Note sur la protection internationale
Note sur la protection internationale
EC/46/SC/CRP.37
COMITE PERMANENT FRANCAIS
NOTE SUR LA PROTECTION INTERNATIONALE1
I. INTRODUCTION
1. Lors d'une année où les problèmes de protection d'importantes populations réfugiées ont continué de dominer l'ordre du jour du HCR, le fait que le nombre global des réfugiés ait été ramené à 14 millions et demi de personnes est aussi marquant qu'incongru. Cette diminution au plan des chiffres ne s'est pas accompagnée d'un changement positif de l'idée que l'on se fait de l'ampleur du problème des réfugiés. L'opinion publique reste persuadée de la montée inexorable de ce problème. Les pressions exercées pour trouver des solutions au problème des réfugiés sont plus fortes que jamais alors que la diminution de leur nombre ne rend pas plus aisée la recherche de solutions. Bon nombre de réfugiés n'ont pas pu rentrer de leur plein gré; ils n'ont pas pu non plus s'intégrer sur place et n'ont pas été en mesure de se réinstaller. Des crises et des situations d'urgence de grande envergure sont devenues insolubles et sont apparemment dans l'impasse, résistant à tout effort international résolu et concerté pour leur trouver une solution ou ne réussissant pas à susciter des initiatives dans ce sens. Dans bon nombre de ces cas, tout espoir semble perdu alors que des bourbiers tels que l'Angola ou la Tchétchénie n'attirent que sporadiquement l'attention du public, ne font la une des journaux que pour mieux sombrer dans l'oubli, comme l'Afghanistan ou la Somalie, ou menacent de rester à la périphérie des préoccupations internationales, comme au Libéria.
2. L'augmentation concomitante du nombre estimatif de personnes déplacées à l'intérieur du territoire, y compris celles que le HCR a pour mission de protéger et d'assister, traduit la montée des conflits intérieurs. Dans certains cas, elle peut également illustrer les obstacles croissants à l'octroi de l'asile. Au cours de l'année passée, des centaines de milliers de demandeurs d'asile ont été admis et ont obtenu un refuge dans de nombreuses régions du monde. Ailleurs, toutefois, les attitudes en matière de protection des réfugiés et à l'égard des réfugiés sont allées de l'indifférence à l'hostilité ouverte, et ce pour différentes raisons. L'incapacité de faire face à tous les aspects des dilemmes de réfugiés a créé tout un éventail de problèmes, allant du refoulement à la frontière des réfugiés risquant la mort à leur retour jusqu'à la mise en place de structures institutionnelles restreignant gravement l'admission. En outre, certains Etats ont réduit la portée des normes internationales conçues pour les réfugiés et les demandeurs d'asile et ont limité la durée de leur séjour. Certaines nations ou régions qui ont compté parmi les plus généreuses au cours des dernières années ont adopté des approches plus restrictives, revendiquant s'être inspirées en la matière de pratiques dans d'autres régions. En même temps, on a assisté à un regain d'activités et de mesures d'assistance dans les pays d'origine afin de stabiliser les mouvements. Cette évolution traduit à la fois une approche positive et activiste en matière de respect des droits dans le pays d'origine et le recours à des mesures restrictives pour inciter les candidats à l'asile à rester chez eux.
3. Ces dernières années, la protection des réfugiés a connu une évolution positive dans la mesure où les Etats se sont montrés plus enclins à étudier les besoins de toutes les personnes nécessitant une protection internationale. Ces grands groupes ne sont pas nécessairement neufs ou sans précédent; ils regroupent des personnes fuyant des guerres de persécution ou des Etats en perdition, des personnes déplacées à l'intérieur du territoire et des personnes fuyant la persécution motivée par leur appartenance sexuelle. La communauté internationale a reconnu sa responsabilité en matière de couverture du besoin de protection internationale de ces groupes et d'élaboration des instruments nécessaires à cette fin. (A cet égard, voir également le Rapport intérimaire sur les consultations informelles concernant la fourniture d'une protection internationale à tous ceux qui en ont besoin, EC/46/SC/CRP.34.) Dans ce contexte, les insuffisances au plan de la coopération internationale peuvent avoir engendré des mesures unilatérales qui, en refusant aux réfugiés et aux demandeurs d'asile l'admission et la protection dans un pays, en rejettent la responsabilité sur d'autres. La tentative de se décharger ainsi de ses responsabilités n'est naturellement pas propre à assurer une protection internationale. En même temps, un large consensus international s'est néanmoins dégagé en faveur d'une protection internationale à tous ceux qui en ont besoin. Le défi consiste à concilier ces deux positions.
