Des demandeurs d'asile et des migrants éthiopiens bloqués dans une ville portuaire de Somalie
Des demandeurs d'asile et des migrants éthiopiens bloqués dans une ville portuaire de Somalie
BOSSASSO, Somalie, 17 février (UNHCR) - Embourbés dans une pauvreté sans nom en Ethiopie, les parents de Fatouma Omar ont misé gros : ils ont emprunté de l'argent à des amis pour payer, à leur fille adolescente, un voyage très risqué. Ils espèrent qu'elle atteindra l'Arabie saoudite et y trouvera un travail illégal lui permettant de gagner suffisamment bien sa vie.
Voyageant par camion et à pied, exposés tout le long du périple au danger d'être volés ou agressés sexuellement, Fatouma, une jeune fille de 18 ans, et l'un de ses amis ont quitté leur village, dans une région pauvre d'Ethiopie, pour se rendre à Bossasso, ville portuaire très affairée de Somalie.
Une fois sur place, son compagnon de voyage a utilisé tout l'argent qui leur restait pour payer la traversée du Golfe d'Aden vers le Yémen à bord d'un bateau de trafiquants, à l'image de milliers d'autres personnes chaque année. Bien que le montant ne s'élève qu'à 33 dollars, cette somme est plus importante qu'ils ne l'avaient prévu.
« Il n'y avait pas assez d'argent pour deux personnes », explique Fatouma en ajustant son foulard rouge sur sa tête. Elle a été terrifiée en constatant combien les bateaux étaient petits et dangereux et en entendant le récit des nombreuses morts par noyade survenues pendant les tentatives de traversée du golfe d'Aden.
« Je n'envisage pas d'aller en Arabie saoudite car la mer est trop dangereuse, mais j'ai peur de rentrer en Ethiopie parce que j'ai emprunté de l'argent à des gens », dit-elle calmement. « Mes parents pensent que je suis en Arabie saoudite ou que je suis morte. »
L'histoire de Fatouma s'endettant pour financer un voyage risqué est loin d'être un cas isolé. Elle fait partie des quelque 3 à 6 000 Ethiopiens bloqués à Bossasso et incapables de poursuivre leur périple ou de rentrer chez eux.
Beaucoup de ceux qui veulent embarquer sur les bateaux clandestins emmenant réfugiés et migrants vers le Yémen (point de départ vers l'Arabie saoudite pour les migrants économiques) se font voler ou duper en cours de route. Ils tentent alors de trouver des petits boulots dans le port affairé de Bossasso pour réunir à nouveau de quoi payer les trafiquants.
D'autres, en nombre croissant, fuient l'Ethiopie pour des raisons politiques, craignant d'être persécutés. Mais, une fois arrivés à Bossasso, une ville de quelque 200 000 habitants, ils n'ont aucune possibilité de déposer une demande d'asile, procédure que l'agence des Nations Unies pour les réfugiés ne mène, pour le moment qu'à Hargeisa dans le nord-ouest de la Somalie (le « Somaliland »).
« Pourquoi ces gens ont-ils décidé de quitter leur pays et de venir dans un endroit privé de gouvernement ? » s'interroge le maire Khadar Abdi Haji. Il fait en cela référence à l'absence de gouvernement national fonctionnant normalement en Somalie, dont le Puntland est une région indépendante autoproclamée. L'afflux d'Ethiopiens, ajoute le maire, est un fardeau pour cette ville poussiéreuse qui ne dispose que de services municipaux limités.
Les agences d'aide locales et internationales interviennent pour combler ce vide. Le Fonds international de secours à l'enfance des Nations Unies (UNICEF) finance une clinique disposant de services de maternité et de pédiatrie pour qu'elle prenne en charge les Ethiopiens nécessitant des soins médicaux.
Par ailleurs, le Programme alimentaire mondial, la Somali Reunification Women's Union, une organisation non gouvernementale locale, le Conseil danois pour les réfugiés et l'UNHCR ont décidé de faire équipe pour fournir deux repas par jour aux Ethiopiens « bloqués » sur place.
« Ce programme alimentaire est mon unique source de subsistance », explique Tadesse Desta, un Ethiopien dont les espoirs de partir à bord d'un des bateaux clandestins se sont envolés lorsqu'il s'est fait dérobé tout son argent en cours de route.
Les choses ne se sont pas passées comme prévues. Les trafiquants d'êtres humains disposent d'un réseau bien rôdé qui recrute des clients dans le sud de la Somalie, zone plongée dans l'anarchie, et en Ethiopie. Ils les tentent en leur faisant croire qu'une fois à l'étranger ils seront riches ou en sécurité. Ils les emmènent ensuite vers la mer, par bus ou par camion.
