Le changement climatique alimente des tensions meurtrières au Nigéria
Le changement climatique alimente des tensions meurtrières au Nigéria
Dans le camp de déplacés d'Ichwa, près de Makurdi, dans l'État de Benue, au centre du Nigéria, Mimi Kiva dirige en chanson une classe de jeunes enfants souriants. Bien qu'elle n'ait pas de diplôme, cette femme de 47 ans est une enseignante au talent naturel, passionnée et bienveillante, dotée d'une énergie qui semble inépuisable.
Avant même que cette salle de classe ne soit construite l'année dernière et que Mimi ne soit recrutée comme assistante pédagogique bénévole, elle réunissait les enfants du camp pour des cours en plein air. « Je leur raconte des histoires sur ce qui se passait dans nos vies avant que nous n'arrivions au camp, sur notre culture », explique-t-elle. « J'aime ça parce que ça me fait oublier tout le reste ».
Il y a beaucoup de choses que Mimi aimerait oublier. Il y a trois ans, elle n'était pas enseignante mais agricultrice. Elle, son mari et leurs trois enfants possédaient deux hectares de terre dans la zone de Guma, à seulement 30 minutes du camp. Ils cultivaient des ignames, du sésame et du millet et élevaient des cochons et des poules. Mimi était particulièrement fière de leurs ignames, qui atteignaient une taille conséquente dans le sol riche de la région. De temps en temps, des éleveurs nomades passaient par là. « Ils nous demandaient du millet ou des ignames, et nous leur donnions », se souvient Mimi. « C'était comme ça à l'époque, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui ».
Un jour, alors que Mimi, son mari et leur fille de 11 ans travaillaient dans leurs champs d'ignames, ils ont entendu un coup de feu. Lorsqu'ils ont levé les yeux, ils ont vu des hommes armés. Ils n'ont pas eu le temps de fuir. Les hommes ont violé et tué la fille de Mimi. Mimi a elle-même été violée et son mari a été tué. Plus tard, un chasseur l'a trouvée blessée et inconsciente et l'a aidée à se réfugier dans la brousse. Ils s'y sont cachés pendant deux jours avant qu'il ne puisse l'amener au camp en toute sécurité. Arrivée sur place, elle a reçu des soins médicaux et a retrouvé ses deux fils, aujourd'hui âgés de 12 et 15 ans.
« J'ai tout perdu », soupire Mimi. « Si vous allez dans mon village, vous verrez que tout a été brûlé. Je ne peux plus cultiver la terre. Et il n'y a pas que moi... nous avons tous connu ces choses. Nous avons beaucoup de veuves et d'orphelins ici ».
La quasi-totalité des 3 790 résidents enregistrés du camp d'Ichwa, et de nombreux autres camps disséminés dans l'État de Benue, sont des petits agriculteurs comme Mimi, contraints de s'installer ici à la suite de violents accaparements de terres.
Au cours de la dernière décennie, les conflits entre communautés ont fait d'innombrables victimes dans la luxuriante région centrale du Nigéria. Ils ont entraîné le déplacement d'environ un demi-million de personnes dans le seul État de Benue. Des tensions similaires se produisent dans toute la région du Sahel car le changement climatique perturbe les moyens de subsistance traditionnels et intensifie la concurrence pour les réserves d'eau et les terres productives qui s'amenuisent.
Un rapport (lien en anglais) publié aujourd'hui par le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, en collaboration avec des partenaires, examine les liens entre changement climatique, conflits et déplacements forcés. Il attire l'attention sur le fait que l'augmentation de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes peut aggraver ces tensions et affaiblir la cohésion sociale, alimentant ainsi les conflits et l'instabilité.
Par ailleurs, les phénomènes météorologiques extrêmes tels que les inondations et les sécheresses aggravent les risques auxquels sont confrontées les personnes déjà déplacées en raison des conflits et de la violence. Actuellement, environ 90 millions de personnes déplacées de force (lien en anglais) vivent dans des pays où l'exposition aux risques climatiques est élevée, voire extrême, et près de la moitié des personnes déracinées subissent à la fois les conséquences des conflits et les effets néfastes du changement climatique. Ce chiffre devrait augmenter au fur et à mesure que les risques climatiques s'intensifieront au cours des prochaines décennies.
Un nouveau défi
La majorité des éleveurs du Nigéria ont un mode de vie nomade, se déplaçant avec leurs troupeaux à la recherche de pâturages. Auparavant, ils parcouraient l'ensemble du pays, mais l'évolution dans la répartition des précipitations et la forte désertification ont poussé un nombre croissant d'entre eux vers le centre et le sud du Nigéria, où la croissance démographique et les fréquentes inondations ont réduit la quantité de terres disponibles pour le pâturage.