4. Un regard sur l'année écoulée nous révèle quelques faits nouveaux encourageants. En Asie du Sud-Est, il sera mis officiellement fin le 30 juin 1996 au Plan d'action global (PAG), une approche comprenant l'examen de tous les demandeurs d'asile, le retour des non-réfugiés et la réinstallation des réfugiés. En Amérique du Sud et en Amérique centrale, le HCR a fusionné un certain nombre de ses bureaux qui ont compté parmi les plus actifs du monde, particulièrement lors des années 70. Le problème de réfugiés le plus important du monde, restant toujours sans solution - celui des réfugiés afghans - est maintenant vieux de 17 ans : la plupart des réfugiés continuent de bénéficier de normes de protection relativement sûres en dépit de certains faits nouveaux préoccupants. Sur le continent africain, des échecs cuisants en matière de protection ont eu tendance à voiler les nombreux cas où l'asile a été accordé sans réserve, y compris en Ouganda, en Côte d'Ivoire et en Guinée. En dépit des difficultés rencontrées, presque un million de Bosniaques et deux millions de Rwandais bénéficient en règle générale d'une protection de base. En Amérique du Nord, les Gouvernements des Etats-Unis et du Canada ont publié des principes directeurs détaillés clarifiant la protection à accorder aux réfugiés craignant une persécution fondée sur l'appartenance sexuelle et fuyant des situations de guerre civile. En Europe de l'Est, le HCR a entamé un dialogue approfondi et fructueux sur l'apatridie et la législation nationale qui, nous l'espérons, ira encore plus loin grâce au Programme d'action de la Conférence sur la CEI.
II. L'UTILITE D'APPROCHES GLOBALES
5. Les faits nouveaux laissent entrevoir la probabilité d'une poursuite des conflits ethniques régionaux. Il incombera donc encore à la communauté internationale de prévenir et de contenir ces conflits, de protéger les réfugiés et les personnes déplacées et de trouver des solutions à leurs problèmes. La nécessité d'atténuer les conséquences des conflits producteurs de réfugiés et de mettre en place des éléments préventifs, lorsque c'est possible, tout en veillant au respect des normes internationales concernant les personnes ayant besoin de protection internationale - particulièrement les mouvements massifs de personnes qui, en tant que groupe, peuvent être des réfugiés prima facie - rend particulièrement opportune une nouvelle analyse des approches globales régionales ou sous-régionales.
6. L'expérience du HCR lors de plusieurs crises graves de réfugiés a inspiré le document sur les Approches régionales globales face aux problèmes des réfugiés (EC/1994/SCP/CRP.3), présenté au Sous-Comité plénier sur la protection internationale à sa réunion de mai 1994. L'année précédente, le Comité exécutif avait souligné l'importance d'examiner les problèmes de la prévention, de la protection et des solutions sur une base globale et régionale, encourageant le Haut Commissaire à entreprendre des consultations afin de lancer de telles initiatives. Le document de séance soulignait les éléments de protection dans le cadre d'approches stratégiques larges afin de promouvoir la stabilité globale de la société en question et d'en impliquer les différents acteurs et les différentes composantes. Au cours de ses débats, le Comité exécutif a demandé au HCR d'élaborer de nouvelles approches globales et régionales cohérentes et fondées sur les principes reconnus de la protection et de l'asile tels qu'ils sont consignés dans les instruments internationaux concernant les réfugiés et conformément à d'autres normes en matière de droits de l'homme. Plusieurs délégations ont souligné que le succès de ces approches dépendait de la volonté politique des pays concernés (EC/SCP/89, Rapport de la réunion des 18 et 19 mai 1994 du Sous-Comité plénier sur la protection internationale).
7. Le fait que certaines des grandes crises de réfugiés du monde résistent toujours aux efforts déployés pour s'attaquer à leurs causes ou pour créer le climat qui conduira au rapatriement librement consenti à grande échelle rend d'autant plus opportun l'examen d'approches globales et régionales. Le fait de voir le déplacement comme un problème humain autorise un éventail de solutions pour les victimes d'un déplacement quel qu'il soit : cette approche différenciée devra également couvrir les éléments préventifs dans toute la mesure du possible. L'angle de la protection, qui embrasse les droits fondamentaux des individus, est le point de départ du HCR dans l'identification de solutions justes, efficaces et permanentes.
