J'ai dû fuir mon pays pour poursuivre mes études, mais je refuse d'abandonner les autres jeunes filles afghanes
J'ai dû fuir mon pays pour poursuivre mes études, mais je refuse d'abandonner les autres jeunes filles afghanes
Le 15 août 2021, alors que les talibans prenaient le contrôle de l'Afghanistan, nous avons tous été sidérés par ce triste retour de l'histoire. Vingt ans de progrès en faveur des droits des femmes risquaient alors d'être réduits à néant.
Et en effet, il n'a pas fallu attendre longtemps pour que les nouvelles autorités de facto commencent à durcir les restrictions concernant la présence et le rôle des femmes dans la société. Malgré leurs promesses initiales de préserver les droits des femmes, j'ai été témoin d'une toute autre réalité sur le terrain. Tout a commencé par l'interdiction de l'accès des filles à l'enseignement secondaire, suivie d'une diminution progressive de la présence des femmes dans toutes les sphères de la vie publique.
Ce tout premier décret n'annonçant rien d'autre qu'un avenir bien sombre pour les femmes et les jeunes filles en Afghanistan, j'ai estimé que je n'avais pas d'autre choix que de quitter le pays pour poursuivre et achever mes études. Le 28 août 2021, j'ai fait mes adieux à ma famille et j'ai quitté mon université, alors que j'étais sur le point d'obtenir mon diplôme de droit.
Partie de nuit avec un petit sac à dos contenant tout ce que je pouvais emporter, et espérant ne pas être arrêtée à un poste de contrôle, je me suis embarquée pour un long et pénible voyage vers un avenir incertain.
Accompagnée de mon frère, nous avons traversé tout l'Afghanistan avant d'atteindre la frontière avec l'Iran. Après des mois de voyage, j'ai fini par trouver refuge en Allemagne, où j'ai dû recommencer ma vie en partant de zéro.
Comme la plupart des personnes réfugiées arrivant dans leur nouvelle communauté d'accueil, j'ai eu du mal à m'orienter dans ce nouveau pays et à m'habituer à son système plutôt déconcertant pour moi. Mon but ultime était de retrouver le chemin des études, mais mes premières tentatives pour m'inscrire dans une université allemande se sont soldées par un échec. La langue s'est avérée être l'un des obstacles les plus importants, car l'acquisition d'un niveau acceptable aurait pris au moins trois ans, après quoi j'aurais dû recommencer mon cursus depuis le début.
Au cours de ces premiers mois d'incertitude et parfois de désespoir, j'ai frappé à toutes les portes avant de finalement tomber sur une opportunité inattendue. À la fin de l'année 2021, le Bard College de Berlin a mis en place un programme spécial de bourses pour les étudiants afghans récemment déracinés, et j'ai fait partie de ceux à qui il a été offert l'opportunité de poursuivre leurs études dans le domaine des sciences politiques. L'université a également reconnu deux années de mon ancien cursus.
Le fait de pouvoir retourner sur les bancs de l'université était un privilège exceptionnel dont seules quelques rares jeunes filles afghanes bénéficient aujourd'hui. Mon enthousiasme à l'idée de pouvoir reprendre mes études s'accompagnait d'un profond sentiment de culpabilité, car des millions de filles afghanes étaient par ailleurs privées de leur droit fondamental à l'éducation.
Au milieu de l'année 2022, l'espace accordé aux femmes et aux jeunes filles s'est encore réduit, et celles-ci sont descendues dans la rue en scandant : « Nan, Kar, Azadi ! Nan, Kar, Azadi ! » (Pain, travail, liberté !). Parallèlement, de plus en plus de familles étaient contraintes de quitter le pays, principalement pour assurer la sécurité et l'avenir de leurs filles.
Face à cette injustice, j'ai refusé d'être une spectatrice passive et j'ai décidé de soutenir mes sœurs restées au pays. Je me suis lancée à la recherche de moyens susceptibles d'apporter une solution alternative à la crise de l'éducation qui sévit dans mon pays d'origine.
En février 2022, j'ai lancé une initiative avec Lika Torikashvili, une militante pour la paix originaire de Géorgie et ancienne déléguée de la jeunesse auprès des Nations Unies. Nous avons organisé une réunion à huis clos pour mettre en relation de jeunes étudiantes de six régions différentes de l'Afghanistan avec nos universités respectives à Berlin et à New York.
Peu après la réunion, le Bennington College de New York s'est engagé à offrir des bourses d'études en ligne à six étudiantes. Une phase d'essai consistant à offrir des cours en ligne assortis de crédits aux étudiantes a prouvé la faisabilité d'une telle approche et a renforcé nos espoirs de parvenir à une solution innovante pour faire face à la crise de l'éducation en Afghanistan.
- Voir aussi : Une ancienne réfugiée, devenue enseignante bénévole, aide d'autres filles afghanes à s'instruire.
Après une année de démarches, nous avons lancé cette initiative d'enseignement à distance pour les femmes afghanes et sommes parvenus à offrir des bourses d'études en ligne à des étudiantes avec l'aide et le soutien académique d'universités de New York, de Berlin, du Kirghizstan et de l'Arizona.
Dix étudiantes de Kaboul ont désormais la possibilité de poursuivre et de finaliser leurs études grâce à cet enseignement en ligne qui, s'il s'avère concluant, pourra être étendu à d'autres provinces du pays.
« L'éducation est aussi indispensable que l'eau ou la nourriture. »
Aujourd'hui, l'Afghanistan est le seul pays au monde où les filles n'ont pas le droit d'aller à l'école ou à l'université. Leur vie est marquée par l'incertitude et l'isolement. Notre initiative d'enseignement à distance est porteuse d'un message clair : les jeunes filles afghanes ne peuvent pas et ne doivent pas attendre que la crise politique et humanitaire se termine pour avoir accès à l'éducation. Pour qu'elles puissent surmonter la crise actuelle, l'éducation leur est aussi indispensable que l'eau ou la nourriture.
Nous vivons à une époque de conflits, de catastrophes et de crises où, toutes les deux secondes, une personne est contrainte de fuir son foyer. L'accès à l'enseignement supérieur est un élément essentiel qui permet aux réfugiés et aux personnes vivant dans des pays en guerre, en particulier les jeunes femmes, de retrouver leur autonomie et leur stabilité. Pourtant, nos systèmes éducatifs à travers le monde sont loin d'être adaptés à la situation.
Aujourd'hui, il est plus urgent que jamais de mettre à profit les possibilités offertes par la technologie pour ouvrir une nouvelle ère en matière d'éducation qui transcende les frontières, afin que les jeunes filles vivant dans des camps de réfugiés ou confrontées à des situations de crise puissent bénéficier d'un accès égal à l'éducation.
En cette Journée internationale de la femme, j'appelle la communauté internationale à investir dans l'éducation et, plus encore, dans la créativité et le potentiel des jeunes femmes, car ces deux éléments, une fois combinés, ont le pouvoir d'éclairer les ténèbres et de libérer l'humanité des chaînes du totalitarisme.
Cet article a été rédigé pour le HCR par Aisha Khurram qui, après avoir fui l'Afghanistan pour l'Allemagne, est aujourd'hui la responsable régionale du Tertiary Refugee Student Network et fait des études en sciences humaines au Bard College de Berlin.