquefois aussi, nous l'utilisons en tant que solution durable parce qu'il n'y a pas d'autre possibilité, ni une intégration locale ni un rapatriement volontaire. C'est souvent le cas dans les situations de réfugiés prolongées. Parfois elle est utilisée en parallèle avec d'autres solutions durables ou/et dans le cadre d'une négociation plus globale. Nous essayons de viser les personnes les plus vulnérables ou celles qui ont les problèmes de protection les plus aigus et nous essayons d'utiliser cette solution stratégiquement. Cela signifie que l'utilisation de la réinstallation doit se faire de façon à améliorer la protection pour les autres réfugiés qui ne vont pas être réinstallés. Donc, à la base, nous essayons d'étendre « l'espace d'asile » en utilisant une stratégie de réinstallation.
Ceux qui peuvent y prétendre sont les réfugiés qui ne sont pas des demandeurs d'asile, et dans certains cas, des personnes apatrides. Nous avons des critères en termes de vulnérabilité de protection pour établir des priorités parmi les candidatures à la réinstallation.
Les pays proposant la réinstallation sont-ils nombreux ? Combien de personnes sont réinstallées chaque année ; quelles sont les destinations les plus demandées ?
Si nous comptons les programmes gouvernementaux de réinstallation dans le cadre de l'aide aux réfugiés, nous avons environ 70 000 places de réinstallation par an, auxquelles vous pouvez rajouter près de 15 000 programmes de partenaires privés. Donc au total, on peut parler d'environ 85 000 possibilités de réinstallation dans le monde avec trois pays qui dominent particulièrement - les Etats-Unis, l'Australie et le Canada.
La réinstallation n'est pas une loterie ; l'UNHCR n'est pas une agence de voyage - de temps en temps cela peut être perçu ainsi. Des personnes viennent nous voir et nous disent, « je veux être réinstallé aux Etats-Unis. » Mais nous regardons d'abord si vous pouvez prétendre à une réinstallation et si vous le pouvez - nous décidons où vous allez. Cela pourrait être le Chili, cela pourrait être le Danemark, cela pourrait être l'Islande, mais ce n'est en aucun cas le réfugié qui va décider.
Pour l'année prochaine, nous estimons que le nombre de réfugiés ayant besoin d'une réinstallation sera de 154 000. Nous avons un maximum, pour ce qui concerne les Etats, de 65 000 places. Le choix est difficile, aussi nous devons étudier chaque cas pour déterminer ceux qui ont le plus besoin de protection. Des cas vulnérables - tels que les femmes en danger, les personnes ayant des problèmes médicaux.
Il y a environ 17 pays qui ont des programmes de réinstallation, mais certains pays acceptent un petit nombre de personnes chaque année. Le Portugal a annoncé il y a trois semaines qu'il deviendrait pays de réinstallation. Ce pays a donné son accord pour accepter 30 personnes par an. Ce n'est pas beaucoup, mais c'est un signe positif de solidarité internationale. Nous avons d'autres grands pays européens qui n'ont aucun quota de réinstallation. Nous essayons de pousser un plus grand nombre de pays à s'engager et nous avons eu de premières discussions positives avec la Suisse, la Slovénie, la Hongrie, la République Tchèque, l'Italie, le Mexique et d'autres pays.
Quelle est la durée du processus de réinstallation ?
Dans une situation d'urgence, cela peut se faire en un ou deux jours ... dans d'autres cas, malheureusement, cela est plus long. Dans certains cas, cela peut prendre trois ans pour ceux dont le cas de réinstallation est complexe. Certains pays peuvent avoir des doutes concernant la composition de la famille et peuvent imposer des tests ADN pour s'assurer que les enfants sont réellement les enfants du candidat.
Certaines fois, nous avons des contraintes de sécurité. Depuis le 11 septembre, les ministères chargés de la sécurité intérieure dans les pays de réinstallation, tendent à être plus attentifs lors de l'entrée de toutes les catégories d'étrangers sur leur territoire, cela affecte également les réfugiés. Par ailleurs, les départements de sécurité intérieure prennent beaucoup de temps pour donner les autorisations de sécurité et les certificats médicaux. Mais, en moyenne, je dirais que cela prend entre cinq et huit mois.
Pourquoi les Etats-Unis mettent-ils autant de temps à accepter les candidats iraquiens à la réinstallation ?
Les Américains n'ont pas de quota par nationalité. Nous avions un objectif informel pour cette année qui était de soumettre 7 000 dossiers iraquiens avant début juin. Nous avons dépassé cet objectif, avec 8 000 cas soumis aux Etats-Unis. Très peu d'entre eux ont pu effectivement partir car les demandes ont été faites après le printemps et les autorisations de sécurité américaines prennent souvent du temps, nous espérons encore qu'au moins 4 à 5 000 parmi ces réfugiés pourront partir d'ici la fin de l'année ou au plus l'année prochaine.
Le processus de réinstallation peut être détourné. Comment luttez-vous contre la corruption ?