8. Les approches globales ne trouvent pas nécessairement une solution au besoin de protection des réfugiés; elles se contentent plutôt de replacer le problème de l'absence de protection nationale - le label de la problématique des réfugiés - dans son contexte plus large. Cet examen des approches multidimensionnelles aux situations de déplacement massif s'efforce de souligner la façon dont un cadre juridique ou un cadre de principes fondamentaux peut rendre des situations plus faciles à aborder et promouvoir des solutions justes et durables. Au niveau de l'individu, il s'efforcera de veiller à ce qu'une solution soit trouvée, sous la forme d'intégration ou de réétablissement et de protection nationale. Comme l'a rappelé le Groupe de travail de 1990-1991 sur les solutions et la protection (un groupe de travail ouvert composé des membres du Comité exécutif), les solutions sont l'objectif ultime de la protection, et la protection doit régir le processus tout entier conduisant aux solutions.
9. La recherche de solutions pacifiques est naturellement la raison d'être des Nations Unies, dont la Charte reconnaît le lien intrinsèque entre la paix et les droits de l'homme. Le Secrétaire général a défini la défense des droits de l'homme comme un élément essentiel des opérations de maintien de la paix des Nations Unies. Pour sa part, le HCR n'a cessé de souligner le lien entre le non-respect des droits de l'homme et les flux de réfugiés. Au cours des quarante-six ans d'existence du HCR, la codification et le renforcement des normes et mécanismes des droits de l'homme concernant directement les réfugiés et les individus menacés de déplacement involontaire ont insufflé un nouvel élan aux approches holistiques en matière de protection.
10. Le rejet du cloisonnement des problèmes qui donnent lieu au déplacement involontaire - ruptures de la paix, violations des droits de l'homme, résurgence de tensions ethniques - a amené le HCR plus près de la source des mouvements de population. Bien qu'elle soit manifestement l'idéal, la prévention est souvent vague et difficile à mettre en oeuvre. Tout comme il peut se révéler inadéquat de se concentrer intégralement sur l'asile, il peut aussi être irréaliste de faire exclusivement porter les efforts sur les solutions à l'intérieur du pays d'origine. Le fait de considérer le rapatriement librement consenti comme la solution la plus souhaitable ne doit pas dissimuler le fait que certaines crises de réfugiés peuvent s'inscrire par nature dans le long terme. La recherche de solutions doit tenir compte de cette réalité.
11. Le HCR reste prêt à offrir son appui et sa compétence pour élaborer de telles solutions et pour aider les Etats à identifier de façon plus systématique la pertinence et la faisabilité de ces solutions. La primauté du droit - y compris les principes pertinents des droits de l'homme et du droit des réfugiés - doit être vue comme un atout et un ferment, dans la mosaïque d'éléments liés et, dans une certaine mesure, interdépendants, de toute approche globale. L'expérience a montré, à travers le Plan d'action global en Asie du Sud-Est par exemple, qu'en l'absence de principes directeurs clairement formulés et acceptés pour une action humanitaire dans des climats politiques tendus, cette approche a peu de chances de réussir. Le cadre juridique convenu pour l'examen des réfugiés de la mer vietnamiens était une condition sine qua non de la résolution de ce problème. S'ils ne constituent qu'une partie d'un train de mesures dans le cadre d'approches globales, ces éléments vont souvent au coeur des problèmes sous-jacents et complexes des droits de l'homme.
12. Grâce à sa présence affirmée dans les pays d'asile et d'origine, appuyée par un dialogue intense enraciné dans les principes de protection entre le HCR, les Etats d'origine et les Etats d'asile, ainsi que par l'inscription des questions de réfugiés sur les ordres du jour politiques et dans les négociations de paix, le HCR a parfois été en mesure de promouvoir un espace humanitaire qui facilite souvent la recherche de solutions politiques. L'identification, dans ce cadre, des différents aspects du droit international afférents aux situations de déplacement massif peut permettre de baliser et de tracer la voie à suivre. Ces principes de base peuvent se révéler cruciaux lorsqu'il s'agit de prévenir de nouveaux flux de réfugiés, de garantir l'asile, de permettre le rapatriement ou l'intégration, ou de veiller au traitement décent des personnes déplacées à l'intérieur du territoire, de couvrir les besoins de la population locale vulnérable et de protéger les apatrides. A cet égard, la primauté du droit peut jouer un rôle crucial dans le renforcement des forces oeuvrant à la réconciliation.
