Allocution prononcée par M. Félix Schnyder, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, devant l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe
Allocution prononcée par M. Félix Schnyder, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, devant l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe
Le 27 septembre 1961
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui de vous présenter de vive voix le neuvième rapport sur les activités du Haut Commissariat et de vous parler des problèmes de réfugiés qui, pour la plupart, sont intimement liés à l'évolution de l'Europe.
Il ne s'agit pas en effet d'un seul et unique problème mais d'une série complexe de problèmes ayant ceci en commun qu'ils sont tous une source de misère, de souffrance et d'instabilité sociale.
C'est en Europe qu'ils ont pris corps et que la Communauté internationale a pris conscience de leur existence et des obligations qui en découlent pour elle, qu'il me suffise d'évoquer l'oeuvre accomplie par Fridtjof Nansen et par les organisations qui la continuèrent après sa mort en 1930, C'est également en Europe que s'est développée la notion de statut des réfugiés et que des milliers d'entre eux ont été généreusement accueillis et c'est encore là qu'a pris naissance l'idée de l'Année Mondiale du réfugié qui a provoqué dans le monde entier un intérêt accru pour le sort de ces déshérités.
Si, grâce aux résultats de cette Année Mondiale, une grande étape a été franchie, nous ne sommes cependant pas encore au bout de nos peines car avant même d'avoir pu résoudre de manière définitive les problèmes de réfugiés qui se sont posés au lendemain de la deuxième guerre mondiale, nous voyons déjà surgir en d'autre parties du monde de nouveaux problèmes qui troublent l'harmonie et dont, j'en suis certain, l'Europe ne peut se désintéresser.
La sphère d'activité du Haut Commissariat peut donc se diviser en deux grands secteurs :
d'une part, celui des problèmes classiques posés par les réfugiés relevant de son mandat. Ils sont au nombre d'environ 1.35.000 dont quelque 850.000 ont trouvé asile dans les pays membres du Conseil de l'Europe ;
d'autre part, les problèmes posés par les nouveaux réfugiés depuis la fin de la deuxième guerre mondiale et plus spécialement pendant ces dernières années. Ces problèmes. Dont l'apparition est liée aux modifications de structure intervenues notamment en Afrique et en Asie, concernent des centaines de milliers d'êtres humains qui ont dû abandonner leurs foyers et dont la plupart se trouvent dans le dénuement le plus complet.
Avant de faire le point de la situation des réfugiés relevant de mon mandat, j'aimerais vous parler brièvement des problèmes posés par les nouveaux réfugiés et des mesures prises pour leur venir en aide.
Il s'agit pour la plupart de réfugiés au sent le plus large du terme, de personnes souvent arrachées à leurs foyers pour des raisons tout à fait indépendantes de leur volonté. En exemple, je citerai, en Europe même, les réfugiés nationaux, qui sont du ressort du représentant spécial ; en Asie, les personnes de souche hindoue qui ont été transférées en Inde lors de la création des deux Etats indépendants de l'Inde et du Pakistan et, par la suit, les réfugiés coréens, les réfugiés chinois à Hong Kong, les Tibétains en Afrique, les réfugiés angolais au Congo.
Etant donné la structure politique, économique et sociale de la plupart des régions où se trouvent ces réfugiés, il serait difficile ou même illusoire d'appliquer purement et simplement des définitions conçues en fonction du problème tel qu'il se présentait en Europe au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Nombreuses sont les situations où il faut parer au plus pressé et, par la distribution de vivres et une aide médicale immédiate, assurer la survie d'un réfugié d'être humains en détresse.
Dès 1957, l'Assemblée générale s'était penchée sur le sort de ces réfugiés qui, pour des raisons d'ordre juridique, semblaient être relégués au deuxième plan et échappaient à l'attention de la Communauté internationale. Pour pallier cette carence, l'Assemblée générale autorisa d'abord le Haut Commissaire à recevoir des contributions destinées à l'aide aux réfugiés chinois à Hong Kong. Grâce à l'Année Mondiale, la connaissance des nouveaux problèmes s'est répandue dans le monde entier et a pénétré de nombreuses couches de la populations. Sur le plan gouvernemental également, on en a pris conscience et c'est ainsi que l'Assemblée générale a été amenée à étendre à toutes les nouvelles catégories de réfugiés la mission de bons offices qu'elle avait confiée au Haut Commissaire. Ceci ne veut pas dire que le Haut Commissaire Puisse ou douve intervenir chaque fois qu'un nouveau problème fait son apparition. Instrument de la communauté internationale, il a la double obligation d'améliorer, dans le cadre des moyens dont il peut disposer, le sort des réfugiés qui sont à sa charge et de servir la Communauté au mieux de ses intérêts.
