Le combat d'une mère contribue à l'émergence d'un mouvement national pour la citoyenneté au Népal
Le combat d'une mère contribue à l'émergence d'un mouvement national pour la citoyenneté au Népal
Le fait que Deepti éprouve régulièrement une telle joie de vivre est en contradiction avec la lutte qu'elle mène depuis tant d'années pour obtenir l'égalité des droits civiques pour les femmes et le droit à une identité légale pour tous au Népal. Ce combat a commencé au sein de son foyer pour ses filles, Neha et Nikita, dont le père a abandonné la famille alors qu'elles étaient encore très jeunes.
« J'ai commencé tout cela uniquement parce que j'étais la mère de deux filles », explique Deepti lors d'une matinée humide dans le bureau de son organisation, le réseau CAPN (Citizenship Affected People's Network), à Katmandou. La question qui l'animait était d'ordre personnel : « Comment mon pays peut-il priver mes enfants de leurs droits ? » Mais la réponse allait s'avérer compliquée.
Des personnes invisibles
En vertu de la législation népalaise, les enfants ne peuvent pas hériter de la citoyenneté de leur mère, ce qui signifie que Neha et Nikita n'avaient pas d'identité légale et qu'elles n'avaient donc pas de nationalité. Ceci les empêchait d'accéder aux droits et aux services de base, tels que l'enseignement supérieur ou l'emploi formel, l'ouverture d'un compte bancaire, l'obtention d'un passeport ou même d'une carte SIM. « Les personnes qui n'ont pas de nationalité sont invisibles », affirme Deepti. « La citoyenneté est la porte d'accès à tous les services ».
Même s'ils vivent dans leur propre pays et n'ont jamais été contraints de fuir leur domicile ou de franchir une frontière, les personnes dépourvues d'identité légale sont du ressort du HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, qui a pour mission de prévenir et de combattre l'apatridie et de défendre les intérêts des apatrides à travers le monde. En reconnaissance de son combat obstiné pour la reconnaissance de l'identité légale et l'égalité des sexes au Népal, Deepti a été désignée lauréate régionale pour l'Asie de la distinction Nansen pour les réfugiés décernée par le HCR en 2024.
Deepti travaillait dans l'industrie du tourisme dans la vallée de Pokhara au Népal, une étape populaire pour les randonnées dans l'Himalaya. Elle vivait heureuse avec ses deux filles dans un foyer très uni composé uniquement de femmes. En 2009, elle a renoué des liens avec un vieil ami d'enfance, Diwakar Chettri, qu'elle a épousé. Il s'est joint à la famille et les filles l'ont rapidement appelé « baba », ou père. « La vie était belle », se souvient Deepti.
Un jour, Neha, la fille de Deepti, aujourd'hui âgée de 27 ans, est revenue de l'école désemparée. N'ayant pas pu fournir son certificat de citoyenneté, elle n'avait pas été autorisée à passer l'examen d'entrée à l'école secondaire. En plaidant la cause de sa fille au bureau du gouvernement local, Deepti a dû faire face à des interrogatoires dégradants de la part d'une série de fonctionnaires masculins. Ils se sont moqués d'elle, l'ont traitée de « mère vierge », ont mis en doute sa moralité et la légitimité de ses enfants en raison de l'absence de leur père biologique. « C'était très douloureux. Ils me mettaient à nu avec leurs mots », raconte Deepti.
Ce n'est qu'à ce moment-là qu'elle a compris que la citoyenneté de ses filles - et donc leur avenir - dépendait d'un père absent et peu fiable, un homme qui était parti des années auparavant en coupant tout lien, qui n'avait plus rien à voir avec la famille et dont on ne savait pas où il se trouvait.
Le début du combat
Cette humiliante prise de conscience a été l'élément déclencheur du militantisme de Deepti. Se sentant perdue et isolée, elle a créé en 2012 un groupe Facebook intitulé « Citoyenneté au nom de la mère ». Un élan s'est rapidement créé et elle a été présentée à une avocate, Meera Dhungana, du Forum pour les femmes, le droit et le développement (FWLD), une organisation non gouvernementale népalaise bien établie et respectée, qui a accepté de porter l'affaire des filles de Deepti devant les tribunaux. Le FWLD, partenaire du HCR au Népal, fait depuis longtemps campagne pour l'égalité des sexes, et notamment pour le droit des femmes à transmettre leur nationalité à leurs enfants.