Tout d'abord, nous avons besoin d'un usage plus efficace de nos outils d'enregistrement ... partout où cela est nécessaire, nous devons pouvoir ajouter une composante biométrique lors de l'exercice d'enregistrement. Cela se fait en fait dans très peu de pays ... mais ailleurs nous ne sommes pas équipés avec cet outil biométrique. Nous devons examiner cette possibilité. Cela implique des coûts importants mais certainement, en terme de système, nous devrions essayer de nous améliorer.
Puis nous essayons de répartir la prise de décision - les personnes en charge de l'enregistrement ne seront pas celles en charge de la détermination du statut et ne seront pas non plus impliquées dans la décision de réinstallation. Et pour ceux qui travaillent dans le domaine de la réinstallation, la décision n'est pas le fait d'une seule personne - le dossier passe par plusieurs contrôles avant qu'il ne soit envoyé dans le pays de réinstallation. Vous n'avez évidemment aucun système totalement sûr, mais nous essayons de minimiser autant que possible la corruption et la fraude. Nous avons également un expert de haut niveau dans la lutte anti-fraude à Genève qui apporte son soutien lors d'opérations majeures.
Nous ne pouvons pas avoir un système fiable à 100 pour cent - cela n'existe pas. Mais nous avons formé des gestionnaires et notre personnel de protection à la prévention des fraudes et je suis heureux de vous dire qu'en général les cas de fraude que nous voyons sont davantage des fraudes externes. Les cas de fraude ne sont ni de la faute ni provoqués par les employés de l'UNHCR mais davantage le fait d'agents, d'intermédiaires qui prétendent qu'ils ont une sorte d'influence sur le processus de prise de décision au sein même de l'UNHCR.
Ils sont plus difficiles à identifier car, pour mettre fin à ce phénomène, vous avez besoin de l'entier soutien des pays d'asile. Certains fonctionnaires dans les pays d'asile sont eux-mêmes, parfois, impliqués dans des pratiques frauduleuses.
Parlez-nous de votre expérience d'otage
J'étais chef de la sous-délégation de Vladikavkaz [la capitale de l'Ossétie du Nord en Fédération de Russie], où je dirigeais les opérations de l'UNHCR dans le Nord-Caucase. Une nuit, j'ai été enlevé chez moi. J'avais un garde du corps avec moi, mais c'était une opération bien préparée. C'était loin de la Tchétchénie, mais lorsqu'ils veulent vous prendre, ils viennent vous prendre ... ils sont très bien organisés, un groupe lié à la mafia qui a des pratiques criminelles pour financer des groupes politiques.
Ils m'ont emmené en Tchétchénie dans le coffre d'une voiture, cela a duré trois jours et en Tchétchénie j'ai été détenu en différents endroits dans des caves, il est difficile de décrire cet isolement. Dix minutes de lumière par jour. Vous devez en permanence imaginer des choses dans votre tête. C'est ce que j'ai trouvé de plus difficile. Pas la violence physique - au moins la violence physique est une forme de dialogue. L'isolement, l'obscurité absolue, menotté à un lit. Vous pouvez seulement bouger un peu autour du lit, mais vous devez passer seul 23 heures et 50 minutes dans l'obscurité.
J'ai été retenu en otage durant 11 mois. J'ai été relativement chanceux parce que j'ai été libéré après que quatre autres otages aient été décapités ... j'ai été libéré par une opération d'un commando spécial, montée par les autorités russes à la frontière en l'Ingouchie et la Tchétchénie. Ce fut une action très violente.
Quel a été l'impact de cette épreuve sur votre façon de voir la vie et votre travail ?
J'ai appris beaucoup. J'ai appris que les choses qui posent problème dans la vie ne représentent finalement pas grand-chose. J'ai appris à apprécier chaque minute de la vie et qu'il n'est pas nécessaire de faire des prévisions pour le lendemain, car il peut ne pas y avoir de lendemain.... Je pense qu'il est important d'essayer de donner ce que vous pouvez chaque jour, sans compter, parce que le jour où vous êtes dans une situation où vous n'êtes pas sûr de pouvoir encore le faire, vous regrettez tant de choses.
Je pense qu'il a été important pour moi de reprendre le travail. J'ai passé un certain temps à l'hôpital ... je devais reconstruire mon corps et mon esprit mais, après trois mois, je suis revenu travailler. C'était important de revenir travailler, d'abord comme une forme de thérapie occupationnelle et ensuite pour me prouver à moi-même que je pouvais encore le faire, qu'ils ne m'avaient pas tout pris.
Je pense que j'ai développé une meilleure capacité d'appréhension vis-à-vis des situations de réfugiés. J'ai été réaffecté en Egypte et lorsque j'interviewais des victimes d'esclavage au Soudan - des personnes qui avaient un comportement physique très particulier, ils sont soumis et ils ne vous regardent pas - je pouvais m'identifier, dans une certaine mesure, à ces personnes. Je pouvais mieux apprécier certaines choses que j'entendais des réfugiés et je pense que cela aide également à être en phase avec leur histoire, avec leurs besoins de protection et leur besoin d'aide pour reconstruire l'avenir.