En vertu d'une résolution adoptée par l'Assemblée générale, à sa dernière session, tout gouvernement qui doit faire face à un nouveau problème de réfugiés sur son territoire peur recueillir l'avis du Haut Commissaire et solliciter son assistance. Dans les cas qui se sont présentés jusqu'à présent, il s'agissait en premier lieu de suppléer à l'aide déjà fournie par les autorités locales ou par des organisations de secours. Dans ce domaine, le caractère humanitaire du mandat du Haut Commissaire prend toute son importance, d'autant plus que si chaque membre de la Communauté internationale est assuré de la nature apolitique de l'intervention du Haut Commissaire prend toute son importance, d'autant plus que si chaque membre de la Communauté internationale est assuré de la nature apolitique de l'intervention du Haut Commissaire, il sera d'autant plus enclin à apporter sa contribution.
Si grâce à l'Année Mondiale le sort d'un certain nombre de ces réfugiés a été amélioré - je pense notamment aux chinois, aux Tibétains se trouvant au Népal - leur très grand nombre pose à lui seul des problèmes dont la solution n'est pas encore en vue.
Je n'ignore pas tout l'intérêt que le Conseil de l'Europe porte à ces problèmes dont mon bureau suit de très près l'évolution prises pour contribuer à les résoudre.
Passons maintenant à la situation des réfugiés relevant de mon mandat qui ont encore besoin d'une aide internationale et que nous sommes convenus d'appeler « anciens réfugiés » - terme bien approprié, il me semble, puisqu'il désigne des personnes qui, souvent, n'ont connu d'autre vie que celle de l'exil, certains depuis leur jeunesse et d'autres même dès leur naissance.
Nous atteignons actuellement la phase finale des grands programmes qui ont permis, ces six dernières années, de secourir près de 100.000 réfugiés moyennant une mise de fonds de 72.000.000 de dollars, dont 31.000.000 proviennent de source internationale et 41.000.000 ont été recueillis à titre de contrepartie au sein des pays d'accueil.
La fermeture des camps, assurée maintenant sur le plan financier grâce à l'Année Mondiale, exigera encore un très sérieux effort, tant de notre part que de celle des organisations bénévoles et des autorités locales chargées de l'exécution des projets, parmi lesquels, le logement occupe une place prépondérante.
Mais ce sont les réfugiés physiquement et socialement handicapés qui constituent aujourd'hui le problème le plus grave et le plus angoissant. Si leur nombre est relativement peu élevé, la nature de leurs problèmes toutefois est particulièrement complexe, d'autant plus qu'ils ont vécu de nombreuses années dans des conditions précaires. Qu'il s'agisse de physiquement diminués, de vieillards, de familles nombreuses privées du chef de famille, ou encore de réfugiés qui ont perdu toute résistance morale par suite d'un trop long séjour dans les camps, des solutions individuelles s'imposent. Aussi, le Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire a-t-il autorisé la mise en oeuvre de projets spéciaux comportant toute une gamme de formes d'assistance répondant à un principe qui m'est particulièrement cher : « aider le réfugié à s'aider lui-même » - meilleur moyen d'aider l'homme à conserver sa dignité humaine.
A cette fin, un réseau d'assistantes sociales et de conseillers spécialisés a été organisé dans les pays où se trouve le plus grand nombre de réfugiés handicapés, afin de déterminer leurs besoins et de les aider à choisir la solution permanente la plus appropriée, partant de l'idée que tout réfugié relevant du mandat doit avoir la liberté de choix entre les trois types de solutions qui lui sont offertes : le rapatriement librement consenti, la réinstallation par voie d'émigration et l'intégration sur place. Grâce à cette méthode, un certain nombre de réfugiés handicapés peuvent trouver eux-mêmes la voie qui mène à une nouvelle existence. Il suffit parfois de les mettre en contact avec une mission de sélection, de leur procurer tel ou tel emploi qu'ils pourraient remplir malgré leur handicap, ou bien encore de leur faire suivre un cours de formation professionnelle approprié qui leur permette d'exercer un métier.
Une partie des handicapés réussira donc à s'intégrer - nous en connaissons déjà de nombreux exemples. Mais les vieillards, les malades, les infirmes, les mal adaptés par contre, que doivent - ils devenir ? Eh bien, pour eux aussi des solutions existent plus onéreuses et plus complexes il est vrai.