Au même moment, le Népal était engagé dans un processus de révision constitutionnelle et Deepti et le FWLD ont saisi l'occasion. Ils ne chercheraient pas seulement à obtenir la citoyenneté individuelle pour Neha et Nikita, mais un changement plus large de la loi pour permettre aux femmes de transmettre leur nationalité à leurs enfants de la même manière que les hommes.
Cinq années de lutte s'en sont suivies, qui ont nécessité détermination, patience et obstination. Il y a eu des heures et des jours d'attente dans une succession de bureaux gouvernementaux pour s'entendre dire de revenir le lendemain, des visites répétées auprès de nombreux fonctionnaires, des audiences au tribunal, des pétitions, des réunions et des manifestations. Deepti a abandonné son emploi dans le tourisme et a concentré tous ses efforts sur la lutte contre l'apatridie.
En 2017, sa détermination a porté ses fruits lorsque Neha et Nikita ont obtenu la citoyenneté à la suite d'une décision de justice. « Lorsque nous avons enfin reçu le verdict de la Cour suprême, j'ai appelé [mes filles]. Nous étions à trois endroits différents, mais toutes en train de sauter, de crier et de pleurer », se souvient Deepti.
Se battre pour les autres
Il n'est pas rare au Népal que des personnes ne possèdent pas la nationalité, soit en raison de la discrimination fondée sur le sexe contre laquelle Deepti se bat, soit parce que beaucoup ignorent leurs droits et n'ont jamais demandé la nationalité népalaise ou ne savent pas comment le faire.
Le mari de Deepti, Diwakar, en est un bon exemple. Son père est décédé lorsqu'il était enfant, et lorsque sa mère a demandé la citoyenneté pour ses enfants, leur demande a été rejetée. Deepti s'est occupée de son cas, ainsi que de ceux de son frère et de son neveu. Elle raconte : « Je me suis battue pour cinq personnes de ma famille ! Diwakar a finalement obtenu sa citoyenneté il y a cinq ans, à l'âge de 45 ans, et a dormi pendant des semaines avec ses nouveaux papiers d'identité sous l'oreiller. »
Deepti a aidé des dizaines de personnes sans papiers à obtenir la nationalité grâce à sa patience et à son soutien face aux obstacles bureaucratiques. La dernière en date est Sangita Karki, 26 ans, une collègue de la CAPN. « J'ai essayé d'obtenir la citoyenneté pendant neuf ans avant de rencontrer Deepti », témoigne Sangita, qui a grandi dans un orphelinat et compare le fait de vivre sans citoyenneté à celui de souffrir d'une maladie sans aucun traitement. Contrairement aux autres personnes qui ont essayé de l'aider au fil des ans, « Deepti ne s'est pas arrêtée, c'était tous les jours, elle a refusé d'abandonner ».
Même si les victoires individuelles s'accumulent, la lutte pour un changement constitutionnel se poursuit. La nouvelle constitution népalaise de 2015 permet pour la première fois aux mères de transmettre la nationalité, mais seulement dans des cas limités et spécifiques, comme la naturalisation si le père est étranger ou si le père est publiquement déclaré « inconnu ».
Ensemble, Deepti, le FWLD et un vaste réseau d'organisations au Népal plaident en faveur d'un amendement constitutionnel qui garantirait que les mères puissent transmettre la citoyenneté sur un pied d'égalité avec les pères. « Il n'y a pas d'autre choix que de gagner ce combat pour l'égalité », déclare-t-elle.
La promesse de l'égalité
Aujourd'hui, Deepti vit avec Diwakar et Nikita, 24 ans, à Godawari, une banlieue tranquille située à la périphérie sud de la capitale, à l'abri des collines boisées et escarpées qui entourent la vaste vallée de Katmandou. Il n'y a pas de preuve plus évidente de l'importance de posséder une identité légale que l'exemple de la famille de Deepti Gurung.
Depuis qu'ils ont obtenu la nationalité, Diwakar s'est inscrit à un master d'enseignement de l'anglais, Neha a obtenu une bourse Fulbright pour étudier le droit aux États-Unis et Nikita termine son diplôme de premier cycle en gestion des entreprises. En 2023, grâce à leurs nouveaux passeports, toute la famille est partie en vacances à l'étranger, en Thaïlande, où ils ont vu l'océan pour la première fois. En regardant la mer, Deepti s'est dit : « Voilà à quoi ressemble la liberté ».
La détermination de Deepti à forcer la porte de la citoyenneté a permis à sa famille et aux autres personnes qu'elle a aidées d'accéder à un nouveau monde fait d'égalité et d'opportunités.