Note générale sur la notion de pays et sur le statut de réfugié
Note générale sur la notion de pays et sur le statut de réfugié
EC/SCP/68
Introduction
1. Les demandes d'admission et d'accueil de personnes en quête d'asile adressées aux Etats s'accroissant, on recourt à des arrangements ou on aborde le problème de telle manière que les responsabilités puissent être rationalisées et partagées dans des limites raisonnables. C'est là une chose dont il faut ne féliciter lorsque cela permet d'identifier plus clairement ceux qui ont besoin de protection et débouche sur une coopération internationale permettant d'offrir cette protection et de trouver des solutions durables. Le problème des réfugiés est international de par sa nature et sa portée. A problème international il faut une solution internationale, ce qui dépend d'une coopération, là aussi, internationale.1
2. C'est dans un tel contexte et dans le dessein d'amorcer et de faciliter l'élaboration de lignes directrices utiles, que le Cabinet du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés soumet pour examen au Sous-Comité plénier sur la protection internationale cette note générale sur une notion qui gagne du terrain et sur laquelle se basent un certain nombre d'Etats pour à la fois partager le fardeau qu'impose la protection des réfugiés et, au stade antérieur, déterminer les responsabilités des Etats. Cette notion est celle à laquelle on ne réfère communément lorsqu'on parle de « pays sûr ».
La notion de « pays sur »
3. à simplement parler, l'expression « pays sûr » s'applique, dans le contexte des réfugiés, aux pays identifiés comme soit ne produisant pas de réfugiés, soit offrant aux réfugiés un asile dans lequel ils ne courent aucun danger. Cette notion n'applique, par conséquent, clairement dans deux situations qui donneront lieu à deux séries de considérations distinctes, selon que l'on considère comme étant sûr A) le pays d'origine ou B) le pays d'asile. On examine séparément ci-après l'un et l'autre cas.
A. Pays d'origine sûr
4. Appliquer la notion de « pays sûr » au pays d'origine revient à empêcher automatiquement les nationaux de pays considérés comme sûrs d'obtenir l'asile ou le statut de réfugié dans les pays d'accueil, ou tout au moins, à considérer leur demande avec la présomption qu'ils n'ont pas droit au statut de réfugié, présomption qu'il leur appartient, non sans difficultés, de lever.
5. Dans la mesure où l'application de cette notion empêcherait a priori tout un groupe de personnes en quête d'asile d'obtenir le statut de réfugié le Haut Commissaire estime qu'elle serait incompatible avec l'esprit, sinon la lettre, de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.
En particulier :
Cela constituerait une réserve de facto à l'article I à (2) de la Convention et serait donc en contradiction avec l'article 42, qui n'autorise aucune réserve en ce qui concerne l'article premier;
Cela introduirait de facto une nouvelle limitation géographique dans la Convention, ce qui est incompatible avec les fins du Protocole de 1967 à la Convention et va à l'encontre, ainsi qu'en témoignent les Conclusions du Comité exécutif, d'une opinion internationale largement représentative qui est favorable à l'application de la Convention sans restrictions géographiques;
Ce serait incompatible avec l'article 3 de la Convention de 1951 qui exige des Etats qu'ils appliquent ses dispositions sans discrimination quant au pays d'origine;
Ce serait incompatible avec le caractère individuel du statut de réfugié et la nature subjective des craintes de persécution, qui exigent que l'on évalue les déclarations du demandeur, plutôt que de porter simplement un jugement sur la situation au moment considéré dans le pays d'origine;
On peut supposer aussi (étant donné l'imprécision inévitable des jugements portés sur la situation qui règne dans les pays en matière de droite de l'homme, ainsi que la rapidité avec laquelle cette situation peut évoluer) que la stricte application de cette notion pourrait aboutir à replacer les intéressés dans des situations où leurs vies seraient en danger, en violation de l'article 33 interdisant le refoulement.
6. Cette notion suscite une autre préoccupation, à savoir que, comme l'expliquent souvent les Etats, on peut l'invoquer pour encourager la démocratisation dans les pays d'origine. Toutefois, du point de vue du Haut Commissaire, il ne convient pas de ne servir du droit d'asile pour promouvoir la « normalisation » dans certains pays. Cela revient à politiser un processus qui procède essentiellement de considérations humanitaires. Ce disant, il faut bien reconnaître que désigner un pays comme étant un « pays sûr » peut effectivement indiquer assez clairement à ceux qui envisageraient de demander l'asile sans justification valable que leur demande a peu de chances d'aboutir.