« Ils disent que c'est très facile de traverser vers le Yémen et l'Arabie saoudite », raconte Fatouma Ali, âgée de 21 ans, dont le visage et le comportement innocents ne laissent en rien présager de la volonté de fer qu'il lui a fallu pour venir de si loin. Ayant dépensé tout son argent, elle est bloquée à Bossasso depuis six mois, incapable même de rassembler assez d'argent pour rentrer chez elle.
Evoquant sa vie dans les rues de Bossasso, elle dit simplement : « Les femmes ont des problèmes ». Quelques-unes tombent dans la prostitution, monnayant leurs services pour des sommes de l'ordre de 13 centimes de dollar.
L'Organisation internationale pour les migrations cherche maintenant à financer un rapatriement humanitaire pour ramener chez eux les Ethiopiens qui veulent rentrer.
Une sorte de fatalisme, combiné au désespoir né de la violence, de la pauvreté et de la sécheresse grandissante dans la corne de l'Afrique, alimente la clientèle des passeurs. Miliyar, un Ethiopien âgé de 22 ans, marche le long de la route au sud de Bossasso. Il cherche un bateau et dit en anglais : « En quittant mon pays, j'ai pensé à deux choses : je mourrai ou j'aurai une vie meilleure. »
S'ils atteignent le Yémen, les Somaliens se voient automatiquement accorder le statut de réfugié. Beaucoup fuient en effet le conflit violent mais tous ne demandent pas l'asile. Les Ethiopiens ne sont pas automatiquement considérés comme réfugiés, mais peuvent obtenir que leur cas soit étudié sur une base individuelle. Il y a actuellement plus de 80 000 réfugiés enregistrés au Yémen, dont 75 000 sont somaliens. On estime que des centaines de milliers d'autres se trouvent dans le pays. Beaucoup arrivent par la mer et poursuivent leur route depuis le Yémen en direction du nord, pour trouver du travail au Moyen-Orient.
Les autorités de Bossasso et du Puntland insistent sur le fait qu'elles n'ont pas suffisamment d'effectifs ou d'équipements pour combattre les passeurs. Les mettre sous les verrous ne décourage même pas les clients, insiste Khadar Abdi Haji, le maire de Bossasso.
« Si nous disons aux Ethiopiens que le bateau se trouve à 100 kilomètres d'ici, ils s'y rendront à pied et attendront que les passeurs sortent de prison », ajoute-t-il.
La situation risque de se compliquer encore avec le nombre d'Ethiopiens pouvant avoir besoin de recevoir l'asile politique après la crise post-électorale de l'année dernière.
« Nous avons besoin d'une aide extérieure pour s'occuper d'eux », indique le colonel Aidid Ahmen Nour, commissaire divisionnaire de police. « Si nous capturons toutes ces personnes et les renvoyons, elles peuvent être tuées ou connaître des problèmes d'ordre politique. Nous ne pouvons pas les expulser et nous ne pouvons les garder ici. »
Il insiste sur le fait que le Puntland serait disposé à leur offrir l'asile si la communauté internationale l'aide. « Si vous nous aidez, nous pourrons garder ces réfugiés », ajoute-t-il. « Nous pouvons leur garantir de vivre en paix et empêcher quiconque de leur faire du mal. »
En fait, « l'UNHCR travaille avec les autorités locales compétentes pour commencer la détermination de statut de réfugié dans le Puntland, évitant aux réfugiés d'avoir à se rendre à Hargeisa », dit Guillermo Bettocchi, délégué de l'UNHCR pour la Somalie basé à Nairobi.
Jemal, un élève éthiopien âgé de 27 ans, dit avoir activement participé au mouvement d'opposition en Ethiopie et vu nombre de ses amis jetés en prison. Il a fui son pays d'origine sur les conseils de son père, qui est médecin en Europe. Il s'inquiète d'avoir à se rendre à Hargeisa, craignant la présence d'agents de sécurité éthiopiens dans la ville mais souhaite demander le statut de réfugié. Pour le moment, il fait partie des milliers de personnes bloquées à Bossasso.
« Je fais toujours le mauvais choix », dit-il avec résignation. « Rentrer en Ethiopie et être envoyé en prison, ou prendre le risque de partir en mer et de mourir, ou encore rester ici et espérer que ma famille continuera à m'envoyer de l'argent. »
« Nous espérons pouvoir bientôt aider ces Ethiopiens au Puntland qui, à l'instar de Jemal, fuient la persécution », ajoute Guillermo Bettocchi.
En attendant, l'UNHCR continuera à travailler étroitement avec les agences humanitaires locales et internationales et avec les autorités du Puntland et de Bossasso, « pour essayer de répondre aux besoins humanitaires les plus élémentaires des migrants et des demandeurs d'asile », affirme-t-il, « et pour tenter de mettre fin à ces mouvements dramatiques de populations ».
Par Kitty McKinsey à Bossasso