Des réfugiés rohingyas empruntent une route maritime dangereuse vers l’Indonésie en quête de sécurité et de liberté
Des réfugiés rohingyas empruntent une route maritime dangereuse vers l’Indonésie en quête de sécurité et de liberté
Après que son mari a été tué par des inconnus dans le camp l’année dernière, ses parents l’ont convaincue de partir pour l’Indonésie.
« Mes parents m’ont dit : “Tu es triste, ta vie est brisée et tu ne peux pas travailler au Bangladesh”. Alors, ma mère a décidé que je devais partir », a-t-elle déclaré.
« Nous avons passé 45 jours dans le bateau. C’était difficile pour moi parce que j’étais enceinte. Pendant tout le temps que j’ai passé dans le bateau, je n’ai pas arrêté de prier : “Allah, sauve-moi” ».
Le bateau est finalement arrivé dans la province indonésienne d’Aceh il y a trois mois. Aujourd’hui, elle et son bébé de 10 jours s’abritent dans le sous-sol d’un bâtiment de la salle des congrès avec quelque 120 autres réfugiés rohingyas arrivés à la fin de l’année dernière.
Route meurtrière
Ils font partie des quelque 2000 réfugiés rohingyas, des femmes et des enfants pour la plupart, qui sont arrivés dans les provinces indonésiennes d’Aceh et de Sumatra Nord à bord de 13 bateaux depuis novembre 2023.
Plus tôt cette année, le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, a décrit ces voyages en mer comme étant parmi les plus meurtriers au monde, des estimations indiquant qu’un Rohingya sur huit ayant tenté le voyage est mort ou a été porté disparu en 2023. Dernière tragédie en date, un bateau transportant 151 réfugiés rohingyas a chaviré au large des côtes de l’ouest d’Aceh (lien en anglais) le 20 mars. Les opérations de sauvetage n’ont pu sauver que 75 d’entre eux.
Après avoir été témoin de l’assassinat de ses parents et de ses frères et sœurs au Myanmar six ans plus tôt, Sofia, âgée de 33 ans et mère de six enfants, a déclaré qu’elle et son mari avaient décidé de quitter le Bangladesh à cause de l’insécurité croissante et du manque de possibilités d’éducation dans les camps. « Je pensais que l’avenir de mes enfants risquait d’être ruiné là-bas, alors nous avons décidé de prendre le bateau. »
Avant le départ, les passeurs ont rassemblé des centaines de personnes dans les bois, puis les ont fait monter dans plusieurs bateaux. Celui de Sofia est resté en mer pendant 16 jours.
« Le cinquième jour, nous avons manqué de nourriture et d’eau », a-t-elle déclaré. « Et puis une femme est morte. Nous avons tous prié pour elle en suivant les rituels de l’islam, puis nous avons jeté son corps à la mer. Pendant 10 jours, il n’y avait pas assez d’eau potable, alors les enfants ont bu de l’eau de mer que nous avons mélangée à du citron. »
Elle voyageait avec cinq de ses enfants et chacun d’eux est tombé malade pendant le voyage. Depuis, ils se sont tous rétablis trois mois après leur arrivée à Aceh, où ils sont hébergés avec 130 autres réfugiés rohingyas sur le site de Kulam Batee, près de la plage de Pidie.
Les conditions de vie dans le camp d’Aceh sont difficiles, le camp est surpeuplé et les réfugiés vivent dans des tentes communes ouvertes qui offrent peu de protection contre les éléments. Récemment, le plus jeune enfant de Sofia s’est évanoui à cause de la chaleur. « Il y avait de l’écume qui sortait de sa bouche ; j’ai cru qu’elle était morte », a raconté Sofia.
Son vœu le plus cher à présent est de retrouver son fils aîné, Shofiuddin, qui est arrivé en Indonésie il y a plusieurs années avec un membre de sa famille. Âgé de 15 ans aujourd’hui, il est scolarisé à Medan, capitale de la province de Sumatra Nord.
Sohidul, 24 ans, qui séjourne aussi dans le sous-sol de la salle des congrès, venait d’obtenir un emploi d’enseignant d’anglais dans l’un des centres d’apprentissage du camp au Bangladesh lorsqu’une série d’enlèvements contre rançon l’a poussé à monter à bord d’un bateau. « S’ils m’attrapent, ils voudront de l’argent, et je n’en ai pas », a-t-il expliqué. « Si ma famille ne paie pas, ils me tueront. C’est pour ça que je suis parti, parce que j’ai peur. »
« Le cinquième jour, nous avons manqué de nourriture et d’eau. »
Les réfugiés ont reçu un accueil mitigé après leur arrivée en Indonésie. La population a empêché certains bateaux d’accoster, une réaction fortement influencée par une campagne en ligne de désinformation et de discours haineux contre les Rohingyas.
Malgré cela, de nombreux habitants d’Aceh continuent de faire preuve de solidarité à leur égard et de les soutenir. Sur le site de la salle des congrès, la population locale apporte souvent de la nourriture, des vêtements et d’autres dons pour les réfugiés, tandis que leurs besoins essentiels sont couverts par le HCR et ses partenaires.
« Je suis reconnaissante envers le peuple indonésien », a déclaré Jannatara. « Quand j’étais enceinte, tout le monde m’aidait à l’hôpital. Maintenant, ils m’ont aussi donné un matelas pour le bébé, des vêtements et des soins médicaux. »
Lorsque Sofia et sa famille ont atterri à Kulam Batee, les habitants leur ont donné du savon, du shampoing, de l’eau potable et des vêtements.
« Les réfugiés rohingyas ne nous sont pas étrangers, nous savons qu’ils ne sont pas reconnus comme citoyens dans leur pays d’origine, et c’est pour ça qu’ils viennent ici à la recherche d’une nouvelle vie qui soit décente pour eux et leur famille », a déclaré un villageois de Kulam Batee qui a souhaité garder l’anonymat. « Parfois, nous leur apportons des fruits et du poisson parce qu’ils ne peuvent pas manger du riz tout le temps. »
« Mais nous ne pouvons les accueillir et les aider que temporairement », a-t-il ajouté.
Soutien du HCR
Travailler avec les autorités (lien en anglais) pour trouver un hébergement à plus long terme pour les réfugiés est l’une des priorités les plus urgentes du HCR, car cela permettra à l’organisation d’optimiser la protection du groupe. Le HCR traite également les demandes d’asile au nom du gouvernement indonésien, trouve des personnes pour s’occuper des enfants rohingyas qui sont arrivés seuls, sans membres de leur famille, et offre des conseils aux réfugiés qui ont été victimes d’exploitation sexuelle, d’abus ou d’autres formes de mauvais traitements. Il est urgent d’obtenir davantage de fonds pour faire face à l’arrivée probable d’un plus grand nombre de bateaux et s’attaquer aux causes profondes qui poussent les réfugiés rohingyas à quitter le Bangladesh et les empêchent de retourner au Myanmar.
Sohidul rêve toujours d’un avenir meilleur, « parce que tout le monde veut réussir dans la vie, alors je veux ça aussi. Je vais essayer d’être graphiste. »
Les espoirs de Sofia portent surtout sur ses enfants. « Je sais que je ne peux pas rester en Indonésie de façon permanente, mais j’espère qu’un autre pays nous accueillera... Je n’ai pas de préférence, tant qu’ils nous permettent de vivre en paix. »