Questions/Réponses : La coopération entre le HCR et l'Union africaine
Questions/Réponses : La coopération entre le HCR et l'Union africaine
GENEVE, 26 décembre (UNHCR) - Le délégué régional de liaison Ilunga Ngandu quitte le HCR à la fin du mois, après 33 ans de bons et loyaux services. Il avait commencé au HCR en tant que chargé de protection junior au milieu des années 70 et il y a terminé sa carrière en tant qu'interlocuteur clé du HCR auprès de l'Union africaine (UA), l'organisme basé à Addis Abeba. Ilunga Ngandu rentrera dans son pays natal, la République démocratique du Congo, où il continuera à oeuvrer pour aider les autres. Il s'est entretenu avec Leo Dobbs, éditeur du site Internet du HCR.
Quels ont été les changements au HCR depuis le début de votre carrière ?
Le HCR a profondément changé. Quand j'ai commencé, c'était une famille très, très unie. L'effectif total de l'organisation dans le monde entier s'élevait à 600. Nous nous appelions par nos prénoms, nous nous connaissions tous personnellement depuis le Haut Commissaire [Sadruddin Aga Khan] jusqu'aux chargés de protection junior.
Je me souviens notamment que durant cette période les employés seniors formaient leurs collègues juniors. Il y avait un lien fantastique entre nous tous, les employés, et nous apprenions beaucoup de nos collègues seniors. Ils trouvaient toujours du temps pour nous former. Malheureusement, l'organisation a beaucoup grandi et ce type de proximité a quelque peu disparu. Vu la complexité de notre travail aujourd'hui et le grand nombre d'employés, c'est à ce niveau-là que le changement s'est opéré. Mais l'esprit est toujours là et je suis vraiment admiratif de la motivation professionnelle de mes jeunes collègues nouvellement arrivés.
Lors de votre dernière affectation, vous cumuliez en fait deux emplois. Vous étiez le délégué du HCR en Ethiopie et le principal contact du HCR avec l'Union africaine. Parlez-nous du lien entre l'UA et le HCR.
Jusqu'en 2002, l'UA était auparavant connue sous le nom d'Organisation de l'Unité africaine [OUA], qui avait été fondée en 1963 et qui est maintenant basée à Addis Abeba. Quand le HCR a ouvert un bureau à Addis en 1966, il n'y avait pas de réfugiés en Ethiopie et la raison d'être du bureau était, depuis le tout début, de coopérer avec l'OUA. Sadruddin Aga Khan estimait qu'il était important d'établir un bureau de liaison entièrement consacré à établir un partenariat avec cet organisme représentant un continent tout entier car le phénomène des réfugiés en Afrique était alors très complexe. Vous aviez le système de l'apartheid en Afrique du Sud qui créait des déplacements, vous aviez des luttes diverses contre le colonialisme - au Mozambique, en Rhodésie, en Angola, au Cap Vert, en Guinée-Bissau, en Namibie, etc.... Il y avait de nombreux réfugiés en Afrique à cette période. Par ailleurs, le lien entre ces réfugiés et les processus politiques de construction d'une nation en Afrique était si fort que les pères fondateurs de l'OUA ont immédiatement décidé qu'ils avaient besoin de coopérer avec le HCR.
Le Secrétaire général de l'OUA était alors Diallo Telli. Il avait envoyé son adjoint à Genève en 1964 pour faire démarrer cette relation et commencer à étudier les domaines où les deux organisations pourraient coopérer. Après cela, il a été décidé d'ouvrir le bureau du HCR à Addis et de faire alors appel à des juristes pour concrétiser le projet de ce qui est devenu la Convention de l'OUA de 1969 régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique. Il s'est ensuivi un partenariat durable et très fructueux.
Comment s'est développé ce partenariat et comment ont évolué les défis ?
Depuis 1966 jusqu'en 1985, l'ancien esprit de solidarité établi sur les luttes contre le colonialisme et l'apartheid a assuré que l'OUA et ses Etats membres considéraient les réfugiés comme des frères et soeurs ayant besoin de protection, besoin de solidarité.... Par la suite, de 1980 jusqu'à environ 1999, il y a eu une période très, très difficile qui a vu le retrait de certains Etats membres. Cette base fondée sur la solidarité et les objectifs communs, appelée le consensus humanitaire, s'était érodée. Puis nous avons eu la situation au Rwanda, qui a vraiment remis en cause les vieilles opinions communément admises sur la façon dont vous voyez les réfugiés. Ceci car il y avait des personnes impliquées dans le génocide contre les réfugiés et des éléments armés qui retenaient des réfugiés en otage.
Par ailleurs, vous aviez certains pays membres de l'UA qui procédaient eux-mêmes à des violations massives des droits de l'homme, qui ont mené à des situations de réfugiés. Alors l'approche selon laquelle on voyait les réfugiés comme des frères et soeurs innocents, comme les victimes des méchants - l'apartheid et le colonialisme - a été réduite à néant. Les situations de réfugiés étaient générées par des Etats africains indépendants eux-mêmes ; par le manque de tolérance politique, par la mauvaise gouvernance, par des violations des droits humains. Alors l'espace humanitaire a souffert considérablement durant cette période et le HCR a connu une période très difficile. Le partenariat avec l'OUA a souffert aussi.
Depuis 2002, nous avons cependant vu apparaître un phénomène nouveau - pour des raisons historiques, un bon nombre de chefs d'Etat africains aujourd'hui sont d'anciens réfugiés ou ils ont vécu des situations de demande d'asile, depuis la Présidente du Libéria Ellen Johnson-Sirleaf à Thabo Mbeki [qui a démissionné de son poste de Président de l'Afrique du Sud en septembre dernier] et d'autres encore. Des ministres ont vécu aussi cette expérience ainsi que des ambassadeurs auprès de l'UA à Addis Abeba, un bon nombre d'entre eux sait ce que signifie être déplacé.