En effet, depuis de nombreuses années déjà, ils ont trouvé un accueil hospitalier notamment dans les pays scandinaves, en Belgique, en France et en Suisse. En Autriche, en Allemagne et en Italie, des dispositions spéciales ont été prises pour l'établissement sur place de ceux qui ne peuvent émigrer ailleurs. L'Angleterre, elle aussi, a depuis ces dernières années facilité l'admission de certaines catégories d'handicapés. D'autres pays européens tels la Grèce, l'Irlande, le Luxembourg, la Principauté de Monaco, l'Islande et la Turquie ont eux aussi apporté leur contribution.
Grâce aux méthodes modernes de réadaptation physique et mentale, beaucoup de ces réfugiés qui, il y a 10 ou 15 ans, auraient été condamnés à l'inactivité pour le restant de leurs jours peuvent être guéris, apprendre un nouveau métier et redevenir un élément constructif pour le pays qui leur a ouvert ses portes. Pour illustrer cette évolution, je rappellerai que le placement dans des « homes », qui était assez généralisé à l'origine, a été suivi d'un nouveau type de solution mieux adapté aux besoins individuels des handicapés. Cette formule qui a été appliquée avec succès, notamment en Autriche et en Allemagne, comporte l'octroi de logements individuels où les réfugiés ont la possibilité de prendre leurs repas en commun et bénéficient d'une surveillance médicale et d'une assistance sociale. Afin de permettre aux réfugiés sérieusement handicapés de regagner une certaine indépendance, nous avons créé par la suite un nouveau type de projets qui s'inspirent des centres de réadaptation pour diminués physiques, et des ateliers protégés qui fonctionnent déjà de manière satisfaisante en France. Le but de ces projets est, d'une part, de donner au réfugié une formation professionnelle adaptée à sa condition physique et, d'autre part, de procurer à ceux dont le rendement économique est trop faible, un moyen honorable de subvenir à leur entretien tout en se rendant utiles à la communauté.
Ainsi que Monsieur Selvik, rapporteur de la Commission de la Population, a bien voulu le signaler dans son rapport, nous étudions la mise en oeuvre d'une projet spécial en vue de la création à Stuttgart d'un atelier protégé où pourraient être reçus quelque 60 réfugiés handicapés. Nous examinons également la possibilité d'un projet semblable à San Antonio, dans la province de Salerne en Italie, projet qui devrait permettre d'héberger et de procurer du travail à environ 150 réfugiés handicapés qui ne peuvent émigrer ailleurs.
Je suis particulièrement reconnaissant à la Commission de la Population de l'intérêt qu'elle a bien voulu manifester pour les deux projets dont la réalisation constituera une nouvelle étape vers la solution du problème des anciens réfugiés.
L'exemple des pays européens a d'ailleurs été suivi outre mer. Car, et c'est là encore une des heureuses conséquences de l'Année Mondiale, plusieurs pays d'immigration dont la réglementation trop stricte mettait un frein à l'admission des handicapés ont, depuis ces dernières années, libéralisé leurs critères de sélection. En pratiquant une politique plus souple à leur égard, ils accélèrent la solution du problème, contribuent à alléger la tâche des pays de premier asile, et renforcent ainsi la coopération internationale si nécessaire pour atteindre nos objectifs.
L'émigration étant devenue une solution valable pour la plupart des réfugiés, on peut espérer que le problème posé par l'afflux, actuellement limité d'ailleurs, de réfugiés en Europe se résorbera au fur et à mesure de leur arrivée, moyennant une attention vigilante, une action aussi rapide que possible et une compréhension toujours aussi bienveillante de la part des pays d'accueil.
Je vous ai parlé du principal problème d'ordre matériel qui se pose encore pour les « anciens » réfugiés. J'espère dans un proche avenir achever un plan d'ensemble précisant le nombre de personnes ayant encore besoin de secours, le laps de temps nécessaire pour régler leurs problèmes et les charges financières qui en découleront. Ce plan devra permettre de résoudre à titre définitif les problèmes des anciens réfugiés et de mettre un terme aux programmes d'assistance.
Il me reste à vous parler, Monsieur le Président, de la tâche fondamentale de mon bureau, la protection juridique qui, vous le savez, s'étend à tous les réfugiés qui relèvent de mon mandat. L'objectif de cette tâche, je le rappelle, est de sauvegarder les droits et intérêts légitimes des réfugiés et de les aider à cesser d'être des réfugiés.
