OPINION : Ce que nous enseigne le parcours d'une femme colombienne courageuse qui sauve des enfants de l'exploitation sexuelle
OPINION : Ce que nous enseigne le parcours d'une femme colombienne courageuse qui sauve des enfants de l'exploitation sexuelle
* Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et n'engagent pas la Fondation Thomson Reuters.
Les confinements dus au coronavirus, les difficultés économiques ainsi que les fermetures et restrictions aux frontières ont aggravé les
Le profil des personnes aidées par la lauréate de la distinction Nansen du HCR pour les réfugiés de cette année, Mayerlín Vergara Pérez, qui travaille pour la Fondation Renacer, une organisation à but non lucratif, à La Guajira, une ville située à cheval sur la frontière vénézuélienne au nord de la Colombie, a changé ces dernières années dans le contexte de l'afflux récent de réfugiés et de migrants.
La région a connu une recrudescence des abus sexuels infligés aux enfants. Les Vénézuéliens qui fuient les pénuries de produits de base, l'inflation galopante et l'insécurité dans leur pays représentent un nombre croissant de victimes.
Renacer (ou « Renaissance » en français) est une organisation caritative nationale qui aide depuis 30 ans les jeunes à reconstruire leur vie brisée par les violences et l'exploitation sexuelles.
Mayerlin Vergara Pérez, salariée de longue date de l’organisation, a créé le centre à Riohacha, La Guajira. Sur les 40 enfants accueillis dans ce nouveau foyer, près de la moitié sont vénézuéliens. Certains ont été contraints à l'exploitation sexuelle en raison de l’extrême pauvreté, d'autres ont été victimes de réseaux de traite des êtres humains.
D’après Mayerlin Vergara Pérez, ceux qui arrivent n'ont « aucun rêve » et se méfient des signes d’affection. Les enfants s'adaptent progressivement à leur nouvel environnement et, entourés d'adultes aidants ainsi que d'autres enfants ayant traversé les mêmes expériences, ils parviennent à faire face à leur passé et se projeter dans l'avenir. Certains jeunes pris en charge par la Fondation Renacer ont poursuivi de brillantes carrières comme chefs, avocats, médecins et comptables.
Depuis les frontières vénézuéliennes jusqu'aux camps qui accueillent des Sud-Soudanais en Ouganda, en passant par les installations tentaculaires de Rohingyas au Bangladesh, de nombreuses actions sont menées pour lutter contre l'exploitation et la traite des êtres humains.
Les personnes qui sont contraintes de fuir et qui ne peuvent pas franchir les frontières en toute sécurité et accéder à l'asile sont souvent poussées - par désespoir - à traverser les frontières de manière irrégulière en ayant recours à des trafiquants ou à des réseaux de passeurs, des groupes armés illégaux et d'autres criminels. Malheureusement, les femmes et les filles sont fréquemment forcées de payer leur passage contre des services sexuels, tandis que d'autres sont attirées et piégées par des promesses de travail lucratif.
Les données relatives à l'exploitation sont lacunaires et difficiles à obtenir, ce qui empêche de connaitre la véritable ampleur de ce phénomène. Mais les bureaux du HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, sur le terrain reçoivent un flot constant d’informations et d'allégations dans ce domaine. La mobilité et les ruses employées par les auteurs de ces abus ainsi que leur capacité à exploiter le chaos des déplacements rendent les poursuites difficiles, d’autant plus que l’identification des cas pose un défi.
Malgré les données incomplètes, des éléments de preuve - souvent empiriques et tirés de rapports de terrain - indiquent que les confinements dus à la pandémie de Covid-19, les difficultés économiques et les fermetures ou restrictions aux frontières ont aggravé les problèmes souvent étroitement liés de la traite des êtres humains et des abus sexuels. Les freins aux déplacements et les services restreints peuvent enfermer les victimes, limitant leur capacité de s'échapper ou de dénoncer ces abus. L’aggravation de la pauvreté pousse certaines personnes à mendier ou à s'engager dans la prostitution de survie pour subvenir aux besoins de leurs familles.
Certaines régions d’Amérique latine connaissent des taux alarmants de traite des êtres humains et d'abus sexuels parmi les femmes et les jeunes filles. Les informations faisant état de la traite de réfugiés et de migrants vénézuéliens, en particulier des enfants, sont nombreuses.
Le nombre de victimes de la traite des êtres humains identifiées en Colombie a augmenté de 23% entre 2015 et 2019 et cela est en partie lié à l’afflux récent de ces derniers. La majorité des victimes sont de jeunes femmes, 63% d'entre elles ayant entre 10 et 30 ans. Les autorités colombiennes ont également signalé une augmentation de 20% des victimes étrangères de la traite au cours des quatre premiers mois de 2020, par rapport à l'ensemble de l'année 2019. Dans plus de la moitié des cas, l'exploitation sexuelle constituait l'objectif ultime.
Les personnes déracinées dépourvues de statut légal vivent pour la plupart dans des conditions précaires, en marge de la société. En Colombie, qui est le pays qui accueille le plus grand nombre de Vénézuéliens, de nombreuses personnes n'ont pas de statut malgré les efforts réalisés par les autorités. A La Guajira, plus de 80% des Vénézuéliens seraient en situation irrégulière selon les estimations.
Leur situation les empêche d'obtenir une protection juridique et sociale et les expose à l'exploitation. L'identification et la protection par les autorités nationales et les organisations caritatives sont difficiles.
Alors que le HCR et ses partenaires humanitaires mènent quotidiennement des actions de prévention et de réponse, un engagement plus ferme des États est indispensable pour atténuer les risques et assumer leurs responsabilités. Cela nécessite de garantir l'accès à l'asile pour les personnes en quête de sécurité, de régulariser les personnes sans papiers et de créer des voies légales supplémentaires pour permettre aux réfugiés et aux migrants d'accéder aux pays d'accueil.
Cette année marque le 20ème anniversaire de l'adoption du premier instrument international juridiquement contraignant dans ce domaine, le Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, connu sous le nom de Protocole de Palerme.
D'autres instruments et mécanismes juridiques régionaux et domestiques ont été élaborés, parallèlement à un corpus de « soft law », et un rapporteur spécial a été désigné pour mettre en lumière cette question.
Il y a beaucoup à faire, en particulier recueillir et harmoniser les données, allouer des ressources aux défenseurs des victimes et renforcer la coopération juridique transnationale en vue de poursuivre les auteurs en justice.
Le moment est venu d'exhorter les États à accorder leur soutien total au Protocole afin de reconnaître les multiples facettes de la traite des êtres humains, de promouvoir le plein respect des droits des victimes et d’intensifier la lutte contre ce fléau.
Là-bas, à Riohacha, Mayerlin Vergara Perez poursuit sans relâche son travail malgré les dangers, ratissant les communautés isolées pour dénicher les victimes, les mettre en sécurité et leur offrir une thérapie, avec des sessions collectives et des activités éducatives pour créer l'espace et le soutien leur permettant de se rétablir après les traumatismes subis.
Afin de rendre hommage à son action - et au travail d'innombrables autres personnes dans le monde qui luttent contre la traite des êtres humains et les abus sexuels - le HCR décerne aujourd'hui à Mayerlin Vergara Perez sa distinction Nansen annuelle pour la protection des réfugiés, des déplacés et des apatrides.