Les réfugiés font entendre leur voix pour réclamer la fin des discriminations raciales
Les réfugiés font entendre leur voix pour réclamer la fin des discriminations raciales
Lorsque des manifestations ont éclaté aux États-Unis suite à la mort de George Floyd, le pasteur Yves Kalala s'est engagé à faire en sorte que les membres de la paroisse dans son village de l'Ontario, au Canada, - principalement des blancs - prennent conscience des préjugés existant au sein de leur communauté.
Il a fallu du courage à Yves Kalala pour décider d'aborder cette question avec ses paroissiens et ses collègues pasteurs. Il a grandi en République démocratique du Congo (RDC) et est arrivé au Canada en 2007 en tant que réfugié. L'intolérance l'a forcé à fuir son pays d'origine, dit-il, et il a souffert de retrouver ce même fléau dans son pays d'adoption.
« Cela n'a pas été facile, mais finalement... de nombreux pasteurs sont disposés à aborder ce sujet », a-t-il déclaré.
Le clergé et les fidèles ont pris le ferme engagement de lutter contre le racisme et ont convenu de produire des vidéos de formation sur ce sujet pour conscientiser les leaders d'opinion.
Comme Yves Kalala, des réfugiés dans diverses régions du monde saisissent l'occasion du mouvement en cours pour stimuler le dialogue sur le thème de la discrimination raciale qui touche les communautés dans lesquelles ils vivent aujourd'hui. C'est un problème que beaucoup de réfugiés ne connaissent que trop bien.
La persécution sur base de la race est un important facteur de déplacement dans de nombreuses régions du monde, et elle touche de nombreux réfugiés même après qu'ils aient fui vers un autre pays en quête de sécurité. La Convention de 1951 sur les réfugiés reconnaît explicitement la persécution raciale comme motif d'octroi du statut de réfugié.
Les manifestations contre le racisme ont commencé fin mai, lorsqu'une vidéo a été rendue publique, montrant un policier blanc agenouillé sur le cou de Floyd pendant près de neuf minutes, alors que d'autres policiers se trouvaient à côté. Floyd, qui était noir, en est mort.
Les manifestations se sont rapidement propagées à des centaines de villes américaines, atteignant même l'Allemagne, le Japon ou la Nouvelle-Zélande, par exemple. De nombreux réfugiés dans le monde prennent également la parole, s'impliquent et témoignent de leur propre expérience, tant dans leur pays d'origine que dans leur pays d'accueil.
Prudence Kalambay, 39 ans, a été contrainte de fuir la RDC après avoir été la cible de persécutions politiques et elle vit maintenant à São Paulo, au Brésil. Ancienne collaboratrice politique et reine de beauté, Prudence n'avait vu le Brésil que dans des feuilletons avant son arrivée en 2008. La réalité n'avait rien à voir avec ce qu'elle avait vu à la télévision, a-t-elle confié. En tant que femme noire, réfugiée et enceinte, elle a été confrontée à la discrimination.
Après avoir rejoint Empowering Refugees, un programme de défense des femmes soutenu par le HCR et ses partenaires au Brésil, elle a réalisé que sa propre histoire pouvait être une source d'inspiration pour d'autres réfugiées, mères ou femmes noires. Aujourd'hui, elle est artiste et conférencière sur les droits de l'homme et envisage d'étudier les relations internationales. Elle est reconnaissante envers le mouvement Black Lives Matter.
« Il est très important que les gens soient conscients des souffrances causées aux Noirs », a-t-elle déclaré. « Pour moi, la signification de ce mouvement c'est ... le changement du système. Nous voulons l'équité sociale, une garantie pour nos droits. »
Lourena Gboeah, 32 ans, a emmené sa fille de trois ans à la manifestation Black Lives Matter dans sa ville natale de Newark, dans le Delaware, aux États-Unis (en précisant avoir gardé ses distances par rapport aux autres manifestants en raison du Covid-19).
En tant que mère noire, elle s'inquiète pour sa famille. Cette période d'incertitude, dit-elle, lui fait penser à ce que sa propre mère a ressenti lorsqu'elle a fui la guerre au Libéria dans les années 1990. Chaque fois que son beau-fils de 23 ans quitte la maison, dit-elle, elle lui dit de ne pas porter de sweatshirt à capuche (hoodie), que certaines personnes associent à la criminalité, selon qui le porte.