7. A l'exception peut-être de ce dernier point, ce qui est essentiellement préoccupant, c'est que l'on puisse effectivement appliquer cette notion pour faire automatiquement obstacle à l'octroi du statut de réfugié sans mettre en oeuvre aucune procédure. Si, toutefois, l'intéressé peut toujours ne prévaloir de la procédure de recevabilité et si l'on n'invoque cette notion qu'à des fins de procédure, c'est-à-dire pour traiter certaines demandes de façon accélérée (dans le cas de demandes manifestement infondées), ou si l'on n'y a recours qu'à titre indicatif, par exemple pour faire état d'une présomption que le demandeur ne serait pas habilité à bénéficier du statut de réfugié, présomption qui puisse être réfutée dans le cadre d'une procédure de recevabilité, alors cette notion ne suscite plus guère de préoccupations.
8. Il convient de noter à cet égard que le critère du « pays sûr » n'est pas nouveau dans les procédures et qu'il est appliqué de facto. La plupart des administrateurs chargés d'évaluer la recevabilité le font, d'une manière ou d'une autre, en fonction d'un tel critère lorsqu'ils établissent le bien-fondé des craintes en ne fondant sur leur connaissance générale de la situation qui règne dans le pays d'origine. Un certain nombre de pays sont en train d'établir des « profils de pays ». Les clauses de cessation de la Convention de 1951, en particulier l'article I C (5-6) reposent en partie sur des jugements sur la sûreté de la situation dans le pays d'origine. En outre, la notion de « pays sûr » est l'équivalent a contrario de celle de « pays peu sûr » qui est inhérente à certaines procédures nationales en vigueur. Le Haut Commissaire considère que ces procédures constituent un mécanisme d'une grande utilité dans le cas des personnes ayant besoin d'une protection dans des situations qui, selon toutes probabilités, devraient être temporaires.
9. Enfin, il est clair qu'il n'est pas interdit à un Etat d'exprimer une présomption à titre indicatif en ne référant au pays d'origine, à l'égard de certaines catégories de demandeurs, à condition que cette présomption soit fondée sur des évaluations récentes et vérifiables de situations de fait, qu'elle soit réfutable et que les cas uniques ou exceptionnels soient prévus.
10. On déduira de ce qui précède que, lorsque la notion de « pays sûr » intervient n'agissant d'accélérer les procédures, elle peut effectivement prévenir ou réduire l'accumulation de cas en suspens et aider à déterminer quels sont les cas à traiter expéditivement. Il faut répéter toutefois, que l'on doit fortement décourager de l'invoquer dans le dessein de faire obstacle à toute procédure de détermination de statut, ou lorsqu'elle vient empiéter sérieusement sur les sauvegardes en matière de procédure. En outre, on ne doit jamais perdre de vue qu'il est extrêmement difficile de porter un jugement sur la « sûreté » d'une situation étant donné l'instabilité des situations en matière de droite de l'homme et la distorsion inévitable que les considérations de politique interne ou étrangère imposent au jugement.
B. Pays d'asile sûrs
11. En fonction de cette notion, des demandeurs d'asile ou des réfugiés peuvent être renvoyés dans des pays où ils ont cherché ou où ils auraient pu chercher asile dans lesquels leur sécurité ne serait pas compromise, qu'il s'agisse du pays d'où ils arrivent ou du pays d'origine, via le pays d'où ils arrivent.
12. La notion de « pays sûr » pose moins de difficultés appliquée au pays d'asile qu'au pays d'origine, pour autant qu'elle s'accompagne des sauvegardes appropriées. Tout d'abord, il faut admettre que cette notion se retrouve plus ou moins dans la phraséologie de la Convention, qui exige des réfugiés qu'ils arrivent directement des territoires ou leur vie ou leur liberté est menacée pour que ses dispositions puissent s'appliquer [article 31 (1)]. Cette notion a été également expressément invoquée dans le contexte de la Conférence des Nations Unies sur l'asile territorial de 1977, lorsque le Danemark a propose que lorsqu'il appert qu'une personne a établi des contacts avec un autre Etat ou qu'elle a déjà des liens étroits avec un autre Etat, elle puisse être priée, si cela paraît juste et raisonnable, de demander d'abord asile à cet Etat. Il était reconnu, toutefois, que l'asile ne devrait pas être refusé pour la seule raison qu'on aurait pu le chercher dans un autre Etat.
13. Les conclusions adoptées par le Comité exécutif ont également et diversement donné crédit à cette notion. Il est utile de noter à cet égard le paragraphe h) (vi) de la Conclusion 15 (XXX) (1979) :
« Les accords prévoyant le renvoi par les Etats des personnes venues d'un autre Etat contractant et ayant pénétré irrégulièrement sur leur territoire seront appliqués aux personnes en quête d'asile compte dûment tenu de leur situation particulière ».
