Le cœur industriel du Mexique offre du travail et un nouveau départ aux réfugiés
Le cœur industriel du Mexique offre du travail et un nouveau départ aux réfugiés
Le bus qui s'arrête devant un hôtel de la ville d'Aguascalientes, dans le centre du Mexique, est sur la route depuis 19 heures. Les passagers ont l'air épuisés et désorientés, mais la plupart d'entre eux parviennent tout de même à adresser un sourire à Paola Monroy, une employée du HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, qui les accueille tous avec une chaleureuse accolade.
C'est un grand moment pour Marcello*, père célibataire de 42 ans originaire du Honduras, qui a voyagé avec ses trois enfants. « Nous sommes un peu anxieux car nous sommes ici pour commencer une nouvelle vie et nous ne connaissons personne qui puisse nous accueillir, mais c'est un nouveau départ », confie-t-il.
La famille a fui le Honduras après qu'un gang local ait tenté de recruter de force ses deux fils, âgés de 12 et 16 ans. « Nous ne pouvions pas rester, nos vies étaient en danger », explique Marcello. « J'ai vendu tout ce que j'ai pu et c'est ainsi que nous avons entamé notre voyage. »
La première étape de ce périple s'est achevée à Tenosique, dans le sud du Mexique, où Marcello a exercé des petits boulots pendant huit mois en attendant le dénouement de la procédure d'asile. Mais comme d'autres villes du sud du Mexique où se retrouvent la grande majorité des demandeurs d'asile, Tenosique n'a pas pu offrir le travail et la stabilité dont Marcello rêvait pour sa famille.
Travail et stabilité, c’est ce que Marcello et les autres réfugiés qui descendent du bus espèrent trouver à Aguascalientes, une ville de petite taille mais en pleine croissance, avec un secteur automobile et un secteur textile en plein essor et un centre-ville pittoresque datant de l'époque coloniale. C'est l'une des 11 villes du centre et du nord-est du Mexique où les réfugiés sont relocalisés depuis le sud du pays dans le cadre du programme d'intégration géré par le HCR.
Un nouveau départ
Depuis son lancement en 2016, le projet a permis à plus de 31 000 personnes comme Marcello de commencer une nouvelle vie dans l'une de ces villes mexicaines qui peuvent offrir des conditions de vie sûres et abordables, des opportunités d'emploi et un accès à l'éducation et aux services de santé. La ville d'Aguascalientes a accueilli à elle seule quelque 3000 réfugiés, et des bus comme celui dans lequel est arrivé Marcello amènent de nouveaux réfugiés toutes les deux semaines.
Ils passent trois nuits dans un hôtel, reçoivent des informations du HCR et de ses partenaires sur le logement, la délivrance de documents officiels et les possibilités d'emploi, et bénéficient d'un soutien en cas de besoins spécifiques. Une allocation unique en espèces les aide ensuite à couvrir leur premier mois de loyer et d'autres frais.
Nohemi Enamorado*, 35 ans, est émue par le souvenir du jour de son arrivée par ce même bus il y a près de deux ans, en compagnie de sa fille Melly aujourd'hui âgée de 13 ans. « La ville était très belle, les gens étaient gentils... mais arriver seule dans un nouvel endroit, c'est compliqué. »
« Je ne connaissais rien de la ville, je ne disposais que des quelques informations fournies par le HCR », se souvient-elle. Ils ont parlé d'Aguascalientes comme d'une ville sûre et je me suis dit : « C'est l'endroit idéal ». La sécurité était ma priorité absolue.
Lorsqu'elle vivait à San Pedro Sula, la deuxième ville du Honduras, Nohemi travaillait pour un service d'enquête de la police locale. Elle avait ensuite démissionné et s'était reconvertie en professeur d'éducation physique à l'époque où deux ouragans consécutifs ont frappé le nord du Honduras, en novembre 2020. Mais cela n'a pas empêché les gangs qui avaient pris le contrôle de son quartier à de la harceler.
« Quand il y a eu ces inondations, les zones basses de San Pedro Sula ont été les plus touchées », raconte Nohemi. « Les gens se réfugiaient dans des abris et les gangs investissaient leurs maisons, et c'est ainsi qu'ils se sont emparés du quartier où je vivais. »
Des membres de gangs ont commencé à la suivre chez elle depuis le gymnase où elle travaillait, et à la menacer. Même après avoir quitté son emploi et déménagé chez ses parents dans un autre quartier, elle ne se sentait toujours pas en sécurité et avait peur pour sa fille.
Melly et elle ont rejoint le sud du Mexique en passant par le Guatemala, avec l'idée de poursuivre leur route vers les États-Unis. « Mais j'ai appris l'existence du programme du HCR et je me suis dit qu'il fallait au moins essayer. »
Des milliers d'offres d'emploi
Au cours de leurs six premiers mois à Aguascalientes, Nohemi a travaillé dans plusieurs restaurants pour s'en sortir, mais il s'agissait d'emplois temporaires sans avantages sociaux. En novembre dernier, elle a postulé à un emploi au rayon pharmacie d'un grand magasin et a été embauchée. Il s'agit de son premier emploi officiel au Mexique, qui s'accompagne d'une assurance maladie, d'horaires de travail réguliers et d'un salaire fixe.