« Le changement climatique est un nouveau défi que nous ne connaissions pas il y a 20 ou 30 ans. Il a un impact réel sur nos vies », explique Ibrahim Galma, secrétaire de l'Association des éleveurs de bétail de Miyetti Allah (MACBAN), une association qui représente les intérêts des éleveurs de bétail au Nigéria. « Nos pâturages se sont asséchés et nos animaux ne peuvent plus y survivre. Cela oblige nos éleveurs à parcourir de longues distances et, depuis 2012, de graves tensions sont apparues. »
Le conflit et la perte des pâturages ont fait des ravages, explique Ibrahim. De nombreux membres de la MACBAN ont perdu leur bétail à cause de maladies contractées au cours de leurs longues migrations. Les bêtes qui ont survécu sont souvent trop mal nourries pour donner naissance à des veaux ou pour produire le lait dont les éleveuses dépendent pour gagner leur vie. Des éleveurs et leur bétail ont également été tués. « Les membres de la communauté étaient amicaux envers les éleveurs, mais ensuite ils ont commencé à voir des visages qu'ils n'avaient jamais vus auparavant, et ils sont devenus méfiants, ce qui a entraîné de graves violences ».
Il ajoute que les mesures de sécurité n'ont guère contribué à résoudre la crise. « La seule chose qui a fonctionné, c'est le dialogue. Le dialogue est la meilleure solution. Ensuite, il y a d'autres interventions possibles, comme la formation à la consolidation de la paix ou l'acquisition de compétences professionnelles. »
La MACBAN s'efforce de sensibiliser les éleveurs aux avantages de l'abandon de leur mode de vie nomade et de la pratique d'une agriculture intelligente sur le plan climatique leur permettant de faire pousser suffisamment d'herbe et de fourrage pour leurs animaux. « Si nous pouvions nous installer quelque part, nos enfants pourraient aller à l'école, nous pourrions voter, nous pourrions nous protéger », explique-t-il. « Mais nous avons besoin de terres, d'éducation et de meilleurs services de santé. »
Des conditions difficiles
Beatrice Shomkegh, collaboratrice de terrain du HCR à Makurdi, est d'accord avec Ibrahim sur la nécessité de s'engager davantage auprès des communautés d'éleveurs et d'agriculteurs. « La conversation doit se poursuivre. Nous devons évaluer et réévaluer ce que nous faisons de bien et ce que nous devons faire différemment. »
En attendant, le HCR travaille avec son partenaire local, la Fondation pour la justice, le développement et la paix, sur les questions d'assistance vitale, de protection de l'enfance, de violence sexiste ainsi que pour fournir des services psychologiques aux personnes déplacées comme Mimi qui font face à de nombreux traumatismes.
« Le fait qu'ils m'aient soutenue et formée m'a beaucoup aidée », déclare Mimi. « C'est très douloureux, mais il faut que je parle de ma vie. Cela atténue la douleur. »
Aujourd'hui, elle va d'abri en abri pour conseiller d'autres femmes et les encourager à parler de leur propre expérience. « Cette expérience m'a permis d'avoir un travail dont je ne pourrai jamais me séparer lorsque je retournerai dans ma communauté ».
Bien que le fait d'enseigner à l'école et de bénéficier d'un soutien psychologique l'ait aidée à gérer son traumatisme, la vie dans le camp reste extrêmement dure. Elle décrit le minuscule abri de fortune qu'elle partage avec ses deux fils comme « une cage » et raconte qu'elle a survécu de justesse à une morsure de serpent.
Selon Beatrice Shomkegh, le manque de fonds empêche le HCR de faire davantage pour améliorer ces conditions de vie, ou de mettre en place davantage d'initiatives pour venir en aide aux agriculteurs déplacés pour qu'ils trouvent de nouveaux moyens de subsistance, ainsi qu'aux éleveurs pour qu'ils puissent s'adapter à l'évolution du climat. La plupart des résidents d'Ichwa dépendent du travail occasionnel dans les fermes proches du camp pour se procurer un petit revenu. D'autres louent de petites parcelles de terre à proximité pour pouvoir cultiver, mais cela comporte des risques étant donné le climat de plus en plus imprévisible de la région, ainsi que l'insécurité qui y règne.
Vincent Ijebe et sa femme Jennifer ont emprunté de l'argent pour louer un demi-hectare de terre près de la rivière Benue afin d'y cultiver du riz. Ils ont emprunté davantage d'argent pour acheter des engrais et ont passé des heures par jour à faire le trajet depuis le camp pour s'occuper de leurs cultures. Ils prévoyaient de rembourser leur dette après avoir récolté le riz, mais un mois avant la récolte, de fortes pluies et le débordement d'un barrage en amont, au Cameroun, ont fait sortir la rivière de son lit et inondé leur champ. Ils n'ont pu sauver qu'une petite partie du riz.
« Je serai à nouveau obligé de travailler dans les fermes des autres », dit Vincent en plongeant la main dans les eaux de crue pour en extraire des poignées de plants de riz immatures. Il n'y aura pas d'argent pour payer l'école secondaire de son fils aîné en dehors du camp.
Mimi garde l'espoir de retourner un jour sur la terre de ses ancêtres. « Nous étions le grenier alimentaire du pays... J'étais vraiment fière », confie-t-elle. « Je continuerai à cultiver la terre, cela fait partie de ce que nous sommes ».
« Le changement climatique est un nouveau défi que nous ne connaissions pas il y a 20 ou 30 ans. »