On peut également se référer aux paragraphes f) et g) de la Conclusion No 58 (XL) (1989) qui à eux deux, admettent qu'un réfugié ou demandeur d'asile peut être renvoyé dans le pays où il a d'abord trouvé asile si l'intéressé :
Peut entrer dans ce pays et y rester;
Y est à l'abri de mesures de refoulement et est traité conformément aux normes humanitaires reconnues;
Ne doit pas y être soumis à des persécutions ou si sa sécurité et sa liberté n'y doivent pas être menacées (sur ce point, voir aussi le paragraphe k) de la Conclusion No 15);
Peut n'y voir offrir une solution durable ».
14. L'application de la notion de « pays sûr » est aussi d'une manière générale compatible avec la position, que défend le Haut Commissaire, à savoir qu'il devrait y avoir des moyens de déterminer à quel Etat incombe l'examen de la demande d'asile afin d'éviter ces situations où les réfugiés ne trouvent en quelque sorte mis sur orbite et où de multiples demandes simultanées d'asile peuvent être présentées par un même réfugié. L'adoption de la Convention relative à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres de la Communauté européenne (Convention de Dublin de 1990), ainsi que des accords complémentaires de Schengen concernant la suppression des contrôles frontaliers aux frontières communes aux Etats parties constituent à cet égard des développements positifs.
15. En revanche, cette notion soulève quelques difficultés, en particulier s'agissant de déterminer la durée et les circonstances du séjour d'un individu dans un pays donné (le passage en transit doit-il être considéré comme suffisant ?) pour que ce pays puisse être désigné comme pays de premier asile. En outre, se pose le problème de la sécurité à garantir (quelles conditions de vie, par exemple, correspondent aux « normes humanitaires reconnues » et que peut-on accepter comme sauvegardes suffisantes pour mettre le réfugié à l'abri d'un éventuel refoulement). Peut-être serait-il utile, à cet égard, d'augmenter la liste figurant dans la Conclusion 58 du Comité exécutif des conditions de renvoi et d'y inclure l'adhésion à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ainsi qu'aux instruments relatifs aux droits fondamentaux de l'homme, y compris la Charte internationale des droits de l'homme2 ou le respect des dispositions de ces instruments. Enfin se pose le problème de la garantie, pour tout demandeur d'asile, qu'il puisse toujours invoquer les circonstances qui joueraient contre le renvoi dans le « pays d'asile sûr ».
Conclusion
16. D'une manière générale, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés estime que, si en principe, tout Etat partie à la Convention de 1951 et au Protocole de 1967 a la responsabilité d'examiner les demandes qui lui sont adressées par des réfugiés, il est raisonnable, pour répartir les charges, de prévoir des arrangements laissant la possibilité d'une réadmission des réfugiés dans un autre pays auquel incomberait le soin de déterminer leur statut à condition que ces arrangements garantissent toujours aux réfugiés une protection et la certitude qu'une solution sera apportée à leurs problèmes.
17. Sans sous-estimer la difficulté qu'il y aura à s'accorder sur des problèmes tels que ceux que l'on vient de mentionner (durée du séjour, critères de détermination du degré de sécurité, etc.), la réponse devrait raisonnablement ne trouver, plutôt que dans des actions unilatérales, dans des arrangements internationalement convenus qui institueraient officiellement des mécanismes pour déterminer la responsabilité des Etats, mécanismes dans lesquels on introduirait la notion de « pays sûr » tout en prévoyant simultanément des critères clairement définis et harmonisés en fonction desquels on déterminerait si un pays donné peut être considéré comme tel. De tels mécanismes ne sauraient véritablement atteindre leur but, en principe et en pratique, que si certaines conditions sont réunies, et, en particulier que s'il y a accord entre les parties directement concernées sur : a) les normes d'application (à qui n'appliquent les mécanismes et à l'égard de quels pays); b) les normes de fonctionnement (comment le mécanisme doit-il s'appliquer et quand); c) les modalités opérationnelles (traitement des demandeurs d'asile, arrangements pour le renvoi et la réadmission, solutions éventuelles); et d) la surveillance du fonctionnement des mécanismes.
1 L'alinéa 4 du préambule de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés dit, à cet égard, ce qui suit :
« Considérant qu'il peut résulter de l'octroi du droit d'asile des charges exceptionnellement lourdes pour certaine pays et que la solution satisfaisante des problèmes dont l'Organisation des Nations Unies a reconnu la portée et le caractère internationaux ne saurait être obtenue sans une solidarité internationale ... ».
2 Déclaration universelle des droits de l'homme de 1988; Pacte international relatif aux droits civils et politiques; Pacte international relatif aux droite économiques sociaux et culturels.