Dans ce domaine aussi, des progrès considérables ont été réalisés grâce à une compréhension croissante de la situation juridique complexe des réfugiés et grâce à l'ambiance favorable créée par l'Année Mondiale. Ainsi, la Grande Charte des réfugiés, c'est-à-dire la Convention de 1951 relative à leur statut a recueilli depuis 1959 trois nouvelles adhésions et, au moment de quitter Genève, on m'apprenait que trois nouvelles ratifications étaient attendues d'un jour à l'autre, portant à 230 le nombre de parties contractantes.
Dans les législations nationales également, des dispositions favorables ont été adoptées à l'égard des réfugiés notamment dans les pays membres du Conseil de l'Europe, auxquels je me plais à rendre hommage pour l'appui aussi spontané qu'efficace qu'ils apportent à mon activité. Sur le plan européen, de nouvelles mesures ont été prises à l'intention des réfugiés relevant de mon mandat dont je citerai en exemple : l'entrée en vigueur de l'arrangement de 1957 concernant les marins réfugiés, la mention des réfugiés dans la Charte sociale européenne, l'initiative prise par la Commission de la Population pour faciliter aux réfugiés médecins et dentistes l'exercice de leur profession et les recommandations de l'Organisation de Coopération Economique Européenne concernant la libre circulation des travailleurs réfugiés.
Si ces mesures en elles-mêmes ne donnent pas à l'intégration des réfugiés un caractère final, elles témoignent néanmoins d'un nouvel essor vers une solution définitive des problèmes résiduels posés par les quelque 850.000 réfugiés qui ont trouvé une nouvelle patrie dans un des pays membres du Conseil.
Mais qui sont ces réfugiés dont le nombre en Europe reste toujours élevé ? Des centaines de milliers d'entre eux ont déjà quitté leur pays depuis plus de 20 ou 30 ans, la majorité des autres sont ici depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. C'est donc vous dire que sur le plan économique et financier ils ont bénéficié de l'aide internationale prodiguée depuis la création de la société des Nations. Comme les autres habitants des pays où ils résident, ils ont connu des hauts et des bas, et certains d'entre eux auraient péri de misère sans l'aide conjuguée de leurs pays de résidence et de la communauté internationale. Nombreux aussi parmi eux sont ceux qui, grâce à nos programmes d'assistance arrivent peu à peu à subvenir à leurs besoins et à se créer à nouveau une existence indépendante. Leur situation actuelle est favorable mais un dernier pas reste à franchir : les mettre sur un pied d'égalité avec les ressortissants de leur pays de résidence afin de les aider effectivement à cesser d'être des réfugiés.
Sur le plan national, j'espère que je pourrai continuer à compter sur l'appui des autorités pour faciliter la naturalisation des réfugiés qui en font la demande. Il s'agit là toutefois d'un processus relativement lent qui devra s'étendre sur de nombreuses années. Sur le plan européen, par contre, des résultats pourraient être acquis à plus brève échéance si les Etats membres convenaient d'accorder aux réfugiés résidant régulièrement sur leurs territoires les mêmes avantages qu'ils accordent déjà aux ressortissants des autres pays membres. Ce serait un moyen de donner aux réfugiés l'occasion de participer, eux aussi, à l'intégration européenne.
Le projet de résolution que le rapporteur de la Commission de la Population, Monsieur Gram, a bien voulu présenter à l'Assemblée Consultative, à ce sujet répond très exactement à nos préoccupations et à nos objectifs dans ce domaine et j'aimerais l'en remercier.
Le Conseil de l'Europe a déjà adopté plusieurs mesures en ce sens. Je citerai en exemple les protocoles annexés aux conventions de sécurité sociale du Conseil de l'Europe, qui visent particulièrement les réfugiés. Je crois que de nouvelles mesures semblables, permettant d'associer plus étroitement les réfugiés à l'intégration européenne, constitueront un facteur constructif qui permettra à la communauté européenne d'accélérer la solution des problèmes des réfugiés, tout en tirant en même temps le meilleur parti de la contribution que ceux-ci peuvent apporter à l'Europe.
Pour terminer, Monsieur le Président, j'aimerais remercier la Commission de la Population et son éminent Président, le docteur Paul, ainsi que le Représentant spécial, M. pierre Schneiter, le Secrétaire général et leurs collaborateurs, de leur appui et de leur attachement à notre cause commune. Enfin, Monsieur le Président permettez-moi également de remercier tous les membres de cette Assemblée ainsi que vous-même pour le profond intérêt que vous n'avez jamais cessé de manifester pour le problème des réfugiés.