Ayant connu le système de l'UA durant deux de ces périodes, j'ai été témoin d'alliances fantastiques entre des personnes ayant la même mentalité, les mêmes sympathies. Et cela a rendu possible le début de la reconstruction du consensus humanitaire en Afrique qui mènera, je l'espère, à l'adoption d'une convention [lors d'un sommet qui fera date les 2 et 3 avril 2009 à Kampala, en Ouganda] pour la protection et des solutions au problème des personnes déplacées internes. Mais, durant ces deux périodes, certains pays africains - comme la Tanzanie, la Zambie et le Botswana - ont fait la preuve de traditions exemplaires pour l'asile.
Y a-t-il une affectation dont vous vous rappelez particulièrement ?
Il y en a eu tant, mais deux postes m'ont tout de même tenu particulièrement à coeur. L'un était à Djibouti, où j'étais délégué du HCR pour la première fois. Ce petit pays comptait une population de 300 000 personnes mais il devait faire face à la présence de près de 40 000 réfugiés originaires du grand frère voisin, l'Ethiopie, durant la guerre de l'Ogaden [en 1977 et 1978]. La plupart de ces réfugiés, soit 70 pour cent, appartenaient à l'ethnie somalienne issa présente dans l'est de l'Ethiopie. Ils avaient été accueillis par Djibouti comme des frères, mais il y avait aussi 10 000 membres des communautés montagnardes chrétiennes fuyant depuis Addis Abeba pour échapper à la terreur urbaine rouge [sous le régime du Président Mengistu Haile Mariam].
Le défi pour nous était de faire accepter aux dirigeants de Djibouti, francophones et musulmans, d'accueillir des montagnards chrétiens qui venaient d'Ethiopie. Cela a été un défi formidable. Mais bien que les autorités de Djibouti appartenaient à l'ethnie somalienne afar, ils se souvenaient de leur passé et nombre des hauts dirigeants avaient l'habitude de traverser la frontière et de vivre à Dire Dawa [dans l'est de l'Ethiopie] dans le cadre d'un mouvement de migration régulière. De plus, durant la première guerre mondiale, il y avait un blocus anglais sur Djibouti qui a mené à la famine, forçant de nombreux Djiboutiens à chercher asile en Ethiopie, où ils avaient été accueillis. Alors quand j'ai rencontré le Président de Djibouti [Hassan Gouled Aptidon], j'avais préparé mon meilleur discours, ma meilleure plaidoirie en tant que jeune avocat. Je pensais que je l'impressionnerais et alors que je l'appellerais instamment à adhérer aux principes humanitaires tout en citant des extraits de la Convention de l'OUA. Mais il m'a rapidement arrêté et il m'a dit, « jeune homme, vous savez, avec de nombreux autres Djiboutiens, j'ai passé plusieurs année en tant que réfugié en Ethiopie durant le blocus et il est temps maintenant de payer en retour. Alors ne me lisez pas des extraits de la convention. Ces personnes méritent l'hospitalité, car notre peuple a bénéficié de leur hospitalité. »
Ma seconde expérience mémorable s'est passée en Namibie - une petite réussite célébrée par les Nations Unies en Afrique. Il y avait des gens originaires de 110 pays différents. Vous aviez des personnels de maintien de la paix qui surveillaient le désarmement de l'armée de l'Afrique du Sud et des groupes armés SWAPO [South-West Africa People's Organization] ; des contrôleurs de la police maintenant la paix et l'ordre. Leur travail signifiait que nous pouvions nous diriger vers le processus électoral et organiser le rapatriement de milliers de réfugiés.
Nous avions des administrateurs civils des Nations Unies car les Nations Unies avait un mandat pour gouverner la Namibie. [L'ancien Président finlandais et lauréat 2008 du Prix Nobel pour la paix] Martti Ahtisaari était notre chef. La division électorale des Nations Unies préparait le scrutin électoral avec l'enregistrement de la population.... A cause des immenses défis logistiques pour ramener les personnes, incluant des participants politiques comme le SWAPO, le volet militaire de l'opération a fourni des véhicules. Tous les transports, même ceux des réfugiés depuis l'aéroport et depuis le point d'entrée dans le pays vers les centres de transit, vers leurs villages, ont été effectués par le volet militaire.... Vous aviez tout l'éventail de l'expertise civile, de l'expertise militaire, de l'expertise politique utilisé de la meilleure façon que j'ai jamais vue de toute ma vie. C'est une expérience que je n'oublierai jamais et je vais écrire à ce sujet.
Qu'allez-vous faire maintenant ?
La prochaine étape sera de payer en retour mon pays. Je me souviens de mon père venant me voir lors que j'étais invité dans les prisons du [Président] Mobutu Sésé Seko après avoir participé à des manifestations étudiantes : « Il y a deux Républiques du Zaïre (à ce moment-là, mon pays s'appelait le Zaïre). La première, c'est nous, la famille. Alors finis tes études, trouve un travail et montre nous que tu peux t'occuper de cette première République du Zaïre. Une fois que tu l'auras fait, alors nous te libérerons et tu pourras t'occuper plus largement de la deuxième république du Zaïre. »
Je pense que le sens de l'obligation pour tenir la promesse faite à mon père est toujours en moi. Alors je vais rentrer. Je ne pense pas que ce serait bien de ma part, en tant que personne ayant gagné une petite expertise et un réseau d'amis dans le monde entier, de quitter mon pays, un pays qui souffre, et de partir pour aller à la plage, boire de la bière et passer du bon temps.... Je crois que je vais essayer de donner un coup de main. On dit que des petites gouttes d'eau naissent les rivières.