Déclaration de Madame Sadako Ogata à l'occasion de la Journée du Réfugié Africain
Déclaration de Madame Sadako Ogata à l'occasion de la Journée du Réfugié Africain
Chaque année le 20 juin, l'Organisation de l'unité africaine (OUA) et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés invitent les pays du monde entier à commémorer la Journée du réfugié africain. C'est en effet le 20 juin 1974 que la Convention de l'OUA, la clef de voûte de la protection des réfugiés en Afrique, est entrée en vigueur.
Aujourd'hui, le problème des réfugiés en Afrique exige plus que jamais notre attention. Leur nombre a quadruplé depuis le début des années 60, passant de 950 000 à quelque quatre millions de personnes, et cela, sans compter les millions de déplacés à l'intérieur de leur propre pays.
L'année dernière, des progrès semblaient se dessiner, et après la signature des accords de cessez-le-feu de Lomé et de Lusaka, on espérait que des centaines de milliers de réfugiés en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale prendraient enfin le chemin du retour.
Encore faut-il que ces accords tiennent et c'est là un défi majeur. En Afrique de l'Ouest, l'an passé à la même époque, le HCR venait de relancer son opération de rapatriement des réfugiés Libériens depuis la Guinée et la Côte d'Ivoire. En Sierra Leone, nous étions en train de mettre en place, avec le Programme des Nations Unies pour le développement et la Banque mondiale, un programme pour faciliter la réintégration des Sierra-Léonais rentrant du Libéria et de Guinée. De nouvelles tensions ont hélas surgi vers le milieu de l'année et la situation a commencé à se détériorer. Elle est tout aussi dramatique en Angola et en République Démocratique du Congo, où des populations entières sont déplacées non seulement à l'intérieur de leur pays mais aussi au-delà de leurs frontières.
Je tiens ici à saluer l'OUA qui appelle sans relâche les belligérants à s'asseoir autour de la table des négociations. Je garde l'espoir de voir les accords de cessez-le-feu de Lomé et de Lusaka apporter la paix en Afrique centrale et en Afrique de l'Ouest. C'est capital. L'expérience nous a maintes fois prouvé que les crises de réfugiés ne peuvent être résolues sans une paix durable.
Mais remplacer la guerre et la souffrance par la paix exige de la part de tous les Africains une responsabilité partagée. J'attends des peuples d'Afrique qu'ils continuent de témoigner de cet esprit de justice et d'humanité dont ils ont fait preuve dans le passé avec tant de générosité en accueillant des millions de civils innocents chassés de chez eux. Aucun conflit ne peut être résolu tant que les pays et leurs citoyens ne s'engagent pas ensemble à restaurer la paix. Il semblerait que, pour certains dirigeants africains et chefs rebelles, le contrôle des ressources naturelles - le pétrole, les diamants, le bois - compte davantage que le sort des civils pris en otage dans les conflits. Et comme les armes circulent en toute impunité, tant à destination de l'Afrique qu'à l'intérieur du continent, la machine de guerre est alimentée en permanence. Aujourd'hui, les épisodes les plus sombres de l'histoire coloniale semblent se répéter sur fond de gaspillage d'immenses ressources au nom de l'argent, de la guerre et de la domination.
Là où ils étaient naguère accueillis comme des frères et des soeurs en détresse, les réfugiés sont devenus indésirables, victimes d'une xénophobie croissante. On évoque souvent les difficultés économiques et les considérations de sécurité nationale pour justifier ce phénomène inquiétant. C'est pour cela que l'OUA et le HCR ont pris l'initiative de réunir en mars dernier à Conakry des juristes et des experts en droit humanitaire pour tenter de voir comment la Convention de l'OUA pouvait répondre aux défis du moment en matière de protection des réfugiés.
La question de la responsabilité n'est pas seulement l'apanage des chefs d'Etat et des politiciens. Elle se situe également à un niveau individuel, lorsque l'intolérance s'installe dans les esprits et pousse les gens à avoir un comportement hostile envers les membres de tel ou tel groupe, pour des raisons ethniques, religieuses ou politiques. C'est pour lutter contre cette inquiétante vague d'intolérance que le HCR a appelé les gouvernements, les ONG et le secteur privé à participer à une campagne de sensibilisation appelée « Halte à la xénophobie », lancée à travers toute l'Afrique.
Mais cette responsabilité partagée ne s'applique pas seulement aux Africains. Partout dans le monde, chacun a un rôle à jouer. La télévision et Internet nous montrent chaque jour des images de civils chassés de leurs foyers par de nouvelles flambées de violence et il est de notre devoir à tous de rappeler à nos gouvernements les souffrances des réfugiés en Afrique, même lorsque les médias braquent leurs caméras sur d'autres crises sur d'autres continents.
Lorsque vous écouterez ce message, je serai en Afrique de l'Est. Je saisirai cette occasion pour remercier du fond du coeur les peuples et les dirigeants africains qui ont si souvent ouvert leurs portes aux réfugiés et à tous ceux qui ont été chassés de chez eux. Je peux vous assurer que, de son côté, le HCR continuera de protéger et secourir les réfugiés et les déplacés d'Afrique et qu'il ne cessera jamais d'oeuvrer pour alléger leurs souffrances et trouver des solutions durables à leurs problèmes.
Mais j'en appelle aussi à toutes les personnes de bonne volonté pour que cesse cette spirale de violence dont nous sommes témoins depuis trop longtemps. Alors, le continent pourra retrouver une paix solide et offrir à son peuple une vie meilleure. Alors seulement, chaque habitant de ce grand continent, homme, femme, enfant, pourra enfin retourner chez lui et retrouver une vie où l'espoir aura sa place.