13. Une approche globale peut s'appuyer sur un cadre de protection de plusieurs façons. Elle peut s'articuler sur un accord officiel - comme au Cambodge ou en Bosnie-Herzégovine - impliquant un haut niveau d'engagement et dotant les dispositifs d'une assise juridique et politique officielle. Le processus politique périphérique, à défaut de l'accord lui-même, peut offrir des mécanismes de résolution des différends et établir l'incidence positive ou négative du respect ou du non-respect de ces principes fondamentaux.
14. La définition, dans une stratégie globale, de normes universelles peut jeter les bases d'un accord ou en constituer une composante utile. Fonder une approche globale sur des normes juridiques internationales peut créer un climat où les différends ont plus de chances d'être résolus et où l'on a, en quelque sorte, dépassionné le point de départ. Une ligne - des normes claires, systématiques et faisant autorité pour tous les participants - peut également renforcer le principe de la responsabilité de l'Etat concernant la population en question. D'autres Etats parties à l'approche ou cosignataires de l'accord admettent un concept plus large de la responsabilité de l'Etat au niveau de la communauté internationale concernant la sécurité des peuples.
15. Un ensemble d'engagements fondamentaux dans le cadre d'une approche globale peut jouer le rôle de ferment, encourager les Etats à se conduire en « Etats responsables » et en clarifiant les responsabilités. La création de nouveaux Etats ou leur restauration peut s'accompagner d'une incapacité de faire face aux mouvements ou aux retours des réfugiés, ou d'assurer le respect de la primauté du droit. Dans certaines situations, la participation d'entités non reconnues comme Etats ou reconnues comme entités de facto, dans une approche globale et orientée vers les solutions, sera indispensable. Ce sera probablement le cas pour les Etats désintégrés, par exemple, où la population dans son ensemble peut être exposée au péril de la persécution ou du non-respect du droit.
16. Le HCR doit relever des défis singuliers pour remplir son mandat en matière de recherche de solutions aux problèmes des réfugiés lorsque même l'octroi d'un refuge temporaire fait naître des résistances; lorsque les causes sous-jacentes ne sont pas examinées; lorsque les conditions essentielles à l'appui du retour font défaut. La nature multidimensionnelle des problèmes de réfugiés reste patente mais trop souvent ne se trouve pas reflétée dans les solutions internationales qui leur sont apportées. Le HCR ne peut mettre fin aux violations des droits de l'homme ou aux conflits intérieurs et ne peut pas, non plus, reconstruire des systèmes juridiques mis en pièces ou poursuivre des criminels de guerre. Bon nombre des principaux problèmes actuels de réfugiés - au Rwanda, en Afghanistan, en Bosnie-Herzégovine ou au Libéria - exigent des réponses ciblées sur la région concernée et appuyées par la communauté internationale. Comme la Conférence sur la CEI2 vient de le reconnaître, bien qu'elle s'inscrive dans un contexte différent, un cadre d'action convenu est essentiel à la mise en oeuvre de ces approches. Les principes internationaux établis fondant le régime des réfugiés sont indispensables pour l'établissement de ce cadre qui devra généralement couvrir tout l'éventail des problèmes politiques, économiques et sociaux.
17. Certaines de ces dimensions ont été mises en lumière dans la Note sur la protection internationale de 1995, particulièrement le besoin d'une solidarité internationale tangible avec les pays en développement à faible revenu confrontés à un afflux massif et soudain de réfugiés. L'importance d'un appui adéquat aux efforts de développement et de réadaptation a également été soulignée dans les Conclusions de 1995 sur la protection internationale en tant qu'élément important pour la réintégration viable des réfugiés rentrant chez eux. Les efforts de développement et de réadaptation peuvent également contribuer à supprimer certaines des causes des situations de réfugiés et jouer un rôle précieux dans le contexte des stratégies de prévention. Une coopération internationale soutenue est également nécessaire pour permettre à bon nombre de pays hôtes d'offrir des possibilités d'intégration locale.
