Questions/Réponses : La sécurité plutôt que les regrets
Questions/Réponses : La sécurité plutôt que les regrets
GENEVE, 11 janvier (UNHCR) - Liz Ahua s'apprête à prendre ses nouvelles fonctions en tant que déléguée de l'UNHCR au Kenya, où son expérience de près de deux ans et demi en tant que responsable de la Section de la sûreté sur le terrain sera très utile. La sécurité est une préoccupation majeure pour l'UNHCR, qui a perdu quatre de ses employés en Algérie et au Tchad à la fin 2007. Liz Ahua a rejoint l'UNHCR au Kenya en 1995, après avoir travaillé pour le gouvernement de son pays d'origine, le Nigéria, dans plusieurs départements. Mariée et mère de quatre enfants, elle a travaillé depuis au Zimbabwe, en République démocratique du Congo, au Burundi, en Ethiopie et à Genève. Liz Ahua s'est entretenue dernièrement avec Astrid van Genderen Stort, chargée principale de l'information. Voici quelques extraits de cet entretien :
Que fait l'UNHCR concernant la question de la sécurité ?
Il y a de plus en plus de danger pratiquement partout dans le monde. L'UNHCR se penche sérieusement sur la question [de la sécurité] depuis au moins 10 ans. Nous avons commencé à envoyer du personnel de sécurité dans les zones où nous opérons, en particulier dans les zones à hauts risques. Ces professionnels doivent aider leurs collègues sur le terrain à appréhender leur environnement sécuritaire et à prendre des précautions pour leur permettre de mener à bien leur travail.
Cela a débuté dans les années 90 en RDC [République démocratique du Congo], où les réfugiés venant du Rwanda étaient accompagnés par des hommes armés. Des chargés de liaison ont été désignés et déployés par l'UNHCR pour s'occuper de la sécurité. Il s'agissait de membres des forces de police et militaires envoyés par le Gouvernement néerlandais pour aider l'UNHCR à établir des relations avec les hommes armés qui se trouvaient dans nos camps, et avec les militaires congolais.
De plus, le gouvernement a envoyé des troupes de l'armée pour protéger les camps pour nous.... Ils restaient dans les camps pendant la nuit pour contrôler ce qui s'y passait et pour empêcher les occupants, dont certains étaient armés, d'entrer et sortir [des camps].... Ils ont aussi facilité le travail du personnel de l'UNHCR et de ses partenaires d'exécution pendant la journée et maintenu la loi et l'ordre dans les camps.
C'est à ce moment-là que nous avons commencé à envisager les différentes options existantes pour protéger les réfugiés dans les camps. Au fil des années, nous avons développé une politique de sécurité unique pour l'UNHCR et nous avons travaillé plus étroitement avec l'organe chargé de coordonner la sécurité pour les agences onusiennes, le Département de sûreté et de sécurité (DSS).
L'autre chose que nous avons faite, c'est de tenter de sensibiliser le personnel. Dans le passé, notre mandat et le drapeau des Nations Unies suffisaient à nous protéger, mais tant de choses ont changé.... De nos jours, nous devons entrer en relation avec une telle variété de groupes qu'il nous faut vraiment trouver d'autres moyens de fournir une protection et/ou une assistance aux réfugiés et aux autres personnes relevant de notre mandat.
Il existait donc un besoin de formation des employés afin qu'ils comprennent l'environnement dans lequel ils interviennent et qu'ils réalisent que le fait que vous ayez de bonnes intentions et un mandat de protection ne signifie pas que vous allez pouvoir faire votre travail sans être attaqué.
Comment cela fonctionne-t-il ? Notre personnel a-t-il conscience des problèmes de sécurité et des risques ?
De manière générale, le personnel a pris conscience [de la question]. J'ai l'impression que le personnel international est beaucoup plus conscient que le personnel national. Cela vient du fait que nous n'avons pas porté autant d'attention sur le personnel national. Bien entendu les menaces et les risques sont, dans une large mesure, différents. Mais, en 2007, dans les pays où nous avons des FSA (Field Security Advisers, c'est-à-dire des conseillers de sécurité sur le terrain), nous avons commencé à établir une liste des employés nationaux à former et des zones concernées. Nous encourageons également le DSS à fournir une formation qui réponde aux besoins du personnel national en termes de sécurité.
Nous avons demandé aux FSA de prêter particulièrement attention à la formation des chauffeurs [trois des personnes tuées en décembre étaient des chauffeurs] - nous comptons 870 chauffeurs au sein de l'organisation. Nous avons demandé à ce que les gardes soient formés, car ils sont le premier contact pour nos employés, pour les réfugiés et pour nos partenaires externes qui viennent dans nos bureaux. Nous espérons que le personnel national prendra davantage conscience des mesures de sécurité à prendre.
Existe-t-il des cours spécifiques sur la sécurité pour le personnel ?
La Section de la sûreté sur le terrain est responsable du SMLP [Programme d'apprentissage en matière de sécurité]. Depuis 2005, nous avons formé 139 responsables qui supervisent plus de 2 000 employés, ce qui représente un tiers du personnel de l'organisation.
La Section de la préparation et de la réponse aux situations d'urgence organise régulièrement un Atelier pour la gestion des situations d'urgence, appelé WEM. La sécurité est un élément du WEM et nos collègues sont confrontés à des notions comme la gestion de la sécurité et la survie, en termes pratiques, quand surgissent des situations telles que prises d'otages, pirateries sur la route, foules de réfugiés en train de manifester, gestion de convois, et ainsi de suite.