« Mes parents étaient des réfugiés d'un certain âge et ils ne savaient pas comment les choses fonctionnent ici. Ils n'ont pas pu me dire à quel point je devrais travailler dur... L'école ne m'a pas enseigné le racisme inhérent à ce pays », a confié Lourena, qui est aujourd'hui déléguée au Refugee Congress, une organisation américaine de défense des droits des réfugiés. Elle espère inculquer à ses propres enfants le savoir qui lui a manqué en grandissant. « Je suis en mesure de les aider à comprendre quels sont les questions auxquelles il faut prêter attention. »
Linda Kana, 28 ans, citoyenne américaine vivant à Lexington, dans le Kentucky, se rappelle s'être sentie bien accueillie lorsqu'elle est arrivée aux États-Unis en tant que réfugiée de la RDC. Tout le monde souriait, se souvient-elle, ce qu'elle trouvait inhabituel et charmant. Mais elle a connu tant un racisme subtil que manifeste, raconte-t-elle. Certains lui ont demandé si les Africains se douchaient. Un patient dont elle s'occupait dans le cadre de son ancien poste d'assistante médicale lui a dit que ses cheveux pouvaient servir à nettoyer le sol (Linda a indiqué avoir renoncé au défrisant qu'elle utilisait quand elle était jeune pour montrer aux gens qu'elle aime ses cheveux naturels).
Linda, qui est également représentante au sein du Refugee Congress, a expliqué que le fait de voir des vidéos de policiers tuant des Noirs lui donne le sentiment de ne pas être en sécurité, même après que sa famille ait fui la RDC. Elle participe aux manifestations et espère rendre le pays plus sûr pour ses cousins, nièces et neveux qui sont également aux Etats-Unis.
« C'est assez bouleversant de voir quelqu'un qui est censé vous protéger tuer quelqu'un qui vous ressemble », a ajouté Linda, qui travaille maintenant comme traductrice auprès de réfugiés et anime une émission de radio communautaire sur la musique et la culture africaines. « Cela a en quelque sorte réveillé la tragédie que j'avais connue chez moi. J'ai passé dix ans à fuir. Je n'étais pas en sécurité. »
Certains réfugiés ont affirmé se sentir proche du mouvement Black Lives Matter et avoir voulu manifester leur soutien.
Heval Kelli, 37 ans, est un ancien réfugié syrien qui est cardiologue à Atlanta, en Géorgie. Aujourd'hui naturalisé, il a organisé une manifestation dans la banlieue voisine de Clarkston. Il a fait remarquer que le mouvement américain des droits civiques a conduit à des changements législatifs qui ont aidé un plus grand nombre de réfugiés et d'immigrants à reconstruire leur vie aux États-Unis.
« Mon peuple a été opprimé en raison de notre identité kurde et nous adhérons au sens des paroles de Martin Luther King : ‘L'injustice, où qu'elle se produise, est une menace pour la justice dans son ensemble’ », a poursuivi Kelli, qui est diplômée de l'école de médecine de Morehouse, qui faisait à l'origine partie du Morehouse College, l'institution historiquement noire d'Atlanta où Martin Luther King a étudié. « Je m'élève contre l'injustice parce que je veux que mes enfants grandissent en paix et ne soient pas jugés sur la base de leurs origines ou de leur apparence. »
Certains réfugiés ont affirmé avoir eu besoin de temps avant de trouver leur place dans ce mouvement de contestation.
Amelie Fabian, 24 ans, a fui le Rwanda lorsqu'elle était enfant et a vécu avec sa famille pendant des années en tant que réfugiée au Malawi, un pays du sud-est de l'Afrique. Elle est arrivée au Canada comme étudiante à l'âge de 18 ans et c'est là qu'elle a entendu parler pour la première fois du mouvement Black Lives Matter. Elle suit actuellement une année d'études à Paris, où elle s'est jointe aux manifestations.
« Ma première réaction a été de me fermer sur moi-même », dit-elle. « Et c’est ce que faisaient la plupart de mes amis. Ils se disaient : ‘Nous sommes Africains, cela ne nous concerne pas’, mais en réalité, cela nous concerne parce qu'une fois que nous arrivons en occident, nous ne sommes plus Africains, nous sommes Noirs. »
Amélie prévoit de rentrer au Canada pour terminer sa maîtrise en politique publique et relations internationales cet été. Son objectif, explique-t-elle, est de retourner au Canada et de travailler au sein du gouvernement pour rendre le pays plus sûr et plus équitable pour tous ceux qui y vivent.
« Au départ, je voulais juste m'instruire et retourner en Afrique pour essayer de résoudre les problèmes du continent, où je me sentais chez moi. Mais depuis que je suis devenue Canadienne, j'ai cette impression d’appartenir au pays et j’ai le souhait d’y contribuer au bien-être de la communauté », a-t-elle poursuivi. « Devenir citoyenne », a-t-elle conclu, « vous rend simplement votre dignité humaine, ce qui, en fin de compte, est ce que la plupart des réfugiés recherchent. »