18. La valeur de la réinstallation en tant que solution dans le cadre d'une approche globale a également été reconnue. Bien qu'il soit difficile d'envisager une réinstallation massive comme celle qui a eu lieu en Indochine ces vingt dernières années, la réinstallation de groupes d'individus doit toujours être vue comme une contribution à la réalisation des objectifs fondamentaux du HCR, y compris le droit de chercher asile et la protection des cas vulnérables. Les décisions concernant le calendrier et la durée d'une opération de réinstallation doivent tenir compte de la disponibilité des places de réinstallation et de l'impact possible des migrations secondaires de réfugiés et de non-réfugiés. L'engagement de ces Etats à fournir des places de réinstallation au HCR reste un élément clé de la stratégie globale de protection du HCR. Des renseignements complémentaires sur les problèmes actuels de réinstallation figurent dans le document de séance sur la réinstallation (EC/46/SC/CPR.32) présenté à ce Comité permanent.
III. LE CONTENU DES APPROCHES GLOBALES FONDEES SUR LA PROTECTION
19. Il est largement admis que les seules solutions à long terme aux crises majeures de réfugiés, comme dans la région des Grands Lacs, dépendent d'interventions politiques globales. En attendant que cette intervention soit définie et mise en oeuvre, et aussi longtemps que nécessaire, l'octroi de l'asile reste indispensable pour assurer la protection et chercher des solutions aux violations réelles ou potentielles des droits de l'homme, à la violence et à la guerre. L'examen d'approches de cette nature ne doit pas faire oublier que le droit de chercher et de bénéficier de l'asile loin de la persécution et des dangers est un droit fondamental de l'homme et qu'il constitue fréquemment la seule option disponible, du moins à court terme. L'asile est donc un élément essentiel d'approches plus larges. De même, un engagement international au respect des normes contenues dans la Convention et le Protocole et leur complément régional, la Convention de l'OUA de 1969, reste la cheville ouvrière d'approches globales aux situations de réfugiés.3 En même temps, un cadre juridique plus large pour la recherche de solutions peut infléchir la tendance à dissocier les réfugiés et le droit des réfugiés, du droit international universellement appliqué sur les droits de l'homme.
20. Les normes en matière de droits de l'homme constituent la pierre angulaire de la substance des cadres de protection. Outre le lien entre les droits de l'homme et la paix, l'inclusion de normes en matière de droits de l'homme et de protection contribue à fixer le rythme auquel le problème des réfugiés ou le problème des déplacements involontaires peut aboutir à une solution viable. Sans ces normes, les interventions dans les situations complexes de réfugiés peuvent s'efforcer de surmonter les difficultés de réaction du pays hôte ou de la communauté internationale au détriment de la solution du problème sous-jacent et de la protection du bien-être des réfugiés. Des calendriers irréalistes de rapatriement vers des lieux et des communes sous-équipés pour y faire face peuvent aboutir à des violations des droits de l'homme et à de nouvelles crises; des conditions de séjour difficiles et inhumaines assimilables dans certains cas à une détention prolongée, imposées pour dissuader de nouveaux arrivants, constituent fréquemment une violation des normes en matière de droits de l'homme. De même, le respect des droits fondamentaux des rapatriés dans la période qui suit leur retour est essentiel.
21. Les normes ne sont guère utiles dans l'abstrait. Il arrive fréquemment que l'adhésion du pays d'origine à un traité international particulier n'ait aucune incidence sur la décision du réfugié de rentrer ou, de toute évidence, sur l'existence de violations graves des droits de l'homme. Ce qui compte, c'est de restaurer un environnement où les réfugiés sont protégés ou intégrés, ou sont en mesure de rentrer chez eux dans la sécurité ou un environnement dans lequel les personnes n'ont pas besoin de fuir. Il faut parfois beaucoup de temps pour qu'un climat de ce type ne s'installe durablement. L'expérience acquise lors d'approches globales couvrant la réconciliation et se fondant sur des normes préétablies révèle que, lorsque la primauté du droit n'est pas ancrée dans les traditions ou lorsque son respect n'a pas été fermement établi, sa restauration rapide ne sera pas possible. Il est néanmoins essentiel que le traumatisme du déplacement (pour l'individu, la communauté ou la nation) soit conjuré par une solution offrant une certitude et une sécurité à long terme. Le Comité exécutif a reconnu cet élément dans sa Conclusion No 69 sur la Cessation de statut (A/AC.96/804, par. 22), où il affirme que l'application des clauses de cessation ne devait intervenir que face à un changement de circonstances de nature profonde et durable.