Combien d'employés compte la Section de la sûreté sur le terrain ?
Trente-quatre sur le terrain. Ils se trouvent tous dans des zones à fort risque sécuritaire. Nous avons aussi sept d'entre nous ici au siège et nous avons des conseillers principaux de sécurité sur le terrain localisés dans les centres régionaux. En Afrique, nous avons quelqu'un à Accra qui couvre l'Afrique de l'Ouest jusqu'à l'Afrique centrale. Nous avons quelqu'un à Nairobi qui couvre l'est et la Corne [de l'Afrique] et aide aussi aux pays de l'Afrique australe. Nous avons une personne à Tokyo, qui s'occupe des pays de l'Asie et du Pacifique. Nous avons une capacité additionnelle de cinq postes et ce sont vraiment eux qui nous dépannent en cas d'urgence.
Nous travaillons aussi très, très étroitement avec le DSS et les personnes chargées de la sécurité au sein des autres agences, comme le PAM [Programme alimentaire mondial]. Si nous n'avons personne dans un pays spécifique, l'employé du PAM peut aider de temps à autre. Si nous n'avons pas de FSA et que nous avons besoin de quelqu'un, nous joignons le DSS. Le fait que le DSS ait pris tant d'ampleur fait que nous n'avons pas à recruter beaucoup d'employés supplémentaires.... Nous devons plus utiliser le DSS : nous apportons une contribution importante au personnel du DSS - 5 millions de dollars tous les ans.
Quelles sont les opérations les plus difficiles auxquelles nous prenons part ?
L'Afghanistan en premier lieu. Dans certaines régions, les employés internationaux ne peuvent se déplacer qu'entre leurs bureaux et leurs maisons. Des mesures de protection massives ont été prises, notamment avec la construction de barrières pour protéger le personnel d'attaques, même opportunistes.
La deuxième serait le Soudan. Nous avons beaucoup de personnel dans ces deux opérations.... Il y a 570 employés travaillant pour l'UNHCR au Soudan. C'est notre plus importante opération en termes d'exposition du personnel. Avec les services médicaux, nous dispensons une formation de premiers secours au personnel au Soudan. C'est très important - des choses simples, comme la protection contre la malaria, vont de pair avec des mesures de sécurité essentielles. Ce genre de petites choses est d'une importance cruciale pour le bien-être du personnel.
Le niveau de menace est plus élevé en Afghanistan à cause des attentats suicides. Au Soudan, le principal danger vient des détournements de véhicules et des enlèvements de courte durée. Les autres zones dangereuses comprennent le Moyen-Orient.
Comment décidez-vous que cela devient trop dangereux de continuer à travailler ?
C'est un sérieux dilemme. La sécurité existe pour permettre la réalisation des opérations.... Il y a beaucoup de tensions lorsque nous déclarons que nous ne devons plus aller sur un lieu ... à ce que je sache, il n'existe que deux pays dans le monde qui soient évalués comme étant en Phase 5 en matière de sécurité par les Nations Unies, ce qui veut dire que l'ONU ne s'y rend pas.
L'Iraq en est un. Nous disposons d'employés recrutés localement qui travaillent par eux mêmes et qui nous fournissent des rapports, parce qu'évidemment il y a encore des populations dans le besoin. Même si vous remplissez les besoins de moins de 10 % de la population, vous avez toujours la satisfaction de savoir que vous pouvez peut-être sauver des vies.
La Somalie est un autre exemple. Une décision a été prise [l'année dernière] qui stipule que les Nations Unies devraient essayer de se redéployer en Somalie. La raison pour laquelle cela ne s'est pas fait est que la guerre s'y poursuit.
Il est très difficile pour le système de sécurité des Nations Unies et pour l'UNHCR de déclarer qu'il ne faut pas aller sur place, pas uniquement pour des raisons politiques, mais également parce que nous sommes une agence de protection. La protection est nécessaire là où il y a la plus grande insécurité, ce qui est le paradoxe de notre existence et de notre mandat. Les personnes dont nous devons protéger en premier lieu sont celles qui fuient l'insécurité, et vous devrez être sur place.
Pour contourner cela, nous avons recours à la gestion à distance avec du personnel local et nous réduisons notre exposition dans certaines zones. En somme ... vous faites bouger votre personnel d'un lieu difficile à un autre [plus calme].
Avez-vous apprécié de gérer le dossier de la sécurité ?
Je suis arrivée avec beaucoup d'inquiétudes et de craintes, beaucoup d'anxiété, mais cela a été une période gratifiante.... J'ai été surprise d'avoir été sélectionnée. Cela a été un long apprentissage. Il y a eu une certaine consternation [au début] parce que c'était une employée au profil opérationnel qui décrochait le poste, sans disposer d'aucune formation militaire ou policière.
Cela a été un long moment d'apprentissage pour moi, car il y avait beaucoup de choses que je tenais pour acquises en tant que membre du personnel et il y a eu des moments où j'ai pensé que la sécurité n'était là que pour vous limiter. J'ai appris que cela n'était pas ça du tout. La sécurité tente de vous mettre en garde. Lorsque vous voulez vous rendre d'un point A à un point Z, beaucoup de choses peuvent se passer. Même si vous ne travaillez pas pour les Nations Unies, si vous allez traverser la route, vous devez aussi regarder à droite et à gauche. Et c'est précisément ce que cette fonction vous dit de faire, que lorsque vous voulez aller dans un camp, il faut y être préparé. Vous évaluez tout, et lorsque vous avez de réelles difficultés, vous vous tournez vers un expert en sécurité.