Selon Ricardo Adrian Muñoz Diaz, 51 ans, fondateur et directeur général d'Assoluto, un fabricant de vêtements, Aguascalientes ne manque pas d'emplois de ce type. « C'est une ville qui se développe rapidement. Au cours des 15 dernières années, de nombreuses entreprises sont venues s'y installer. Il y a des milliers de postes à pourvoir dans l'industrie textile », explique-t-il depuis son bureau situé à côté de l'atelier où une centaine d'ouvriers confectionnent des polos.
Son entreprise est l'une de celles qui travaillent avec le HCR pour aider les réfugiés à trouver un emploi. « Nous permettons le placement de 50 personnes par mois », indique-t-il. « Nous avons toujours des postes vacants pour celles et ceux qui ont de l'expérience et qui veulent s'installer ici à Aguascalientes. »
Daysi Cruz Martinez, 46 ans, a trouvé un emploi à l'usine Assoluto environ six mois après son arrivée grâce au programme d'intégration. « Cela a complètement changé ma vie », assure-t-elle.
Au Honduras, les « maras » (gangs) faisaient pression sur son fils, Allan, pour qu'il vende de la drogue pour leur compte. Lorsque Daysi l'a appris, elle a rapidement pris la décision de quitter le pays. « C'était très dur de tout abandonner derrière moi. Mais si c'était à refaire, je le referais. »
Jouer de la musique ensemble
Allan, aujourd'hui âgé de 18 ans, vient de terminer le lycée et souhaite étudier la robotique ou les nanotechnologies si sa famille trouve l'argent nécessaire pour l'envoyer à l'université. En attendant, lui et sa sœur de 11 ans, Emeli, font tous deux partie d'un orchestre de jeunes dans la banlieue voisine de Jesús María, qui rassemble des enfants issus des milieux défavorisés et des jeunes réfugiés pour leur permettre d'apprendre un instrument et de jouer de la musique ensemble.
Allan et Emeli jouent tous deux des percussions. « Tous les instruments sur lesquels on peut taper », comme le dit Allan, même si ses préférés sont les grosses caisses. « Je ne sors pas beaucoup, alors c'est l'occasion pour moi de nouer des liens avec d'autres personnes », explique-t-il.
Le programme d'intégration n'est pas exempt de difficultés. Certains réfugiés ont encore du mal à ouvrir des comptes bancaires ou à trouver des places pour leurs enfants dans les écoles locales, tandis que d'autres choisissent de s'installer ailleurs. Cependant, les évaluations menées par le HCR dans les villes d'accueil n'ont pas révélé de discrimination ou de crimes à l'encontre des réfugiés. « Ils sont généralement accueillis par des personnes très amicales », affirme Paola Monroy du HCR. « Je pense que s'ils sont motivés, ils peuvent avoir une très bonne vie ici. »
Je veux rester au Mexique.
Nohemi a été surprise par la rapidité avec laquelle elle s'est sentie chez elle à Aguascalientes. « Je n'aurais jamais pensé avoir une aussi bonne qualité de vie en si peu de temps », dit-elle.
Bien qu'elle apprécie son travail à la pharmacie, elle est impatiente de se remettre à enseigner et reçoit le soutien du HCR pour faire reconnaître ses diplômes au Mexique.
« En travaillant dans l'enseignement, je pourrai passer plus de temps avec ma fille », explique-t-elle. « Elle a 13 ans maintenant et il faut lui accorder beaucoup d'attention. J'aimerais qu'il y ait 28 heures dans la journée pour pouvoir passer quatre heures de plus avec elle. »
Elle n'a qu'un jour de congé par semaine, qu'elle essaie de consacrer à l'entraînement de Melly, qui fait de l'athlétisme, et à ses compétitions. Elle a réussi à mettre la main sur quelques meubles pour leur petite maison dans la banlieue d'Aguascalientes. Elle a aussi adopté un chat et un chiot indiscipliné appelé Bella, pour tenir compagnie à Melly pendant qu'elle est au travail.
« Mon objectif est de rester ici pour toujours. J'aime beaucoup cette ville, elle est très sûre et paisible », dit-elle, avant d'ajouter qu'elle a de plus grands projets pour Melly. « J'aimerais qu'elle étudie ailleurs pour avoir de meilleures opportunités. Si je dois déménager avec elle, je le ferai. »
« Mais je veux rester au Mexique », conclut-elle. « Je rendrai visite à mes parents et à ma famille, mais je ne retournerai pas dans mon pays. Si je dois mourir ici, il en sera ainsi. »
* Les noms ont été modifiés pour protéger l'identité des personnes.