22. L'essence de toute approche globale réside dans son intégralité. Si elle n'est pas observée par l'ensemble des participants, ou si certains aspects sont mis en oeuvre isolément, la stratégie n'a que peu de chances de succès. Le document de séance de 1994 sur les approches globales et régionales (EC/1994/SCP/CRP.3) fait remarquer que le caractère « global » des approches a pris diverses formes et qu'il est irréaliste de travailler sur la base d'un seul projet. Les brefs résumés des expériences du HCR dans le cadre de la CIREFCA, du PAG, du règlement politique global au Cambodge, de l'ex-Yougoslavie et du Mozambique illustrent des similitudes et des divergences, notamment quant aux mesures proposées pour résoudre le conflit existant et les situations de réfugiés, quant aux mesures prises à la fin du conflit ou quant aux dimensions humanitaires et politiques de ces mesures. A ces expériences, il convient aujourd'hui d'ajouter le processus de la Conférence sur la CEI, une initiative ambitieuse visant à examiner les mouvements involontaires potentiels ainsi que les déplacements antérieurs et actuels dans une région extrêmement complexe.
23. La Conférence sur la CEI qui vient de s'achever et le processus intensif de consultations qui l'a précédée représentent un effort de la communauté internationale pour conférer une substance à la notion de la prévention dans un contexte régional spécifique. Se fondant sur le consensus selon lequel des mouvements massifs incontrôlés dans ce contexte pourraient affecter la stabilité dans cette région, le processus préparatoire a encouragé les 15 pays concernés à définir et préciser la portée et la nature des mouvements de population dans ces pays et à clarifier les catégories relevant de sa compétence. La Conférence a donné l'occasion aux gouvernements et aux organisations concernées d'approfondir leur connaissance du problème et de s'attaquer collectivement aux questions humanitaires, notamment en formulant des stratégies globales pour examiner tout d'abord les problèmes existants puis pour éviter de futurs exodes. Pour faire prendre conscience des problèmes et les traduire en un programme d'action consensuel, une approche orientée vers l'avenir a été adoptée. Le succès de cet engagement pris par les Etats concernés dépendra, comme dans toutes les tentatives de ce genre, du respect sans faille des dispositions prévues dans le Programme d'action et nécessitera également l'appui soutenu de la communauté internationale dans sa mise en oeuvre.
24. Dans un document antérieur, le HCR a défini certains éléments d'un cadre de protection pour des stratégies visant à s'attaquer à des situations spécifiques de déplacement involontaire. Les approches globales fondées sur la protection devraient généralement inclure une référence appropriée aux instruments internationaux sur les réfugiés. En tout état de cause, le non-refoulement, y compris le non-rejet aux frontières, doit être respecté. La personne déplacée doit être admise dans un lieu sûr et le HCR doit bénéficier d'un accès sans entrave aux personnes relevant de sa compétence. Leurs droits de l'homme fondamentaux doivent être précisés et garantis. Des droits particuliers peuvent être soulignés, y compris la sécurité de la personne, la non-discrimination et l'unité familiale; tout comme les besoins de protection et d'assistance des groupes vulnérables. La garantie de ces droits contribue grandement à instaurer la confiance parmi les réfugiés et permet à la communauté internationale d'évaluer la viabilité de l'approche convenue. Il est possible d'établir des critères de référence pour replacer les normes en matière de droits de l'homme dans leur contexte local : par exemple, préciser les conditions permettant d'attester l'existence sur place de la liberté de mouvement, la liberté d'expression ou de la non-discrimination.
25. Des procédures impartiales et efficaces de suivi, d'établissement de rapports et de vérifications du type de celles que la communauté internationale s'est efforcée de mettre en place au Cambodge, à El Salvador, au Guatemala et à Haïti constituent un corollaire essentiel de l'inclusion de garanties en matière de droits de l'homme, tout comme les dispositifs de recours et des amnisties appropriées. Une présence internationale à elle seule n'empêchera pas les violations des droits de l'homme, particulièrement dans le contexte de conflits généralisés, mais elle peut contribuer à un renforcement de la stabilité et un accroissement des pressions pesant sur les auteurs de ces violations. De même, l'établissement du principe de la responsabilité internationale et de tribunaux internationaux pour les crimes de guerre pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda peuvent être une condition indispensable à la restauration de la paix, à la réconciliation et à la primauté du droit. L'efficacité de ces tribunaux est de toute première importance pour le HCR et pour les perspectives de retour à grande échelle dans la sécurité.
26. Le respect global des droits des populations nécessaire à la garantie de solutions, que ce soit dans le pays d'origine ou ailleurs, nécessite un climat particulier. Le renforcement des institutions de la société civile, y compris les organisations non gouvernementales, les structures juridiques et judiciaires, une presse libre, par exemple, ainsi qu'une législation appropriée conforme aux normes internationales, peuvent constituer un tel environnement. La fourniture d'éléments d'appui tels que la restauration du système juridique, une réforme constitutionnelle et des conseils techniques peuvent requérir du temps, des ressources, ainsi qu'un engagement politique sans faille de la part de tous les acteurs. Cet objectif est souvent difficile à atteindre lorsque le processus vise des objectifs à plus court terme tels que des élections. La contribution possible du HCR dans le domaine du renforcement des capacités juridiques et judiciaires est décrite dans le document EC/46/SC/CRP.31).
27. Lorsqu'un conflit durable hypothèque tout espoir de solution, des mécanismes de maintien de la paix et de l'ordre public seront nécessaires. Ces conflits peuvent avoir laissé des séquelles comme l'impunité en matière de violation des droits, le banditisme et la délinquance, qui interdisent toute sécurité. De même, l'incapacité de procéder à la démobilisation ou au désarmement des militaires, des milices ou des factions peut avoir de graves incidences au plan des droits de l'homme. Dans le contexte des approches globales, ces préoccupations, ainsi que les codes de conduite pour les belligérants, peuvent devoir s'étendre explicitement aux acteurs extérieurs à l'Etat.
28. Dans ce contexte global, la nécessité de reconnaître et de renforcer la responsabilité de l'Etat a été soulignée dans le Rapport du Groupe de travail sur les solutions et la protection de 1991 (EC/SCP/64, par. 54 f)) présenté à la quarante-deuxième session du Comité exécutif. Le Groupe de travail a noté que :
« La reconnaissance de la responsabilité de l'Etat est un élément propre à éviter, d'une façon générale, les mouvements massifs de réfugiés et à favoriser une solution durable à leurs problèmes. Cette responsabilité, en particulier en ce qui concerne les pays d'origine, suppose que l'on s'attaque aux causes des mouvements massifs - notamment les violations des droits de l'homme, les conflits intérieurs, l'aggression étrangère, ainsi que les injustices socio-économiques intérieures et extérieures - à titre préventif et curatif et que l'on facilite le retour et la réintégration des ressortissants nationaux en toute sécurité et dans la dignité. »
L'exercice de cette responsabilité de l'Etat se caractérise essentiellement par le fait qu'elle s'étend à tous les citoyens sans discrimination, qu'elle n'est pas sélective ou limitée par d'autres restrictions temporaires arbitraires ou autres. Cela est particulièrement crucial dans les contextes cités par le Groupe de travail, notamment ceux du retour, de la réintégration et de la prévention. Lors du rapatriement après un conflit, par exemple, il est essentiel que les amnisties nécessaires soient de nature non discriminatoire.
29. Toutefois, la responsabilité de l'Etat d'origine ne peut pas toujours être invoquée, notamment parce qu'une spirale infernale d'anarchie et de violence conduit à penser que l'autorité de l'Etat n'existe plus. Un certain nombre d'exemples actuels de crises de réfugiés laissent entendre qu'aucune solution ne peut être envisagée dans un délai raisonnable sans intervention extérieure prolongée pour mettre fin aux hostilités, pour assurer la protection des personnes, pour garantir le fonctionnement des services de base et pour fournir un appui jusqu'à ce que la paix et la réconciliation soient bien ancrées. Dans ces situations, l'exclusion ou le retrait prématurés des acteurs internationaux peut avoir une incidence directe sur la longévité des stratégies globales.
30. Dans l'examen d'approches régionales face à des situations particulières, il convient de garder à l'esprit ce type de préoccupations concernant la capacité de certains Etats à assumer leurs responsabilités en matière de protection, de prévention et de solutions. L'instabilité généralisée ou la pénurie de ressources peuvent empêcher une région donnée d'alimenter les composantes d'une approche globale; dans ces cas, une coopération internationale soutenue dans différents secteurs sera cruciale.
31. Plusieurs propositions ont encouragé le Haut Commissaire à jouer un rôle actif dans l'identification de certaines approches régionales et globales. Le Groupe de travail sur les solutions et la protection s'est référé à la valeur d'initiatives régionales et internationales visant à encourager et à faciliter le dialogue. En 1985, la trente-sixième session du Comité exécutif, dans une Conclusion (A/AC.96, par. 115, 5.i)) ultérieurement entérinée par l'Assemblée générale, a souligné que, dès le début d'une situation de réfugiés, le Haut Commissaire doit à tout moment, et lorsqu'il le juge approprié, étudier la possibilité du rapatriement librement consenti de tout ou partie d'un groupe relevant de sa compétence :
« Quand le Haut Commissaire estime que la promotion du rapatriement librement consenti d'un groupe donné de réfugiés pose un grave problème, il peut envisager de choisir pour régler ce problème particulier un groupe consultatif ad hoc informel ... qui pourra comprendre ... en principe, les pays directement concernés. »
La suggestion visant à cibler ainsi certaines situations couvre les cas où le rapatriement librement consenti est approprié pour la totalité du groupe; pour une partie seulement du groupe, et lorsqu'un obstacle particulier se dresse dans la promotion du rapatriement librement consenti. Dans les cas où le rapatriement librement consenti n'est pas approprié pour tout ou partie du groupe, il faudra, de toute évidence, trouver d'autres solutions et approches.
IV. CONCLUSIONS
32. La protection a pour objectif de garantir aux populations déplacées de façon involontaire les libertés et droits fondamentaux qu'un Etat doit accorder à ses citoyens. La réalisation de cet objectif implique une mobilisation active pour trouver la solution adéquate au sort du réfugié. Comme le Haut Commissaire l'a affirmé, toutefois, le HCR ne peut donner un sens à son mandat de protection internationale et de solutions que dans la mesure où les Etats eux-mêmes entendent assumer leurs responsabilités. Ces dernières consistent, entre autres, à créer et entretenir un environnement qui n'oblige pas les gens à fuir dans la crainte, leur accorder l'asile, créer les conditions propices au rapatriement librement consenti, prendre des mesures pour satisfaire les besoins humanitaires essentiels et coopérer avec les pays sur lesquels les besoins aigus pèsent le plus lourd.
33. En contribuant à ce processus, la perspective du HCR - c'est-à-dire considérer que les questions de réfugiés ne sont ni distinctes des préoccupations plus larges en matière des droits de l'homme ni dissociées de leur contexte politique intrinsèque - peut faciliter l'élaboration d'approches globales fondées sur la protection. D'autres considérations pouvant se révéler pertinentes dans le contexte de ces approches sont contenues dans les documents de séance présentés à ce Comité permanent concernant la garantie d'une protection internationale à tous ceux qui en ont besoin, l'appui au renforcement des capacités juridiques et le retour des personnes n'ayant pas besoin de protection internationale. Un cadre de protection pour les solutions peut, à bien des égards, contribuer à interrompre le cercle vicieux du déplacement et de la violence. A cette fin, l'appui du Comité exécutif dans la définition de stratégies régionales et globales appropriées pour résoudre les problèmes spécifiques de déplacement serait le bienvenu.
1 Cette note analyse la mise en oeuvre d'approches globales visant à prévenir, gérer et résoudre les situations de réfugiés et examine la contribution positive et constructive d'un cadre juridique cohérent de protection. La note examine le rôle du HCR dans la mise au point et l'exercice de ces fonctions de protection en coopération avec les Etats.
2 La Conférence sur les problèmes des réfugiés, des personnes déplacées, d'autres formes de déplacement involontaire et des rapatriés dans les pays de la Communauté d'Etats indépendants et des pays voisins concernés, organisée à Genève les 30 et 31 mai 1996.
3 Le nombre d'Etats parties à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ou à son Protocole de 1967 s'établit aujourd'hui à 131. Les Etats parties à la Convention de l'OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique s'établissent aujourd'hui à 41.